Après des années de blocage au niveau européen, 19 des 28 pays de l’Union européenne ont demandé, début octobre, l’interdiction de la culture d’OGM sur – une partie – de leur territoire. Le clivage entre les États membres est emblématique de la stérilité du débat sur les OGM.
Trop souvent, ce débat semble se résumer à la confrontation entre deux camps aux positions diamétralement opposées. D’un côté, les « anti-OGM » dénoncent le fanatisme technologique des « pro-OGM » qui sont à la botte d’entreprises comme Monsanto, Syngenta ou Pioneer. De l’autre côté, les pro-OGM semblent ne voir que des avantages à leur introduction, accusant les premiers d’être des obscurantistes anti-science, et allant parfois jusqu’à les comparer à des climato-sceptiques guidés par des instincts primaires.
Pourtant, chaque camp est loin de proposer une argumentation parfaitement étayée, exempte de lacunes. Sommes-nous d’ailleurs vraiment confrontés à deux authentiques conceptions rationnelles ? Ou avons-nous plutôt affaire à des positions dogmatiques constituant deux faces d’une même pièce, empêchant l’évolution et peut-être l’existence même du débat ?
La question du modèle agricole
Si les positions pro-OGM se résument à prêcher l’universalité de la technologie, et que les positions anti-OGM prennent leur exact contre-pied (la technologie serait néfaste par principe), peut-on encore parler de « débat » ? Si débat il y a, quel intérêt pourrait-il bien revêtir ? Plus important encore, ce débat, n’est-il pas, de plus, toxique ? En effet, l’antagonisme des positions risque de conduire à l’occultation d’une question cruciale : quels sont les objectifs à atteindre ?
En d’autres termes, avant de poser la question de la légitimité et la pertinence du recours à une technologie, avant de se prononcer sur sa condamnation ou ses louanges, il conviendrait de déterminer ce qu’on en attend et selon quelles modalités elle pourrait être déployée. Dans le cas des OGM, on ne peut donc être « pour » ou « contre » qu’à condition d’avoir préalablement défini le modèle agricole souhaitable. Cette définition doit se faire au travers d’une réflexion qui, n’en déplaise à certains, n’est pas une réflexion scientifique (bien qu’elle puisse être scientifiquement informée), mais politique.
Définir le modèle agricole souhaitable demande d’identifier les problèmes du modèle actuel qui, et c’est probablement le seul point de consensus entre les deux camps, ne convient plus. Par exemple, l’industrialisation, la surproduction, la centralisation de savoirs (et une perte de ceux-ci au niveau de la ferme), l’exode rural, l’externalisation des impacts environnementaux, la privatisation du vivant, l’érosion de la biodiversité et l’appauvrissement génétique sont des défauts particulièrement inquiétants du modèle actuel. Avant d’inclure l’une ou l’autre technologie dans notre agriculture, il faudra d’abord déterminer sa capacité à fournir des solutions à ces problèmes.
Absence de véritable contrepoids
Force est de constater que dans l’état actuel des choses, le déploiement des OGM n’apporte que peu de réponses aux problèmes de l’agriculture conventionnelle. En effet, l’écrasante majorité des OGM commercialisés n’offrent qu’une résistance aux herbicides (les fameux Round Up Ready) ou aux insectes (les OGM Bt). Les premiers nécessitent un apport constant en pesticides, une solution difficilement défendable compte tenu de l’impact des pesticides sur l’environnement et la santé. Les seconds, s’ils peuvent mener à une réduction du recours aux pesticides à court terme, n’apportent pas de solutions à plus long terme. Ils ne règlent pas, par exemple, le problème de l’apparition d’organismes résistants aux pesticides. Si certains OGM pouvaient être considérés comme bénéfiques (comme le Golden Rice, souvent cité), ces applications sont rares. Et c’est précisément l’absence de débat public sur les problèmes que devraient résoudre les OGM qui entretient cette rareté. Les discussions actuelles laissent le champ libre aux grandes entreprises. En l’absence de contrepoids, seuls les intérêts de ces dernières sont pris en compte, et ceux-ci n’équivalent que rarement à l’intérêt collectif.
En somme, il convient d’élargir le débat, en prenant en compte l’ensemble des problèmes auquel fait face l’agriculture conventionnelle, dépassant dès lors la simple question du recours aux OGM. Il ne s’agit pas seulement de rendements, de bénéfices et de santé. Quand bien même la communauté scientifique tendrait vers un consensus sur l’absence de risques pour la santé, celui-ci ne fournit pas, à lui seul, un argument suffisant à leur déploiement généralisé.
Les risques environnementaux (en particulier la perte de biodiversité agricole) ainsi que la place de chaque acteur dans la chaîne de production, ou encore l’autonomie et la reconnaissance des agriculteurs sont autant de questions qu’on se doit de poser. S’il est reconnu que l’autonomie et la reconnaissance des agriculteurs est importante, il est problématique que les OGM soient la propriété exclusive de grands groupes agro-industriels. Ce qui ne signifie pas pour autant que de tels groupes (ou d’autres acteurs économiques importants) soient absolument indésirables. Le coût de développement des OGM étant très important, les structures de recherche et développement du secteur privé pourraient s’avérer utiles. Néanmoins, la place accordée au secteur privé ne doit pas empêcher un processus de décentralisation des savoirs agricoles et une réelle réappropriation de l’innovation par les agriculteurs.
Enfin, il faut également résoudre les problèmes liés à l’indépendance des investigations scientifiques évaluant les risques associés aux innovations tels que les OGM. Le manque de rigueur et de transparence de la procédure d’évaluation des OGM par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui se base en grande partie sur des données scientifiques non publiques, est particulièrement inquiétant.
En dépassant leurs propres oppositions, les pro et anti-OGM pourraient s’enrichir mutuellement, mais également débusquer ceux qui ne défendent en réalité que leurs propres intérêts. Ce sont ces derniers qui forment le véritable obstacle à une agriculture servant avant tout l’intérêt collectif.
Brendan Coolsaet et Mathieu Guillermin, Université Catholique de Louvain
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.