L’actualité nous le montre douloureusement : le cas de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, plus connue sous le nom de Frontex, est emblématique du dilemme de la gestion des frontières européennes. Devenue l’agent de la militarisation des frontières européennes, contribuant à la perception de l’Europe comme d’une forteresse assiégée, Frontex est au cœur d’enjeux qui la dépassent et doit se réformer pour résoudre les situations dangereuses aux portes de l’Europe. La nouvelle étude de la Fondation Jean Jaurès tente de saisir le dilemme présent au cœur de la gestion des frontières européennes, entre protection de ces frontières et respect des droits de l’homme.
L’intérêt de ce rapport est, d’abord, de comprendre les origines de l’agence sur fond d’analyse des risques et d’inquiétude concernant le terrorisme international, et de saisir comment Frontex est devenue l’outil politique des institutions européennes et des États membres pour légitimer leur action face à l’augmentation des tentatives de migration par voie illégale et du nombre de morts en mer.
Frontex, qui se présente elle-même comme acteur de l’harmonisation des politiques européennes, notamment des droits humains, s’est en fait révélée manquer clairement de légitimité sur ce point précis, faisant par exemple preuve de complaisance envers les pratiques de refoulement.
Cette étude tente de dresser un « état de l’art » de Frontex. L’idée est de comprendre également les raisons politiques de sa fondation et de son évolution radicale jusqu’à aborder la politique européenne de désingularisation des migrants plus largement, et proposer notamment des pistes pour une nouvelle politique migratoire.
« Entre l’impératif de ne pas laisser passer les gens illégalement et, d’autre part, le principe de non refoulement car toute personne ayant besoin de protection a droit à l’asile, comment fait-on ? Personne n’est en mesure de me répondre. Nous sommes schizophrènes.» La gestion des frontières extérieures de l’Europe a-t-elle perdu sa boussole ? C’est ce que semblait suggérer Fabrice Leggeri au moment de sa démission du poste de directeur exécutif de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes le 29 avril 2022. Pour lui, en effet, la ferme protection des frontières ne semble pas pouvoir rimer avec la garantie du respect des droits humains.
Pourtant, l’intérêt pour les droits de l’homme et le respect de ces valeurs s’est accru au sein de l’Union européenne, dans un contexte de renforcement des liens entre les 27 pays membres. Au centre de ce paradoxe se trouve l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex – abréviation de « frontières extérieures » en français. Sa version embryonnaire est née en 2005 à la suite de la fin des contrôles aux frontières intérieures avec la création de l’espace Schengen en 1995. Créée pour répondre à un large éventail d’intérêts et d’objectifs européens, l’agence était chargée de coordonner la coopération entre les États membres, sans toutefois remplacer le travail des garde-frontières nationaux.
Cependant, le nombre de pays avec lesquels elle a commencé à s’impliquer est rapidement devenu important, ses tâches concernant aussi bien les pays membres que les pays de départ ou de transit. Progressivement, le mandat et les compétences de Frontex se sont élargis et son statut fondateur a été modifié à deux reprises par le Parlement européen et le Conseil européen en 2007 et 2011, entraînant une augmentation de son budget, de son personnel et de ses responsabilités. Alors que les critiques s’élevaient de toutes parts et que l’agence devenait un symbole de la militarisation des frontières de l’Europe, Frontex n’a cessé de monter en puissance, recevant le statut d’ « Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes » en octobre 2016, ce qui lui a permis de disposer de son propre personnel et d’acquérir son propre matériel. Encore modifié en 2018, son budget est devenu considérable – 758 millions d’euros en 2022 – avec un objectif de 900 millions d’euros et 10 000 gardes d’ici à 2027.
Au vu de ces chiffres, nul ne doutera de l’importance que l’Union européenne attache à la sécurité de ses frontières extérieures. Ce qui est en revanche discutable, c’est la capacité de cette même agence à relier ces missions de sécurité aux missions de protection des droits de l’homme, valeurs que l’Union européenne prétend défendre à l’intérieur de ses frontières, mais aussi sur la scène internationale.
L’objectif de cette étude est de permettre de comprendre comment cette combinaison inattendue de sécurité et de droits de l’homme s’est traduite dans les pratiques et les discours de l’agence, mais surtout comment elle s’est avérée trompeuse – comme en témoigne la récente démission de son directeur exécutif.
Résumé des actions de Frontex
Frontex supervise le déploiement des agents qui participent aux patrouilles frontalières, aidant à l’arrestation des passeurs présumés. Non seulement le personnel de l’agence surveille les frontières, mais il aide activement à l’identification et à l’enregistrement des migrants. Lorsque ces derniers arrivent dans un camp, les agents de contrôle de Frontex peuvent aider à identifier leur nationalité. Ils peuvent également entamer la procédure d’asile et fournir une aide humanitaire. Frontex collecte aussi des renseignements et crée sa propre analyse des risques pour gérer la situation présumée aux frontières extérieures de l’UE. À mesure que le rôle de renseignement de l’agence prend de l’importance, elle collecte aussi des données sur les mouvements transfrontaliers au sein de l’UE, ainsi que des informations sur l’entrée fournies par les États membres. Certaines de ces informations sont également obtenues auprès de pays tiers avec lesquels Frontex a signé des accords de coopération. C’est avantageux pour Frontex car cela garantit l’échange constant de données sur les tendances migratoires importantes, ainsi que le partage des meilleures pratiques. Enfin, Frontex assure la liaison entre les États membres afin de faciliter les retours conjoints de ressortissants d’un même pays. Elle veille à ce que tous les rapatriés soient regroupés dans un État membre d’où part un avion de retour.
Les raisons des défaillances de Frontex
Un manque flagrant d’attention accordée au respect des droits humains
Depuis sa création, Frontex a été à plusieurs reprises critiquée pour son traitement des migrants lors d’opérations conjointes. Des rapports, des enquêtes et des témoignages ont montré la pratique régulière de refoulement de migrants interceptés vers leur port de départ, comme les territoires libyens. La protection contre les retours forcés vers des lieux de persécution potentielle est connue sous le nom de principe de non-refoulement, et le non-respect de ce principe constitue une violation du droit international et européen.
De nombreux experts juridiques ont souligné l’obligation pour Frontex de respecter ce principe, quels que soient le lieu des opérations et le contexte, comme dans le cas d’un afflux massif. Cependant, nombreuses sont également les inquiétudes quant à son application dans la pratique car, sans contrôle et sans transparence, elle reste difficile à assurer. Les agents de Frontex peuvent donc agir avec une grande latitude dans leurs opérations.
Face aux preuves désormais avérées de non-respect des codes de conduite par Frontex, Tineke Strik estime que les défauts de Frontex sont qu’ « elle ne s’accompagne pas de freins et contrepoids. Elle est unique par sa taille et son mandat fort, elle a exactement les mêmes règles d’organigramme qu’une agence menant des recherches dans le domaine de la médecine, par exemple. Il est très étrange qu’elle n’ait pas obtenu de contrôle externe. » Entre le début de l’enquête de l’OLAF et celle du Frontex Scrutiny Working Group (FSWG) dans la foulée, l’agence n’a fait montre d’aucun signe de progrès ou de volonté de changer.
Frontex, une autre grande muette
Premièrement, il est clair que Frontex n’a prêté aucune attention aux acteurs externes tels que les organes et organisations nationaux et internationaux de défense des droits de l’homme, qui ont régulièrement signalé en vain des violations des droits fondamentaux à la frontière dans un certain nombre d’États membres. Ces dernières années, Frontex n’a pas jugé nécessaire de répondre aux nombreuses sollicitations du Parlement européen, dont elle dépend pourtant directement en matière budgétaire. Pour Sylvie Guillaume, eurodéputée française du Parti socialiste et siégeant à la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) interrogée pour cette étude : Depuis 2015 et le développement rapide des effectifs et des tâches de Frontex, il y a certainement un manque de contrôle, car Frontex n’est plus la petite agence qu’elle était, et un désaccord entre les différents acteurs sur le fonctionnement de l’agence s’est développé. À l’époque où il était directeur exécutif, Fabrice Leggeri s’est délibérément abstenu de coopérer pour assurer le respect de certaines des dispositions du nouveau mandat de Frontex, notamment sur les droits fondamentaux, ce qui a entraîné des retards importants. Le Parlement européen, qui pourrait fonctionner comme un mécanisme de contrôle démocratique, ne peut superviser les opérations de Frontex que dans une mesure très limitée, car il n’est pas pleinement informé et n’est pas en mesure de demander des comptes à la direction de l’agence.
L’agence est aussi particulièrement discrète sur sa relation avec les sociétés de sécurité, de plus en plus importante. De plus, l’agence semble lancer peu d’enquêtes sur les failles signalées en interne, faisant preuve d’un manque de rigueur dans ce domaine également.
La culture du secret de Frontex complique également son contrôle administratif. L’évolution de l’agence est allée dans le sens d’une responsabilité administrative accrue, avec la possibilité d’audits et d’enquêtes sur les plaintes par d’autres institutions de l’UE mais, dans l’ensemble, le fonctionnement interne de Frontex et la façon dont elle a géré son expansion rapide ont fait l’objet de très peu de contrôle étant donné que la responsabilité reste limitée aux mécanismes post hoc.
Des lacunes ont également été identifiées dans la coopération avec les États membres, tant en matière de tâches générales que de respect des obligations de Frontex en matière de droits fondamentaux.
Une vision et des pratiques à réinventer pour Frontex et l’Europe
Un double discours, entre sécurisation et respect des droits de l’homme
Comment l’image humanitaire des États membres et des institutions de l’UE peut-elle coexister avec les paroles de responsables politiques qui contribuent directement et indirectement à l’insécurité des personnes migrantes ? Si le discours et le comportement de Frontex paraissent paradoxaux, ils incarnent en réalité toutes les contradictions de la politique migratoire européenne, mêlant justement sécurisation et respect des droits de l’homme.
Ce système, au lieu de s’inspirer de la forme classique de pouvoir qui consiste à « surveiller et punir », semble davantage obéir à une logique du « surveiller et laisser périr ». Les institutions accordent une grande attention aux migrants ; elles surveillent leurs mouvements, les trient selon leurs différents statuts, évitent à tout prix leur entrée dérégulée ; mais elles ne les punissent pas comme des citoyens classiques. Elles freinent le processus global de migration depuis les pays du Sud, laissent les migrants emprunter des routes extrêmement dangereuses et les refoulent, quel que soit leur statut, vers des zones où leur sécurité n’est pas garantie.
Le renforcement des frontières rend en effet les routes européennes de plus en plus compliquées à franchir pour les migrants, de plus en plus périlleuses, et donc meurtrières. Frontex ne compte pas ces morts car ce sont les politiques qu’elle mène qui les engendrent. Si l’agence mettait en place tout un processus de reconnaissance des corps, de contact des familles ou de droit à un enterrement digne, elle consacrerait alors la reconnaissance de la singularité des personnes migrantes. Les événements comme ceux survenus à Melilla en juin 2022, ou au large de la Grèce en juin 2023, prouvent que, derrière ces chiffres de décès liés à l’immigration, aucune importance n’est accordée aux individus. Tout cela s’inscrit dans le processus plus large de désingularisation des migrants, construits comme indésirables et illégitimes. Ce sont ces discours, et les pratiques qui en découlent, que Frontex et l’Europe doivent changer.
Pour une nouvelle politique migratoire européenne, plus juste
Une première série de réponses pourrait venir des changements rapides attendus de Frontex, censée incarner l’unification de la politique migratoire européenne. Frontex doit d’abord établir de nouvelles normes en matière de transparence et de responsabilité.
Les pistes d’amélioration de l’agence résident également dans la recherche d’une doctrine de travail unifiée, en réaction à une précédente direction qui entretenait volontairement le flou sur la surveillance des droits fondamentaux, par exemple. Il manque encore un cadre généralisé de doctrine opérationnelle qui donne des informations claires aux États, mais aussi aux agents sur le terrain. Mais l’agence ne peut évoluer dans le bon sens que s’il existe une volonté politique claire de la part des États membres. Il est essentiel que la partie des droits de l’homme joue un rôle de premier plan dans ces discussions.
Accorder une plus grande attention au respect des droits humains implique toutefois que les États membres entretiennent une relation de confiance avec Frontex. Aujourd’hui, certains pays y regardent à deux fois avant de solliciter l’agence, voire se montrent réticents. Ils craignent une action et un regard intrusifs sur leurs frontières extérieures. C’est le cas de la Pologne, qui est très mobilisée face aux conséquences de la guerre en Ukraine et qui, malgré cela, ne demande pas à Frontex de l’aider à gérer l’afflux massif d’entrées sur son territoire. Le travail de l’agence ne peut donc se faire que si elle établit une relation de confiance avec les pays, en justifiant l’utilité de son aide pour unifier le droit, tout en évitant les soupçons d’intrusivité.
D’autres agences européennes comme Europol, visant à favoriser les échanges d’informations entre polices nationales sur des enjeux de criminalité internationale comme le trafic de drogue à travers l’Europe, exercent un contrôle sur les pays et prouvent qu’un rapport de confiance exigeant est possible. Cela nous conduit à une problématique plus large que la seule refondation de Frontex, à savoir une meilleure gestion globale de la politique migratoire européenne, plus humaine donc, mais aussi plus unifiée et solidaire.
L’objectif pour l’Europe est de présenter la « crise migratoire » comme un défi commun : en échange de quelques pistes d’aide au développement et de voies de migration légale, les pays du Sud de départ ou frontaliers lui garantissent le retour et la réadmission de migrants en situation irrégulière. Cette logique constitue d’abord un grand risque de violation des droits humains, comme le montre clairement l’exemple libyen, où des abus systématiques sur les migrants ont été largement documentés. Elle perpétue également le rapport déséquilibré entre les pays du Nord et du Sud, en associant fermeté sur l’immigration à aide financière ou au développement. D’autant plus que, depuis son application, ce processus d’externalisation se révèle tout à fait inefficace pour endiguer les mouvements d’immigration. Les routes que les autorités des différents pays se chargent de fermer ne font qu’en créer de nouvelles plus dangereuses et plus coûteuses pour les migrants.
Quant aux migrants qui sont parvenus à effectuer la traversée et à déposer une demande d’asile, le pacte prévoit pour leur répartition un compromis perçu comme largement insuffisant par les pays de première entrée, comme la Grèce et l’Italie. Pour trouver une alternative au règlement de Dublin, le pacte propose en effet une solidarité à plusieurs vitesses aux États membres, laissant le choix d’éviter l’accueil des migrants par une contribution financière partielle à leur retour ou aux centres d’accueil, ou encore leur assignant un devoir d’assistance en cas de trop forte pression migratoire.
Par ailleurs, malgré quelques ambitions esquissées dans ce nouveau pacte, très peu de nouvelles pistes légales de migration sont dessinées – laissant présager la poursuite de l’engorgement des demandes d’asile, faute d’alternative pour les migrants économiques. En effet, malgré l’ouverture en direction des travailleurs hautement qualifiés dans la directive « carte bleue » adoptée dès mai 2009, les possibilités d’immigration économique restent trop peu explorées par la Commission européenne. Ce manque étonne, tant le contexte de chute démographique européenne et de dynamisme économique et migratoire des pays du Sud invite à de nouvelles politiques plus ambitieuses issues de ce pacte.
La juste manière de combattre les discours et les fausses perceptions sur l’immigration en Europe serait d’y opposer les faits clairs qui viennent d’être évoqués, et non d’entrer dans un cercle vicieux consistant à reconnaître ces fausses craintes et à vouloir y apporter de fausses résolutions. La politique européenne a trop longtemps suivi ce chemin, avec les coûts humains, financiers et politiques détaillés tout au long de ce rapport.
Au nom de la recherche du compromis et de la cohésion, la Commission européenne maintient cette vision restrictive de l’immigration depuis 1999 et le transfert des compétences de politiques d’asile et d’immigration des États membres à l’échelle européenne. En réalité, elle s’est laissé contaminer par une conception très précise de l’immigration, défendue par des fonctionnaires issus des ministères de l’Intérieur des différents États membres ayant accédé aux comités et autres responsabilités politiques européennes. Cette conception laisse peu de place à une vision plus modérée de l’immigration, plus conforme à l’opinion publique ou même à celle de membres des gouvernements des États de l’UE – à l’exception de certains pays comme la Hongrie, par exemple.
Un nouveau pacte
Un véritable nouveau pacte sur l’asile et l’immigration reconnaîtrait d’abord à quel point il est important de redéfinir les liens entre l’Europe et les pays du Sud. Ces relations ne seraient plus fondées sur l’instrumentalisation de l’aide au développement pour permettre des contrôles aux frontières, et verraient la fin de toute activité politique ou économique aux conséquences désastreuses. Il serait notamment question de revoir les accords signés, comme ceux avec la Turquie, qui, selon la convention de Genève, méprisent le droit d’asile de dizaine de milliers de réfugiés, et de refuser tout accord futur de même nature, d’autant plus avec des pays connus pour le mauvais traitement qu’ils infligent à leur population immigrée. Les aides et les accords signés s’orienteraient davantage en direction des pays dont le nombre de migrants dits illégaux est le plus important, et non vers ceux dont la capacité à juguler les mouvements d’immigration vers l’Europe semble la meilleure.
Mettre en place une telle politique nécessite forcément de traiter dans le même temps les raisons structurelles des politiques restrictives d’immigration, et de s’attaquer notamment aux discours xénophobes et racistes, en regardant notre passé colonial en face, déconstruisant ainsi des imaginaires cultivés depuis des dizaines d’années.
L’agence Frontex concentrerait ses missions sur l’évaluation des risques réels pour l’Europe, comme les trafics d’armes, de drogue ou d’êtres humains, au lieu d’aborder des populations vulnérables comme des « risques ». Elle participerait également à l’amélioration des conditions d’accueil dans les camps de migrants et veillerait réellement, dans ces camps comme sur ses autres théâtres d’opérations, au respect de ces populations par les garde-frontières.
Dans cette logique, l’Union européenne pourrait également militer pour une gouvernance multilatérale des mouvements de migration. Elle inciterait notamment les organisations internationales en charge de l’immigration, comme l’OIM ou l’UNHCR, et l’ONU plus généralement, à rediscuter des politiques migratoires, pour mieux s’assurer du respect des droits humains et mieux prendre en compte les intérêts de chaque partie prenante, en particulier les migrants. Un réel pacte instaurant une gouvernance multilatérale pourrait alors être signé entre les États concernés par les mouvements de migration du départ à l’arrivée, les organisations internationales, les migrants et les acteurs associatifs qui soutiennent ces derniers.
Conclusion
Frontex est devenue l’agent de la militarisation des frontières européennes depuis sa création. Fondant son fonctionnement sur l’analyse des risques, Frontex a contribué à la perception des frontières européennes comme d’une forteresse assiégée, liant le trafic de drogue et d’êtres humains à des mouvements migratoires plus larges. Se présentant au départ comme un simple agent d’harmonisation des frontières, elle a en effet été rapidement promue à de nouvelles missions, devenant un instrument politique, tant pour les États membres que pour les institutions européennes, de répondre à tous les drames aux frontières, et de promettre ainsi qu’une augmentation du budget de Frontex et un élargissement de ses prérogatives s’accompagneraient d’une diminution du nombre de morts en mer – ce qui n’a pas été le cas.
Frontex s’est révélée complice, voire responsable de nombreuses violations des droits de l’homme que les institutions et organisations internationales mettent en lumière depuis de nombreuses années. Cela montre que le problème des politiques européennes aux frontières dépasse largement la seule agence Frontex, qui reste dépendante d’un conseil d’administration composé d’États membres. Il appartient donc à ces derniers de comprendre que des changements drastiques dans leur perception des frontières sont nécessaires, et que leur soumission aux discours xénophobes de l’extrême droite n’a que trop duré.
Il s’agit de faire évoluer les discours, de comprendre que l’Europe a et aura un sérieux besoin de filières légales d’immigration, et que les augmentations successives du budget et l’élargissement des responsabilités de Frontex ne résolvent en rien les situations dangereuses aux portes de l’Europe. De nombreux commentateurs estiment que le plan que construit la Commission européenne depuis plus de deux ans pourrait être beaucoup plus audacieux, pour enfin faire face aux préjugés de l’Europe sur la migration et adopter des politiques qui obéissent aux valeurs fondamentales que le Vieux Continent prétend défendre.
Photo d’en-tête : Un bateau de migrants au large de la Libye. REUTERS/Hani Amara/File Photo