Il n’y aura pas de vaccin contre le changement climatique. La machine climatique s’est emballée et il faudra beaucoup d’efforts pour inverser le mouvement. Partout les températures battent des records : 2020 s’annonce comme l’une des trois années les plus chaudes jamais enregistrées. L’ONU le répète encore : nous ne tenons pas les engagements de l’accord de Paris. Et par surcroît, nous ne sommes pas préparés face à cette situation, singulièrement sur le plan sanitaire. La crise du Covid-19 devrait pourtant nous avoir ouvert les yeux sur les effets dominos que créent les crises sanitaires mondiales. Sommes-nous incapables d’en tirer les leçons ?
« L’humanité fait la guerre à la nature, c’est du suicide », avait dénoncé le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres ; « L’équilibre écologique de la planète est rompu », « Faire la paix avec la nature doit être la priorité absolue pour tout le monde, partout », autant de slogans répétés qui semblent atteindre des oreilles sourdes. Serions-nous trop obnubilés, en tétanie mentale coronavirienne ? Pourtant les alertes ne manquent pas.
Celle de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) figure dans son dernier rapport sur l’état du climat mondial : la décennie qui s’achève sera la plus chaude jamais observée, de même que les six années écoulées depuis 2015. Selon les données provisoires, 2020 atteint le deuxième rang des années les plus chaudes, après 2016 et avant 2019, avec une température moyenne mondiale entre janvier et octobre supérieure d’environ 1,2°C à celle de la période de référence 1850-1900.
« Les années de chaleur record ont généralement coïncidé avec un fort épisode El Niño, comme ce fut le cas en 2016. La Niña a tendance à refroidir les températures mondiales, mais l’anomalie apparue cette année n’a pas suffi à freiner le réchauffement », a déclaré le secrétaire général de l’OMM, Petteri Taalas.
Le phénomène météorologique naturel La Niña est l’inverse du phénomène El Niño et correspond au refroidissement des eaux de surface dans le centre et l’est du Pacifique équatorial.
Et selon l’OMM, il y a au moins une chance sur cinq que la température moyenne mondiale dépasse 1,5°C d’ici 2024. Dans l’Accord de Paris, signé en décembre 2015, 195 pays se sont engagés à limiter la hausse de la température « bien en deçà de 2°C » par rapport à l’ère pré-industrielle et de « poursuivre les efforts pour limiter la hausse de la température à 1,5°C », afin d’éviter des conséquences dramatiques et irréversibles.
« Il a fallu environ un siècle pour que nos gaz à effet de serre réchauffent la planète de 1°C, nous sommes en voie d’ajouter 1°C supplémentaire dans les 30 prochaines années seulement », observe Neville Nicholls, professeur à l’Université Monash en Australie.
Selon un rapport du Programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE) publié la semaine dernière, le monde doit réduire la production d’énergies fossiles de 6% par an d’ici 2030 pour espérer limiter le réchauffement à +1,5°C. Mais les prévisions tablent sur une hausse car le monde ne parvient pas à se défaire des énergies fossiles : les États vont produire, selon ce rapport, 120 % d’énergie fossile de ce qu’il faudrait pour rester dans les limites de l’Accord de Paris. Au lieu de baisser, la production de charbon devrait ainsi augmenter de 2% par an pendant les dix prochaines années.
Les plans de relance liés à la crise du Covid-19 n’ont pas servi à nous orienter vers un monde moins carboné. Au contraire. En effet, selon un rapport d’Energy Policy Tracker, les gouvernements du G20 ont déjà engagé plus de 250 milliards de dollars vers des secteurs liés aux énergies fossiles contre seulement 166 milliards envers les énergies propres
Mauvaises nouvelles du monde
Chaleur extrême, incendies, inondations, acidité croissante des océans, saison record des ouragans dans l’Atlantique… autant de signes que le changement climatique a continué sa progression inexorable cette année.
La chaleur la plus remarquable a été observée cette année en Asie du Nord, en particulier dans l’Arctique sibérien, où les températures ont été supérieures de plus de 5°C à la moyenne. Fin juin, 38°C ont ainsi été relevés à Verkhoyansk en Sibérie, ce qui est provisoirement la température la plus élevée constatée au nord du cercle arctique.
La saison des incendies, qui ont ravagé de vastes zones en Australie, en Sibérie, sur la côte ouest des Etats‑Unis et en Amérique du Sud, a été la plus active de ces 18 dernières années. Et « les inondations dans certaines régions d’Afrique et d’Asie du Sud-Est ont entraîné des déplacements massifs de population et ont compromis la sécurité alimentaire de millions de personnes », a observé M. Taalas.
Au rayon des mauvaises nouvelles, la banquise arctique a atteint en septembre son minimum annuel, classé au deuxième rang des moins étendus en 42 ans d’observations satellitaires. L’étendue de la banquise antarctique en 2020, a en revanche été similaire, ou légèrement supérieure, à la moyenne de ces 42 dernières années, tandis que le Groenland a continué de perdre de sa masse, bien qu’à un rythme plus lent qu’en 2019.
Enfin, en 2020, plus de 80 % des océans du monde ont connu une vague de chaleur marine à un moment donné de l’année. Les niveaux records de chaleur des océans ont des répercussions sur les écosystèmes marins. Les océans absorbent près d’un quart de tout le dioxyde de carbone (CO2) libéré dans l’atmosphère par les activités naturelles et humaines. Cela a déjà rendu les eaux plus acides, menaçant ainsi la vie marine.
Face aux risques climatiques, aucun pays n’est préparé
Les systèmes de santé sont mal préparés pour faire face aux dangers grandissants liés au changement climatique et aucun pays n’est à l’abri, comme l’a prouvé la crise du Covid-19, avertissent des experts de The Lancet Countdown dans un rapport publié ce 3 décembre.
« Les menaces pour la santé humaine se multiplient et s’intensifient à cause du changement climatique. Si nous ne changeons pas de cap, nos systèmes de santé risquent d’être dépassés à l’avenir », avertit le Dr Ian Hamilton, directeur exécutif du rapport sur la santé et le changement climatique, publié tous les ans par la revue médicale The Lancet. Ce rapport mesure 43 indicateurs-clés sur ces deux sujets et est réalisé en collaboration par 35 institutions, dont l’OMS (Organisation mondiale de la santé), l’OMM (Organisation météorologique mondiale) et des universités.
« Nous sommes confrontés aux perspectives les plus sombres pour la santé publique que notre génération ait vu », avertit Dr Wenjia Cai, de l’université Tsinghua à Pékin. « Le changement climatique crée un fossé cruel qui renforce les inégalités existantes en termes de santé, entre et dans les pays. (…) Tout comme pour le Covid-19, les personnes âgées sont particulièrement vulnérables, celles ayant des pathologies comme l’asthme ou le diabète le sont encore plus », relève à l’AFP Hugh Montgomery, médecin en soins intensifs.
Au cours des 20 dernières années, la mortalité liée à des épisodes de canicule a grimpé de 54% chez les plus de 65 ans et 296.000 personnes en sont mortes en 2018, selon le rapport. Les pays les plus touchés ont été la Chine, l’Inde, l’Allemagne, les Etats-Unis, la Russie et le Japon.
La France, fait partie des pays les plus à risque dans le monde en termes d’exposition des populations vulnérables aux vagues de chaleur, prévient The Lancet. Les épisodes de canicule y ont causé 8.000 morts rien qu’en 2018 parmi les plus de 65 ans.
Adaptation des systèmes de soin
« Aucun pays, riche ou pauvre, n’est à l’abri des conséquences sanitaires du changement climatique qui s’aggrave », avertissent les auteurs du rapport.
Dans le même temps, « des régimes alimentaires mauvais pour la santé deviennent plus répandus dans le monde, la consommation excessive de viande rouge ayant contribué à 990.000 décès prématurés en 2017 », dont 13.000 en France, une consommation aussi mauvaise pour le climat que pour l’environnement.
Le rapport s’est aussi intéressé aux décès provoqués par l’usage d’énergies fossiles, notamment le charbon, responsables du réchauffement climatique mais aussi de sept millions de décès annuels à cause de la pollution de l’air.
Des scientifiques ont déjà fait le lien entre la destruction de la nature par les humains et l’émergence de nouvelles maladies, des zoonoses comme le Covid-19. Le changement climatique contribue aussi à une plus grande propagation de maladies infectieuses dans le monde, avertit le rapport, qui cite la dengue, la malaria ou les maladies liées aux bactéries du genre Vibrio.
Parmi les raisons d’espérer, les systèmes de santé s’adaptent au changement climatique. Dans 86 pays, ils sont connectés aux services météorologiques afin de mieux se préparer. Et de plus en plus d’États font le lien entre santé et climat.
Limiter le réchauffement climatique permettra d’atténuer les effets négatifs en termes de santé, insistent les experts. « Le temps est venu pour nous tous de prendre plus au sérieux les facteurs environnementaux en termes de santé », exhorte Richard Horton, rédacteur en chef du Lancet. « Nous devons répondre à l’urgence climatique, protéger la biodiversité et renforcer les systèmes naturels dont notre civilisation dépend », poursuit-il.
Les milliards dépensés pour relancer l’économie à travers le monde présentent « une véritable opportunité pour harmoniser les réponses à la pandémie et au changement climatique », constate Maria Neira, de l’OMS. « Mais le temps est compté », avertit-elle.
Avec AFP
Image d’en-tête : photo UNICEF