L‘ombre de Donald Trump hante les négociations du sommet de l’ONU sur le climat à Dubaï. S’il est réélu, il retirera probablement à nouveau les États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat. À quelques mois des élections et alors que Trump gagne du terrain sur M. Biden dans les sondages, certains diplomates craignent que le gouvernement américain ne soit pas associé aux futurs efforts internationaux visant à ralentir le réchauffement de la planète. Ils craignent que les responsables américains ne tiennent pas les promesses qu’ils font aujourd’hui et que Donald Trump fasse dérailler les progrès réalisés en matière de réduction des émissions à un moment crucial pour la planète.
Les responsables américains présents à la Conférence des Nations unies sur le changement climatique font mine de faire passer un message pourtant lourd de sous-entendus : Les États-Unis sont pleinement engagés dans la lutte contre le changement climatique. Oui, jusqu’à nouvel ordre, c’est-à-dire nouvelle élection. Car, dans les coulisses de Dubaï, tout le monde sait que la réélection de Donald Trump provoquerait un changement potentiellement sismique dans la politique climatique internationale.
Scénario catastrophe
Selon le Washington Post, George David Banks, conseiller climatique à la Maison Blanche sous les administrations Bush et Trump, qui s’est rendu à Dubaï avec un groupe de législateurs républicains, a prédit dans une interview que M. Trump profiterait de son second mandat pour retirer à nouveau les États-Unis de l’accord de Paris sur le climat. « Je pense que le retrait de l’Accord de Paris sera envisagé dans les premières semaines« , a déclaré M. Banks. « Je pense qu’un décret est déjà rédigé. Je pense que c’est un scénario réel que les gens doivent envisager.«
Les propos de M. Banks expriment tout haut ce que tout le monde craint tout bas. À quelques mois des élections et alors que Trump gagne du terrain sur M. Biden dans les sondages, certains diplomates craignent que le gouvernement américain ne se dissocie des futurs efforts internationaux visant à ralentir le réchauffement de la planète. Ils craignent que les responsables américains ne tiennent pas les promesses qu’ils font aujourd’hui et que Trump fasse dérailler les progrès réalisés en matière de réduction des émissions à un moment crucial pour la planète.
D’autant que l’on sait de quoi Trump est capable. Alors président, il n‘a pas hésité à sortir les États-Unis de l’Accord de Paris, suscitant la condamnation des dirigeants mondiaux qui espéraient que la nation parmi les plus polluantes du monde prenne la tête de la lutte contre le dérèglement climatique. Sur le plan intérieur, Trump n’y est pas allé de main morte : il a affaibli ou supprimé plus de 125 règles et politiques environnementales —la moitié dès la première année de mandat —, dont beaucoup étaient conçues pour réduire la pollution due aux combustibles fossiles qui réchauffent la planète. Un travail de sape systématique et de grande ampleur pour protéger les producteurs d’énergies fossiles.
Politique de l’autruche
Il ne fait aucun doute que le résultat potentiel de la prochaine élection américaine influence lourdement les négociations de la COP28 qui doivent officiellement s’achever ce mardi 12 décembre. Nombreux sont les participants à cette conférence qui disent envisager d’accepter tout ce qu’ils peuvent de l’administration Biden actuelle, car ils ne savent pas dans quelle situation ils se trouveront l’année prochaine. La perspective d’une victoire de Trump en 2024 est un sujet de conversation permanent dans les salles de négociation de la COP28. Elle menace de saper la crédibilité des États-Unis à Dubaï, où les négociateurs du département d’État ont pesé de tout leur poids en faveur d’une initiative historique visant à éliminer progressivement les combustibles fossiles. Car de nombreux négociateurs s’attendent à ce que les États-Unis fassent un grand pas en arrière par rapport à leur position actuelle en cas d’élection de Trump. D’autres participants préfèrent ne pas envisager cette hypothèse. C’est le cas de la ministre française de l’énergie, Agnès Pannier-Runacher qui observe : « La situation telle qu’elle est aujourd’hui est que les États-Unis vont de l’avant et envoient de bons signaux« . Un sentiment partagé par l’émissaire de l’Allemagne pour le climat, Jennifer Morgan : « On ne sait pas ce qui va se passer à l’avenir. Je pense que nous sommes tous tellement concentrés sur cette année« .
Même certains délégués de nations insulaires de faible altitude, qui sont confrontées à la menace existentielle de la montée des eaux, ont refusé de faire des commentaires. Bianca Beddoe, porte-parole de l’Alliance des petits États insulaires, a déclaré au Post que « nous ne pourrons pas faire de commentaires sur Donald Trump« .
Ces responsables adoptent-ils la politique de l’autruche ? Car Trump fait campagne en promettant ouvertement d’abroger la loi sur le climat signée par M. Biden, l’Inflation Reduction Act, qui a incité le secteur privé à investir des milliards de dollars dans des projets d’énergie propre. Il s’est insurgé contre les crédits d’impôt accordés aux véhicules électriques, déclarant lors d’un récent rassemblement à Détroit que l’administration Biden était « loyale envers les fous de l’environnement« .
Un plan pour les 180 premiers jours d’un nouveau président républicain, rédigé par la Heritage Foundation, un groupe de réflexion conservateur, appelle à « annuler tous les fonds qui n’ont pas encore été dépensés » par les programmes créés par la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act). Le plan de 920 pages, dont les auteurs comprennent d’anciens fonctionnaires de l’administration Trump, recommande également de réduire le financement de l’Agence de protection de l’environnement et de fermer les bureaux du département de l’énergie chargés des énergies renouvelables.
Plusieurs démocrates tentent de se rassurer en affirmant qu’indépendamment du gouvernement fédéral, les villes et les États sont à la pointe de l’action climatique. America Is All In, un groupe qui soutient l’action climatique des maires, des gouverneurs et d’autres acteurs infranationaux, a organisé près d’une vingtaine d’événements lors de la COP28 pour faire passer ce message : « Peu importe qui est le gouvernement fédéral, les villes et les États sont à la pointe de l’action climatique ».
L’avenir électoral américain fait plus que probablement partie des discussions en coulisses. En tout cas, Joe Biden est astreint à un périlleux exercice d’équilibriste. S’il n’est pas venu à la COP, sous prétexte d’être « trop occupé par d’autres crises mondiales », c’est aussi fort probablement parce qu’il lorgne les électeurs de droite, en tout cas ceux qui n’approuvent pas un retour de Trump. Mais on sait qu’une majorité de Républicains n’adhère que très peu voire pas du tout aux mesures de lutte contre le réchauffement. Le futur candidat démocrate ne souhaite donc désormais plus trop s’afficher en grand défenseur du climat, au risque pesé au trébuchet de perdre en contrepartie les voix de jeunes électeurs américains sensibles aux questions écologiques.
Trump se frotte les mains
Face à cette situation, les majors américaines se réjouissent. La production de pétrole, qui est un enjeu politique majeur aux États-Unis, y a atteint un niveau record cette année : plus de 13 millions de barils par jour. Les Républicains avaient accusé Biden d’hypothéquer l’indépendance énergétique du pays en limitant les permis de forage. Le président démocrate a fait machine arrière en autorisant un projet géant d’exploitation décrié en Alaska, le projet Willow. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit une nouvelle hausse de la production américaine en 2024.
L’électoralisme ambiant, attisé par l’ombre d’un Trump toujours menaçant, pèse inévitablement sur cette COP, et singulièrement sur l’enjeu brûlantissime de la sortie des énergies fossiles. Rien d’étonnant donc que le projet d’accord final proposé ce lundi 11 décembre par la présidence émiratie à la veille de la clôture prévue de la COP28 ne mentionne que « la réduction de la consommation et de la production des énergies fossiles », au grand dam de nombreux défenseurs du climat.
Le texte appelle notamment à la « réduction à la fois de la consommation et de la production des énergies fossiles d’une manière juste, ordonnée et équitable, de façon à atteindre zéro net [la neutralité carbone] d’ici, avant ou autour de 2050, comme préconisé par la science ».
Mais il ne mentionne plus le mot de « sortie » des énergies fossiles. Cette « sortie » des énergies fossiles était une ligne rouge pour de nombreux pays et observateurs présents aux négociations de Dubaï, notamment parmi les pays du bloc arabe. Et il inclut désormais nombre de vœux du camp des pays producteurs ou exportateurs de pétrole, comme la mention des technologies balbutiantes de captage et de stockage du carbone, exigées par eux pour continuer à pomper des hydrocarbures. Trump se frotte les mains.