Dans le monde de la biologie, la communication entre les plantes et leur environnement demeure l’un des champs les plus mystérieux et intrigants. Au cœur de ce domaine se trouve l’étude de l’acoustique des plantes, une discipline émergente qui explore la manière dont les plantes perçoivent, réagissent et émettent des sons. Longtemps méconnue, la phytoacoustique suscite un intérêt nouveau face aux trois défis de l’agriculture mondiale : l’augmentation des besoins, le changement climatique, les méfaits des pesticides. Loin d’être de simples spectateurs silencieux dans l’orchestre de la vie, les plantes orchestrent une communication complexe et fascinante à travers le son, révélant un monde vibrant d’interactions acoustiques que la science commence tout juste à déchiffrer. Plongée dans le mystérieux concert de la nature où les protagonistes les plus inattendus – les plantes – jouent une mélodie cachée, essentielle à leur survie et à leur prospérité.
Historiquement, l’idée que les plantes puissent percevoir des sons remonte au moins à l’Antiquité, mais ce n’est que dans les dernières décennies que des preuves scientifiques ont commencé à émerger. Les premières études formelles sur l’acoustique des plantes datent des années 1960 et 1970, mais c’est au XXIe siècle que la recherche a véritablement pris son envol, grâce à des avancées technologiques permettant d’observer et de mesurer avec précision les réponses des plantes aux stimuli sonores.
Aux origines de l’acoustique des plantes
Les premières réflexions sur la sensibilité des plantes aux stimuli externes remontent à l’Antiquité, avec des penseurs comme Aristote s’interrogeant sur les capacités sensorielles des plantes. Toutefois, ces idées restaient largement spéculatives et anthropomorphiques, sans preuves empiriques pour les étayer. L’intérêt scientifique moderne pour l’acoustique des plantes a commencé à se manifester dans les années 1960 et 1970, marquant une période où les chercheurs ont commencé à examiner de manière plus rigoureuse la possibilité que les plantes puissent percevoir et répondre aux sons. Ces premières études étaient souvent limitées par la technologie de l’époque et par l’absence d’un cadre théorique solide pour interpréter les résultats.
L’avènement de technologies avancées de mesure et d’analyse a permis une exploration plus précise et plus profonde de l’acoustique des plantes au cours du XXIe siècle. Les chercheurs ont désormais accès à des équipements tels que les microphones à haute sensibilité, les capteurs de vibration, et les logiciels d’analyse sophistiqués dont l’intelligence artificielle, leur permettant de détecter et d’analyser les sons émis par les plantes et les réponses de ces dernières aux stimuli sonores externes. Une étude pivot dans le domaine a été réalisée par des chercheurs de l’Université de Bristol, qui ont découvert que les plantes pouvaient réagir aux sons des pollinisateurs en augmentant la concentration en sucre de leur nectar, une adaptation visant à attirer davantage ces insectes. Cette recherche, publiée dans The Annals of Botany, a fourni des preuves concrètes que les plantes sont capables de détecter et de répondre de manière adaptative aux sons de leur environnement.
Une autre étude marquante, conduite par des scientifiques de l’Université de Western Australia, a révélé que les racines des plantes pouvaient « écouter » les sons de l’eau en cours d’écoulement et orienter leur croissance en direction de ces signaux sonores. Ces résultats, publiés dans Oecologia, ont souligné l’importance des stimuli acoustiques dans le comportement de recherche de ressources des plantes.
Les plantes et la perception du son
Les plantes n’ont pas d’oreilles, mais elles peuvent percevoir les vibrations sonores grâce à divers mécanismes. Selon une étude publiée dans la revue Science en 2019, les plantes peuvent détecter des vibrations à travers leurs cellules et leurs tissus, ce qui leur permet de réagir à des fréquences sonores spécifiques. Cette perception peut affecter leur croissance, leur floraison, et même leur communication avec d’autres organismes.
Au cœur de l’acoustique des plantes se trouve la capacité des végétaux à percevoir et à répondre aux vibrations sonores. Contrairement aux animaux, les plantes n’ont pas de système nerveux centralisé ni d’organes sensoriels dédiés à l’audition. Cependant, elles possèdent des mécanismes sophistiqués leur permettant de détecter des changements dans leur environnement, y compris des vibrations sonores.
Les plantes détectent les vibrations sonores à travers une série de mécanismes cellulaires et moléculaires. Les chercheurs ont identifié que les racines des plantes, en particulier, jouent un rôle crucial dans la perception des sons. Les cellules au sein des racines peuvent capter les vibrations sonores de l’environnement, ce qui déclenche une cascade de signaux chimiques à l’intérieur de la plante. Ces signaux peuvent induire diverses réponses physiologiques, comme l’orientation de la croissance des racines vers la source du son ou l’adaptation des processus de photosynthèse en réponse aux signaux perçus par l’ouverture des stomates (les pores à la surface des feuilles). Les signaux acoustiques peuvent même entraîner la production de certains composés chimiques.
L’une des découvertes les plus fascinantes concerne la manière dont les plantes ajustent leur comportement en réponse aux sons spécifiques de leur environnement. On l’a vu, des recherches ont montré que les plantes exposées aux sons de pollinisateurs, tels que les bourdonnements d’abeilles, peuvent augmenter la concentration de sucre dans leur nectar, rendant ainsi leurs fleurs plus attrayantes pour ces insectes. Cette capacité d’adaptation suggère une forme d’écoute et de réponse ciblée aux stimuli sonores environnementaux augmentant ainsi les chances de pollinisation.
Le chant des plantes
Les plantes entendraient, mais elles pourraient aussi parler. Des recherches ont identifié que certaines plantes émettent des sons à des fréquences particulières lorsqu’elles sont soumises à un stress, comme un manque d’eau. Ces sons pourraient servir à alerter les plantes voisines de conditions environnementales défavorables, déclenchant ainsi des réponses adaptatives préventives, telles que la modification de leur métabolisme hydrique pour conserver l’eau.
Fin 2023, pour la première fois au monde, des chercheurs de l’université de Tel-Aviv ont enregistré et analysé des sons émis distinctement par des plantes. Les résultats, publiés dans la revue scientifique Cell, suggèrent l’existence de sons végétaux produits par les plantes en état de stress. Ce sont plus précisément des ultrasons, produits à des fréquences situées entre 20 KHz et 100 KHz, soit trop élevées pour l’ouïe humaine, dont le champ auditif (gamme de fréquences sonores audible) ne dépasse que rarement les 16 KHz.
Les chercheurs découvrent également que ces sons sont influencés par l’état de la plante. « Avant de placer les plantes dans la boîte acoustique, nous les avons soumises à différents traitements : certaines n’avaient pas été arrosées depuis cinq jours, d’autres avaient eu la tige coupée et d’autres encore étaient intactes« , explique Lilach Hadani. En moyenne, les plants de tomates stressés par la sécheresse ont produit 35 sons par heure, quand les plants de tabac en ont émis 11. Face à la coupe de leurs tiges, les plants de tomates se sont cette fois faits entendre 25 fois au cours de l’heure suivante, contre 15 pour les plants de tabac. Les plantes en bonne santé qui, a priori, ne manquent de rien n’émettent qu’un seul son par heure. Des plantes qui manquent d’eau ou dont le feuillage ou la tige sont abîmés peuvent émettre plusieurs dizaines de ces bruits de craquement par heure. Les scientifiques israéliens ont par exemple constaté que des plants de tomates faisaient peu de bruit lorsqu’ils étaient arrosés mais qu’au bout de quatre ou cinq jours sans eau, la fréquence des sons enregistrés augmentait.
Ces enregistrements ont ensuite été analysés par une intelligence artificielle préalablement entraînée à faire la distinction entre les sons des plantes, du vent, de la pluie et les autres bruits susceptibles de résonner dans la serre. Les algorithmes ont pu déterminer le type et le niveau de stress de chaque plante à partir des enregistrements. L’étude s’est principalement concentrée sur les plants de tomates et de tabac, mais le blé, le maïs, le cactus et une variété de fleur ont également été enregistrés. Les chercheurs suggèrent que cette propriété peut s’appliquer à l’ensemble du règne végétal.
L’hypothèse est que ces sons seraient liés à des bulles d’air qui se forment ou se dilatent dans la tige lorsque la plante subit un stress. Qui peut capter ce message ? Les chercheurs supposent que ces ultrasons émis par les plantes sont détectés par d’autres êtres vivants à proximité : des chauves-souris, des insectes, ou d’autres plantes. Ils sont ainsi alertés sur un manque d’eau, sur la présence de maladies ou de parasites qui attaquent les feuilles.
Ces travaux vont se poursuivre mais ils ouvrent déjà des pistes pour l’agriculture. Car en captant ces sons avec des micros adaptés, les producteurs pourraient avoir une connaissance plus fine, en temps réel, des besoins de leurs plantations.
Implications écologiques et agricoles
La compréhension des mécanismes de perception sonore chez les plantes a des implications significatives pour l’écologie et l’agriculture. Elle suggère que les plantes sont beaucoup plus actives dans leur environnement qu’on ne le pensait, capable de détecter et de réagir à des menaces potentielles ou à des opportunités telles que la présence de pollinisateurs. Cette sensibilité pourrait être exploitée pour développer de nouvelles stratégies de protection des cultures contre les ravageurs ou pour améliorer la pollinisation et, par conséquent, le rendement des cultures.
La possibilité d’utiliser des sons pour influencer positivement la croissance et la santé des plantes est une perspective prometteuse pour l’agriculture. Des études ont montré que certaines fréquences sonores peuvent stimuler la germination des graines, la croissance des racines, et même augmenter la production de biomasse. Par exemple, une recherche publiée dans Scientific Reports a révélé que l’exposition au son à des fréquences spécifiques pouvait améliorer la croissance des plants de riz. Cette découverte suggère que le son pourrait être utilisé comme un outil non invasif pour stimuler la croissance des cultures, réduisant potentiellement le besoin d’engrais chimiques.
Résistance aux maladies et aux prédateurs
La résistance aux maladies est un autre domaine où l’acoustique des plantes pourrait avoir un intérêt significatif. Les plantes exposées à certains types de sons peuvent activer des voies de signalisation qui renforcent leur système immunitaire. Cela pourrait les rendre moins susceptibles aux attaques de pathogènes et de parasites. Bien que la recherche soit encore à ses débuts dans ce domaine, l’application de sons spécifiques pour induire une « immunité » chez les plantes représente une stratégie prometteuse pour réduire l’utilisation de pesticides.
Une étude publiée dans Pest Management Science a examiné l’efficacité des sons ultrasoniques pour repousser différents types d’insectes ravageurs des cultures. Les résultats ont indiqué qu’une exposition continue à certaines fréquences ultrasoniques pouvait réduire significativement la présence d’insectes sur les plantes traitées. Bien que les résultats varient selon les espèces d’insectes et les conditions expérimentales, cette recherche souligne le potentiel des méthodes acoustiques dans la gestion intégrée des nuisibles.
Une autre recherche, menée par des scientifiques et publiée dans Nature Communications, a exploré comment les sons affectent le comportement de reproduction des moustiques, un vecteur important de maladies et un ravageur dans certaines régions agricoles. Les chercheurs ont découvert que l’exposition à des fréquences sonores précises pouvait perturber les schémas de vol des moustiques, affectant ainsi leur capacité à s’accoupler. Ces découvertes ouvrent des pistes pour le contrôle des populations de moustiques et d’autres insectes ravageurs par des moyens non chimiques.
Amélioration de la pollinisation
L’influence des sons sur la pollinisation est particulièrement intrigante. Comme mentionné précédemment, certaines plantes peuvent augmenter la concentration de sucre dans leur nectar en réponse aux sons des pollinisateurs, rendant leurs fleurs plus attrayantes. Cette adaptation suggère que des environnements sonores soigneusement conçus pourraient augmenter la visite des pollinisateurs, améliorant ainsi la reproduction des plantes. Une telle stratégie pourrait être particulièrement utile dans les zones agricoles où les populations de pollinisateurs sont en déclin.
Conséquences sur les écosystèmes
Au-delà de l’agriculture, l’acoustique des plantes offre des perspectives prometteuses sur le fonctionnement des écosystèmes. La communication sonore entre les plantes et les autres organismes joue un rôle dans la pollinisation, dans la défense contre les herbivores, et potentiellement dans la compétition entre les plantes pour les ressources. Comprendre ces interactions peut aider à révéler les mécanismes sous-jacents qui maintiennent la biodiversité et la résilience des écosystèmes. Les sons de l’environnement, qu’ils proviennent d’animaux, du vent, ou de l’eau, influencent le développement des plantes, leur santé et leur capacité à se reproduire. Explorer comment ces interactions sonores peuvent être manipulées ouvre de nouvelles voies pour améliorer l’agriculture et comprendre les écosystèmes.
Dans une perspective d’intense changement climatique, qui s’apprête à exposer de plus en plus de régions et leurs cultures à la sécheresse, il pourrait s’avérer capital de savoir « écouter » l’appel de nos plantes, lorsque celles-ci en ont le plus besoin.
Marine Barrio, UP’ Magazine
Image d’en-tête : © UP’ Magazine
Cet article a été publié la première fois dans UP’ Magazine le 6 mars 2023