L’Afrique est à la fois le continent le plus pauvre et celui dont la croissance démographique est la plus forte. Un développement économique rapide et soutenu est nécessaire pour venir à bout de la pauvreté. Mais un tel développement aura besoin d’énergie, énormément. Le défi consistera à mener à bien cette évolution sans aggraver le réchauffement planétaire, car une situation climatique très dégradée auraient des conséquences néfastes capables d’annuler les bénéfices de la croissance africaine. S’il peut sembler contre-intuitif, un développement sobre en carbone doit être au cœur de la stratégie d’adaptation aux changements climatiques des pays africains.
Le dernier rapport émis par l’« Africa Progress Panel » de Kofi Annan expose de manière limpide le défi énergétique que doit relever l’Afrique : le continent consomme moins d’énergie que l’Espagne (50 % de cette consommation revenant à l’Afrique du Sud) ; les deux-tiers des Africains n’ont pas accès à l’électricité. Une Afrique prospère aura besoin d’un approvisionnement en énergie similaire à celui de l’Europe dans son ensemble, et pas seulement celui de l’Espagne. Cette production énergétique devra être très faible ou nulle en carbone.
La part africaine dans le réchauffement
L’humanité a déjà brûlé près des 60 % du trillion de tonnes de carbone disponible, mais a encore la possibilité d’éviter un changement climatique dangereux en limitant l’augmentation des températures à deux degrés.
Si l’idée que l’Afrique puisse se voir attribuer les 400 milliards de tonnes de carbone restantes est plaisante, la réalité est, évidemment, tout autre. Les émissions de gaz à effets de serre en provenance des plus grands pollueurs continuent de croître ; des décennies seront nécessaires pour inverser cette tendance. L’immobilisme politique, économique et technique des systèmes existants rend le changement très lent. Les grands émetteurs actuels brûleront ce qui reste de carbone, et toutes les nouvelles émissions en provenance d’Afrique contribueront à faire augmenter les températures au-delà des deux degrés.
On peut établir des calculs pour illustrer l’impact respectif de différents scénarios énergétiques pour l’Afrique. Pour ces prévisions, les hypothèses sont les suivantes :
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Chaque trillion de tonnes de carbone brûlé contribuera à un réchauffement climatique de plus de deux degrés.
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La population africaine passera de 1,2 milliard d’habitants aujourd’hui à 2,5 milliards en 2050 et à 4,5 milliards en 2100.
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Pour atteindre ses objectifs de développement, l’accès à l’énergie en Afrique passera de l’actuel 33 % à 100 % en 2050 ; les émissions de carbone par habitant augmenteront proportionnellement jusqu’en 2050 puis seront stables jusqu’en 2100.
Voici maintenant trois scénarios possibles concernant les émissions de carbone pour chaque Africain en 2050, lorsque l’accès complet à l’énergie sera atteint (en prenant comme référence les émissions équivalent-CO2 actuelles publiées par le World Resources Institute et en les divisant par 3,67 pour obtenir les résultats en tonnes de carbone):
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Mêmes émissions qu’aux États-Unis : 5,95 tonnes par personne par an.
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Mêmes émissions qu’en Afrique du Sud : 2,65 tonnes par personne par an.
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Mêmes émissions qu’en Suède : 1,69 tonne par personne par an.
Comme on peut le voir sur le graphique ci-dessus, la croissance énergétique en Afrique, selon le scénario choisi, pourrait entraîner une consommation comprise entre 0,4 à 1,3 trillion de tonnes de carbone. Une situation qui risquerait d’augmenter le réchauffement planétaire de 0,7 à 2,6 degrés supplémentaires.
Il est probablement prudent d’envisager qu’un Africain n’aura jamais les mêmes émissions de carbone qu’un Américain d’aujourd’hui. Mais en suivant une consommation énergétique classique à base de carbone, ces émissions pourraient être semblables à celles, moyennes, d’un Suédois ou d’un Sud-Africain. Dans cette hypothèse, l’Afrique ajouterait entre 0,7 et 1,2 degré à l’augmentation de la température mondiale.
1,5 % des émissions mondiales
Il faut se rappeler que chaque degré de réchauffement planétaire correspond à une augmentation des températures entre 1,5 et 2 degrés en Afrique, tout particulièrement dans les zones intérieures sèches. Un réchauffement de trois degrés (un degré au-dessus de l’objectif fixé au niveau mondial) conduit à un réchauffement local entre quatre et six degrés pour l’Afrique.
Les défis pour s’adapter à un tel réchauffement sont immenses. Une étude sur les types de cultures pratiquées en Afrique estime, par exemple, que toutes les variétés actuellement cultivées devraient être remplacées par d’autres en provenance de zones plus chaudes ou, dans le pire des cas, par des espèces totalement nouvelles. Des défis tout aussi importants concerneront la gestion l’eau, l’urbanisation et la préservation des écosystèmes.
L’Afrique émet aujourd’hui environ 800 millions de tonnes de carbone par an. Ce qui représente seulement 1,5 % du total des émissions mondiales. Mais les choix à venir pourraient considérablement changer la donne, sachant que les investissements énergétiques engagent sur le long terme et sont difficilement modifiables.
Les émissions africaines peuvent rester faibles si des orientations énergétiques modestes en carbone sont prises dès maintenant. On s’appuiera sur l’énergie solaire, éolienne, hydraulique, géothermique, peut-être même nucléaire ou encore tirant sa source de la capture et du stockage du carbone. L’Afrique pourra ainsi éviter d’aggraver l’impact du réchauffement climatique provoqué par les pays les plus pollueurs.
Mark New, Director, African Climate and Development Initiative, University of Cape Town
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.