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Le combat citoyen au défi de la crise

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Les forces vives de la Société civile peuvent-elles neutraliser les cupides responsables de la crise ? L’espoir est permis mais rien n’est joué. Pour y parvenir, la Puissance publique estime indispensable de recourir à la mobilisation citoyenne. Or celle-ci n’a pas l’objectif de se sacrifier pour la patrie mais d’y rendre la vie meilleure. Cela ne se fera pas du jour au lendemain et nous oblige à repenser le fonctionnement de nos institutions .Comment nos concitoyens appréhendent-ils l’actuelle conjoncture ? Tel est le propos du présent débat.

Peinture © Annette Bloch-Jambet « Lutte de Jacob avec l’Ange »

Citoyenneté et Société Civile

droitshomme« La personnalité juridique reconnue à tout homme par la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 est comme une page blanche où il lui appartient d’apposer la marque de son esprit.» (1)

Depuis cette étape et ses retombées, les réseaux citoyens et organismes ayant vocation d’utilité sociale assument un rôle moteur dans le développement de la Société Civile. Les engagements de solidarité qu’elle encourage au sein de la vie associative lui permettent de satisfaire une double mission : contribuer à la démocratisation de la sphère politique et modérer l’emprise d’une rationalité économique tendant à s’imposer de nos jours à la raison d’Etat. Avec cette conséquence inquiétante « que le marché ne pouvant garantir la justice, dans la société monétarisée d’aujourd’hui, nous dépendons de forces qui ne sont maîtrisées par personne. » (2)

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Pour encourager l’avènement d’entreprises ayant d’autres objectifs que d’obéir à la seule loi du profit, le Labo de l’ESS (Economie sociale et solidaire), à l’issue de ses Etats généraux de 2011, a lancé un appel, contresigné par 200 personnalités et une trentaine d’organismes et dont je cite les extraits suivants : « La crise qui pèse sur les peuples n’est pas financière, elle est économique, écologique, sociale, morale et politique. Pour l’évacuer, le dualisme Marché- Etat ne suffit plus. Il devient indispensable de tenir compte de la Société civile, à travers ses engagements économiques et citoyens … Nous savons qu’une voie de transition est possible pour une autre économie fondée sur la solidarité. Cette voie implique :
– d’autres rapports démocratiques, par une écoute et une expression publique des citoyens,
– une autre conception de la richesse dans sa nature et dans sa répartition,
– le respect des ressources naturelles comme bien commun.(3)

Crise : menaces et opportunités

sondagesQu’en pensent les intéressés ? Un sondage réalisé en 2010 par la SOFRES « sur les priorités sociales des Français », à l’initiative du Mouves (Mouvement des entrepreneurs sociaux ),nous révèle que :
– 76 % d’entre eux estiment que la situation sociale s’est dégradée autour d’eux ,
– pour 28 % de l’échantillon, leur situation personnelle s’est empirée,
– tandis que 60 % estiment que leur propre situation est encore stable.

Nous sommes donc loin de la sinistrose amplifiée par certains medias et récusée par la quasi totalité des personnes que j’ai interrogées l’été dernier sur leurs attitudes face à la crise . Selon cette approche qualitative, l’inquiétude semble chez eux faire jeu égal avec un optimisme prudent.

Le premier souci de nos concitoyens les plus engagés est de «comprendre la conjoncture actuelle par un effort d’information, d’analyse et d’échange dans des réseaux de réflexion». Lui succède «une recherche de cohérence personnelle dans la vie quotidienne (simplicité, écologie) avec le souci d’ élargir cet espace personnel au maximum, pour occuper toujours plus son champ de liberté…en sachant que l’espoir fait vivre ! » (C.Charleux, enseignante et responsable associative.)

Le témoignage de G. Buffeteau, autre militant associatif, fait état «de réactions contradictoires de peur et d’enthousiasme. Peur des conflits que vont engendrer les nécessaires changements de société, enthousiasme pour les acteurs de la vie sociale qui dénoncent les incohérences et proposent des alternatives. »

Pour sa part, B. Sauvé, Ingénieur informaticien , engagé dans des mouvements caritatifs, exprime sa révolte à l’égard des responsables de la crise : « La période de décadence que nous vivons m’évoque la chute de l’Empire romain : pénurie d’énergie annoncée, faillite de l’Education nationale, destruction des valeurs paysannes essentielles à notre cohésion sociale…. J’ai la conviction que l’effondrement de nos systèmes déliquescents nous donnerait une chance de faire peau neuve. Ce qui m’indigne le plus, c’est l’indifférence de ma génération, voire son incurie devant ce naufrage. »

D’autres interlocuteurs, tel S.Bougaëff , médiateur en milieu bancaire.,n’ont pas de mots assez durs pour flétrir « l’impuissance de la classe politique à rediriger la masse monétaire stérile de la spéculation dans les secteurs productifs de l’économie réelle qui en ont le plus besoin, comme le logement…Ce qui aggrave notre malheur, c’est l’isolement des dirigeants politiques vis-à-vis d’autres milieux qui auraient beaucoup à leur apprendre en matière de gouvernance. »

Au chapitre des opportunités qu’offre l’état de crise, relevons tout d’abord qu’une grande partie de mes interlocuteurs voient en elles une raison de ne pas se décourager. Ils se reconnaissent « optimistes de résistance » ou « rêveurs de l’accessible », voire « dans l’espoir d’un avenir possible pour nos enfants. »

C’est ainsi que, selon l’analyse de F. Tardieu, universitaire et citoyenne militante, « la crise nous offre une occasion de faire cesser le gaspillage. Nul n’est forcé de nourrir des chiens énormes ! Je suis adepte de toutes les formes de troc, d’échanges , de partage (réseaux AMAP, associations pour le maintien d’une agriculture paysanne, SEL ,services d échanges locaux…) tout cela est bon. » Dans le même esprit, A. Lantièri, fondatrice d’une Ecole d’art tous publics, est conduite «à revoir ses échelles de valeur entre ce qui est important et ce qui est superflu, voire perturbant. En tant que mère de famille, c’est l’espoir qui me porte pour agir et soutenir l’avenir de nos enfants, qui se demandent avec inquiétude quelle sera leur place dans la Société. »

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La croissance en ballotage

rabhi2À l’heure présente, le débat citoyen a tendance à plébisciter, non pas le concept de « croissance zéro » dû, on s’en souvient, au Club de Rome, mais celui de croissance « bien tempérée » . Cette tendance coïncide avec la montée en puissance d’initiatives allant dans ce sens et l’intérêt accru de l’opinion pour les richesses renouvelables et la quête de l’épanouissement personnel. Pour l’humaniste P. Rabhi  » Il y a aujourd’hui à repenser la vie sur un mode qui soit à la foi sobre et puissant, c’est-à-dire à intégrer une communauté humaine qui se contente de peu mais produise de la joie ». (4)

L’essor de la discipline universitaire « Economie du bonheur», inspiratrice d’un grand nombre de publications vient renforcer ces courants. J’emprunte à L.Davoine, administratrice à la Commission européenne, la formulation qu’elle assigne aux objectifs de la croissance : « Ce n’est pas la croissance en tant que telle qui compte mais la façon dont elle est produite (et donc la qualité de l’emploi), la façon dont elle est consommée, distribuée, partagée . (5)

Très bien accueillie par mon panel, cette formulation citoyenne inspire ce commentaire à F. Deroy, socio-historienne : « Pour moi, une économie solidaire et équitable à l’échelle locale, nationale et internationale est la seule qui puisse convenir sans mener à la catastrophe . La vivre est utopique, en faire l’essai est une ascèse quotidienne, depuis le marché jusqu’à chacun des repas, en passant par les choix de sa vie privée. »

C. Charleux lui fait écho : « Je ne connais pas beaucoup la théorie de la décroissance et je pense que tout dépend à qui elle s’applique. Je suis surtout sensible aux terribles conditions de travail et de salaires dans certains pays. » Pour sa part, F. Tardieu « n’emploie pas non plus le mot « décroissance », très mal choisi. Nous pouvons chercher une croissance du bonheur, de la liberté, de l’autonomie, puisque les technologies le permettent. »

Ces comportements créatifs revêtent, selon le sociologue André de Peretti « une importance capitale dans la conjoncture actuelle, malgré leur portée le plus souvent restreinte, car ils nous donnent confiance en la vitalité des ressources de l’Humanité et lui sont un gage d’avenir. Il nous faut plus que jamais créer des lieux de rencontre ad hoc, pour rapprocher entre eux les créatifs de tous les domaines, si nous voulons hâter la mise en application de leurs découvertes et redécouvertes.»

La dimension éthique du combat citoyen

paix2Il est clair que l’objectif du combat citoyen n’est pas de conquérir des territoires ni des biens matériels sur des marchés. Il est, pour l’essentiel, de faire grandir les liens de solidarité dans nos sociétés et d’y diffuser une culture de paix. Ses plans de campagne ne se mûrissent pas dans le secret d’états-majors mais dans les espaces publics propices aux « dialogues en Humanité », titre du colloque annuel éponyme de Lyon. Les collectifs citoyens exercent deux missions essentielles pour notre avenir, à savoir :
– répondre aux besoins d’un Monde en crise et en mutation,
– instaurer et restaurer des relations de confiance au sein de nos groupes d’appartenance.

Tant il est vrai que « la confiance des membres d’une société les uns dans les autres et de tous dans leur avenir commun, est la seule ressource qui puisse transformer un désert en pays de Canaan.. » (6)

Illustrant la tradition philosophique selon laquelle « l’éthique est le fondement du bien agir » (7), G.Buffeteau estime que « L’éthique citoyenne est la manifestation sociale de l’altruisme et le fruit d’une co-éducation à la liberté individuelle. Ainsi définie, nous devons placer l’éthique dans notre projet de vie. » L’apprentissage de la citoyenneté, en effet, n’a que faire des sollicitations de nature contraignante et nul ne peut s’engager sur le chemin de l’éthique comme il obéirait à un ordre, mais pour mener à son terme la dynamique d’un questionnement. Car « si la morale commande, l’éthique recommande »,  selon la juste remarque de Ninou Garabaghi, chef de la section Ethique de l’Economie à l’UNESCO.

Ainsi s’explique que l’éthique puisse inspirer notre liberté quand elle nous interpelle sur notre rapport au Monde , c’est-à-dire sur notre destin. Un destin que, selon P. Castang, formateur, « l’éthique nous recommande de rejoindre avec persévérance, alors que notre raison d’être, notre voeu secret, central, ne se révèle à nous qu’à de certains moments. »

F.Deroy nous témoigne d’une expérience de cet ordre : « face à des conditionnements socio-économiques qui nous dépassent complètement, je suis partagée entre la tentation du découragement, de l’attentisme et la profonde certitude que seule compte la recherche de ce que j’entends par bonheur personnel : tendre vers le respect de ses intuitions les plus profondes. Si la sagesse passe à travers moi et témoigne pour moi, elle débordera à mon insu sur ma famille, mon quartier, mes entreprises, mon environnement. »

La sagesse des colibris

changerlemondeL’état de crise et sa persistance ne prennent pas au dépourvu ceux d’entre nous qui, grâce à leur fréquentation des artisans de paix et autres porteurs de sagesse, ont appris à maîtriser leurs comportements conflictuels et à mettre du sens dans leurs aspirations à une vie heureuse et altruiste. L’art de la médiation nous enseigne en outre que la culture de paix peut déborder avec succès d’un berceau initial, comme celui d’un conflit apaisé au sein d’un couple, pour accéder à des espaces de plus grande échelle et cela à des coûts très modestes. Ce qui est demandé au citoyen engagé dans un processus de cet ordre, ce n’est rien d’autre que « d’y faire sa part », comme dans la légende du colibri , où cet oiseau minuscule lutte contre un incendie de forêt en y déposant une par une ses gouttes d’eau . Initiée par P.Rabhi, cette philosophie a inspiré en 2007 un projet décentralisé qui propose à ses membres de « transformer la Société chacun à son échelle, et de contribuer à changer le Monde au pas à pas. » (ibidem).

Cette tactique n’est pas réservée aux personnes qui veulent limiter leurs ambitions. Bien au contraire. Avec d’autres démarches exigeantes, elle est destinée à ceux d’entre nous qui, pour être en harmonie avec leur entourage et trouver la paix intérieure, apprennent à renoncer au mirage de leur toute puissance et à participer à un effort collectif.

Pour le moment, le plus grande nombre de nos concitoyens semble se contenter d’une prudente résilience. Le baromètre du MOUVES (op.cit.) nous apprend en effet qu’à la question « Estimez-vous pouvoir faire bouger les choses autour de vous ? » : 
– 80 % des Français répondent par la négative,
– 89 % des jeunes sont dans le même cas ,
– 18 % déclarent s’y risquer un peu ,
– et seulement 1 % de nos compatriotes se disent capables de « faire beaucoup bouger les choses autour d’eux.»

Pour une démocratie substantielle

lhumaindabord2Quelles sont les perspectives ouvertes à ces centaines de milliers de personnes se disant agissantes sur l’état de la Société ou disposées à le devenir ? Quels obstacles rencontrent-elles ?

Le colloque organisé à Paris en mars 2002 par un collectif de plusieurs associations avait mis à son ordre du jour et soumis à un panel d’économistes en renom les questions suivantes :
– les approches citoyennes se voulant sociales et solidaires peuvent-elles prendre une place autre que marginale dans l’économie ?
– peuvent-elles faire évoluer celle-ci dans le sens d’une prise en compte par ses acteurs d’un développement plus respectueux de l’humain, de l’intérêt général, de la transparence, de la qualité…

Les débats, malgré leur forte audience, n’avaient pas permis l’émergence de réponses convaincantes en ces domaines. Notre économie était déjà trop engagée sur les voies de la catastrophe pour être à l’écoute de ses forces vives.

Ce qui est moins le cas aujourd’hui, la conjoncture présente incitant en effet au changement de cap, des espoirs nouveaux se font jour au sein de la Société civile, grâce notamment aux travaux et aux initiatives de think-tanks, comme le Labo de l’ESS, fondé en 2009. C’est ainsi que les 400 « cahiers d’espérance » rédigés l’an dernier à son instigation, pour la préparation de ses états généraux, font état du désir impatient des citoyens de trouver des lieux où se faire entendre aux fins d’agir en tant que pouvoir de régulation sur l’Economie. Ces désirs sont largement partagés par les personnes que j’ai consultées pour les besoins du présent dossier et en agrandissent les enjeux. Puisse cette utopie être prise au sérieux, comme le souhaite P. Calame, Président de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’homme, dans son plaidoyer pour une « Démocratie substantielle qui nous ferait retrouver la capacité de penser une communauté de valeurs et de destins et à peser ensemble, selon les bonnes méthodes, dans la bonne direction.» (8)

Nous devons à Stéphane Hessel la rediffusion cette année d’une conversation prémonitoire entre Sicco Mansholt et Pierre Mendès France, sur France Culture, en 1974 et dont la conclusion demeure inscrite à l’ordre du jour du combat citoyen de ce siècle : « les grands problèmes que nous avons à maîtriser, nos aspirations, nos craintes, nos périls, nos impératifs moraux, nous sont communs et ne peuvent être résolus par un seul pays.  Il est extraordinaire qu’ils n’aient jamais été ouvertement discutés par ceux qui ont leur mot à dire à ce débat, à savoir l’ensembles des peuples européens. » (9)

Nicole Van der Elst, journaliste

(Article paru dans Humanisme & Entreprise – 2012)

(1) Supiot A, 2005, » Homo juridicus ,essai sur la fonction anthropologique du droit, Seuil, Paris, p. 62.
(2) Perrot E.2009, « Franc-parler en temps de crise », Bayard. Paris p.122.
(3) www lelabo-ess.org
(4) www oasisentouslieux.org
(5) Davoine L. 2012, « Economie du bonheur », Paris, la Découverte, collection repères, p44
(6) Peyrefitte A, 1995, » Du miracle en économie », Odile Jacob, Paris p. 289.
(7) Perrot E, hiver 1990/91 « Une interrogation sans fin, Entreprise, la vague éthique», Projet p.32,
(8) Calame, P., 2012 « Sauvons la Démocratie » Editions CLM Paris,
(9) La crise, déjà , Revue France Culture papier, été 2012 p. 180.)

Références

– Calame, P., 2012 « Sauvons la Démocratie » Lettre ouverte aux femmes et hommes politiques de l’avenir », Editions CLM Paris,
– Collectif associatif, 2003, Actes du colloque « les citoyens peuvent-ils changer l’économie » , Editions CLM Paris,
– Davoine L,. 2012, « Economie du bonheur », Paris, la Découverte,
– Perrot E.2009, « Franc-parler en temps de crise », Bayard. Paris
– Perrot,,hiver 1990, Entreprise, la vague éthique», Projet
– Peyrefitte, A. 1995, » Du miracle en économie », Odile Jacob, Paris .
– Supiot A, 2005, » Homo juridicus ,essai sur la fonction anthropologique du droit, Seuil, Paris.

aller-plus-loin

Livre « Manifeste pour la Terre et l’humanisme » – P. Rabhi / Editions Actes Sud 
Livre « Pierre Rabhi : Le chant de la Terre » – Rachel Cartier, Jean-Pierre Cartier et Anne-Sophie Novel / Edition de La Table ronde
– Le Think Tank citoyen  « Europe Creative » 
Rapport octobre 2012 de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme / Edition La Documentation française

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