L’ancien secrétaire d’État de Barack Obama, John Kerry, 76 ans, sera l’émissaire spécial du président américain sur le climat. Ce poste nouvellement créé est une décision qui souligne l’engagement de la nouvelle administration de Joe Biden en faveur d’une approche internationale de la question climatique et la reconnaissance de son importance stratégique. Mais quelles sont ses marges de manœuvre dans une Amérique ravagée par le trumpisme ?
« Je lui ai demandé de revenir au gouvernement pour remettre l’Amérique sur les rails afin de faire face à l’une des menaces les plus urgentes pour la sécurité nationale que nous connaissons, la crise climatique », a déclaré M. Biden dans un communiqué publié lundi. « Ce rôle est le premier du genre : la première position au niveau du cabinet sur le climat, et la première fois que le changement climatique a un siège à la table du Conseil national de sécurité ».
La nomination de John Kerry comme « émissaire spécial du président pour le climat » est l’une des six premières nominations au niveau du cabinet que l’équipe Biden annoncées ce 23 novembre ; un cabinet formé malgré le refus du président Donald Trump d’accepter les résultats de l’élection. Contrairement à certains postes ministériels, la nomination de John Kerry ne nécessitera pas de confirmation du Sénat, a rapporté le New York Times.
Cette décision, associée aux propositions ambitieuses de M. Biden en matière de climat pendant la campagne, indique un engagement renouvelé des États-Unis à lutter contre le changement climatique et un revirement radical par rapport aux politiques du président Trump. Son administration s’est retirée de l’accord de Paris, s’est employée à démanteler les protections environnementales et a continuellement mis à rude épreuve les alliances internationales du pays.
Varun Sivaram, chercheur principal au Center on Global Energy Policy de l’Université de Columbia, a déclaré sur Twitter que cette nomination « démontre l’intention de M. Biden de placer le changement climatique au centre de la sécurité nationale et de la politique étrangère ». Il a ajouté qu’elle « indique aux alliés et aux ennemis des États-Unis que la nouvelle administration reconnaît les menaces du changement climatique et s’engage à y faire face par le biais de la coopération internationale ».
États-Unis, le retour
Le retour des États-Unis dans l’Accord de Paris sur le climat pourrait être l’une des premières mesures de Joe Biden. Le 4 novembre, alors que le gouvernement Trump a officiellement quitté l’Accord de Paris, le candidat démocrate a promis sur Twitter, son retour « dans 77 jours exactement ». Soit le 20 janvier 2021 quand il investira la Maison Blanche. Le nouveau président devra envoyer une notification à la Convention cadre des nations unies sur le changement climatique et attendre 30 jours avant que celle-ci ne devienne effective. Soit au plus tôt le 20 février 2021 pour revenir à la table des négociations internationales sur le climat. Joe Biden pourrait ainsi rejoindre l’Accord de Paris sans le soutien total du Congrès américain, et s’engager à nouveau en faveur du Fonds vert pour le climat.
Pour Laurence Tubiana, présidente de la Fondation européenne pour le climat et cheville ouvrière de l’Accord de Paris, le retour des USA dans ces négociations est « attendu avec impatience ». « L’administration américaine a contribué à l’élaboration de l’Accord de Paris de manière décisive. Nous avons besoin des États-Unis pour aider à le mettre en œuvre », soulignait-elle sur Twitter, le 5 novembre.
La victoire du démocrate « est une très bonne nouvelle pour tous les défenseurs du climat », salue Pascal Canfin, député européen Renaissance et président de la commission Environnement du Parlement. A un mois du cinquième anniversaire de l’Accord de Paris, les défenseurs du climat espèrent un retour du leadership américain sur la scène climatique mondiale.
Un poids lourd du climat
Il faut dire que John Kerry connaît parfaitement la planète climat. Il a été un des maîtres d’œuvre de l’Accord de Paris qu’il a signé au nom des États-Unis en tant que chef de la diplomatie de Barack Obama. Diplomate rompu au multilatéralisme et connu des principaux dirigeants du monde, Il n’aura aucun mal à revenir dans cet Accord.
N’ayant jamais délaissé la cause du climat, il avait lancé il y a un an une coalition de vedettes et personnalités pour mobiliser contre la crise climatique, baptisée « World War Zero » (Guerre mondiale zéro – pour zéro émissions carbone). Le diplomate a exploité son carnet d’adresses : Leonardo DiCaprio, Emma Watson, Arnold Schwarzenegger ont rejoint l’initiative. « Aucun pays ne fait le travail » sur le changement climatique, disait-il alors. « Nous devons traiter cela comme une guerre ». Chaque année d’inaction climatique sous la présidence Trump a rendu cette guerre-là encore plus ardue à gagner. Les émissions de gaz à effet de serre américaines se réduisent naturellement, avec l’essor des énergies renouvelables et, cette année, un coup de pouce de la pandémie, mais pas assez vite pour atteindre l’objectif affiché par Joe Biden : la neutralité carbone en 2050.
Avec ce poids lourd du climat à ses côtés, Joe Biden s’engage à rejoindre les autres puissances économiques dans la neutralité carbone. Il envoie de ce fait un signal à tous les pays encore indécis ou retardant leurs efforts au respect de l’Accord de Paris. « Le retour des États-Unis dans les accords de Paris aura un effet d’entraînement vis-à-vis de pays qui ne jouent actuellement pas le jeu, comme le Brésil, l’Australie et la Russie », pronostique le climatologue français Jean Jouzel au Figaro.
Un programme ambitieux
Joe Biden a annoncé vouloir investir 2 000 milliards de dollars dans l’énergie propre et les infrastructures « résistantes au climat », en vue d’atteindre aussi 100 % d’électricité décarbonée dès 2035. Son plan climatique comprend 1 700 milliards de dollars de dépenses du gouvernement fédéral sur une période de dix ans.
Le président élu ne prévoit toutefois pas d’interdire la fracturation hydraulique qui représente 35 % de la production énergétique des États-Unis. Mais il chercherait à mettre fin aux nouvelles concessions de pétrole et de gaz sur les terres fédérales. M. Biden pourrait également rétablir et renforcer les réglementations environnementales qui ont été supprimées sous l’administration Trump. Et ainsi remettre en place le plan « Clean Energy ». Il propose par ailleurs d’augmenter les crédits d’impôt pour l’efficacité énergétique et l’énergie propre et de multiplier l’installation de panneaux solaires et d’éoliennes terrestres et marines. Le nouveau président veut en outre déployer 500 000 bornes de recharge des véhicules électriques à l’horizon 2030.
Avec ce programme prometteur, les ONG américaines environnementales se félicitent de l’élection de Joe Biden et ont soif de changements rapides. Elles l’appellent à prendre des mesures « ambitieuses » dès son arrivée à la Maison Blanche. Un président attendu sur le front du climat d’autant que cette question a été un enjeu majeur de l’élection : selon un sondage publié par The Guardian, le 23 septembre dernier 7 électeurs sur 10 déclaraient soutenir un gouvernement qui prendrait des mesures contre le dérèglement climatique.
Une marge de manœuvre étroite
Mais Joe Biden aura-t-il les moyens de ses ambitions ? S’il ne parvient pas à obtenir la majorité au Sénat (on ne le saura pas avant janvier prochain), le nouveau président devra batailler pied à pied contre la puissance financière et le pouvoir politique des partisans des combustibles fossiles. Chaque projet impliquant des réductions de consommation des énergies fossiles sera une épreuve de force.
Donald Trump s’est méticuleusement attaché à défaire une bonne centaine de réglementations pro-climat adoptées sous la présidence Obama. Le nouveau président devra faire preuve d’une grande volonté pour restaurer ces mesures tout en sachant que pour certaines d’entre elles, le mal est fait et qu’il devra s’attacher à en réparer les dégâts. L’objectif de « neutralité carbone pour 2050 » est donc semé d’embûches Républicaines. Joe Biden devra démontrer une immense habileté pour dégager des compromis avec ses opposants qui détiennent une part importante du pouvoir.
En août 2020, la vice-présidente Kamala Harris a annoncé qu’elle proposerait dès le début de la présidence Biden une réunion entre les nations les plus émettrices de gaz à effet de serre pour accroître les ambitions de la COP26, qui se tiendra à Glasgow en décembre 2021… Le temps presse pour l’administration Biden et le choix d’un homme d’expérience, rompu aux négociations internationales n’est à cet égard pas innocent.
Toile de fond géopolitique
D’autant que cette bataille pour le climat se joue avec en toile de fonds de grandes manœuvres géopolitiques. Car comme le rappelle Michel Damian dans un article publié par The Conversation, pour les États-Unis, première puissance mondiale, la montée du grand capitalisme émergent qu’est la Chine « a surdéterminé toutes les négociations climatiques, depuis l’aube des négociations, à partir de la fin de la décennie 1980, jusqu’à aujourd’hui ».
Or, pour la première fois en trente ans de négociations climatiques, la Chine de Xi, plus gros émetteur mondial de gaz à effet de serre, s’est engagée à décarboner son économie d’ici 2060. Pour atteindre cet objectif, le chantier est titanesque : 180 milliards de dollars d’investissements dans la transition énergétique, chaque année pendant des décennies, seront nécessaires ; car il s’agira de doubler la production hydroélectrique, de multiplier par 6 celle de l’énergie nucléaire, par 9 la production d’électricité à partir des éoliennes et par 16 celle en provenance du solaire ; Pékin devra aussi engager la capture et le stockage du carbone (CSC) à grande échelle et quelque 3000 centrales à charbon devront être fermées.
Face à une Chine qui « veut prendre la main sur le climat », l’Amérique de Joe Biden veut être proactive. Mais tout ne se fera pas en un claquement de doigt, et la Chine, par culture, a le temps devant elle. Mais l’urgence climatique est là. Alors, pour les États-Unis comme pour la Chine ou les autres grandes puissances du monde, la mise en œuvre des politiques climatiques sera opérée avec, certes le sentiment d’urgence comme moteur, mais aussi avec une bonne dose de pragmatisme et de réalisme. Sera-ce suffisant pour inverser à temps l’emballement infernal de la machine climatique ?
Avec AFP, Actu-Environnement