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Artificialisation des sols : les effets pervers de la construction à tout-va

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La biodiversité connaît une érosion massive et rapide : 1 million d’espèces animales et végétales sont aujourd’hui menacées d’extinction selon le dernier rapport de l’IPBES. Parmi les principales causes, figure l’artificialisation des terres provoquée par l’étalement urbain et les constructions diffuses, qui détruisent les habitats naturels et les continuités écologiques. Il devient urgent de freiner ce phénomène et de renaturer si possible les terres artificialisées. Dans le cadre du « plan biodiversité », présenté par le gouvernement l’été dernier, France Stratégie formule des propositions en ce sens. Atteindre l’objectif « zéro artificialisation nette » des sols est possible mais suppose des mesures très ambitieuses : il s’agit de viser une réduction de 70 % de l’artificialisation liée au bâti à horizon 2030.
 
Cette perte de la biodiversité est un « déclin sans précédent » auquel participe largement l’artificialisation des terres : étalement urbain et constructions diffuses détruisent les habitats naturels et les continuités écologiques nécessaires à la faune sauvage pour circuler. Il devient donc urgent de freiner l’artificialisation des terres et d’en renaturer certaines lorsque c’est possible.
C’est l’ambition portée par l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) inscrit au plan biodiversité présenté par le gouvernement à l’été 2018. Un objectif que le biologiste Julien Fosse, rapporteur, estime atteignable, dans un rapport pour France Stratégie, à condition notamment de modifier les règles d’urbanisme et de densifier l’habitat.
 
La perte d’espaces naturels, agricoles ou forestiers (ENAF), les parkings goudronnés, les entrepôts, les bâtiments, les routes, les réseaux ferroviaires, les zones pavillonnaires … c’est tout cela qui mène au processus d’artificialisation des sols. Il n’existe pas une artificialisation, mais bien des processus multiples, avec des impacts différents sur l’environnement. En France, d’après les données du cadastre, 3,5 millions d’hectares sont aujourd’hui artificialisés, ce qui représente 6,3 % du territoire métropolitain, une part plus élevée que chez nos principaux voisins, quand on la rapporte à la densité de population. Chaque année, cela représente 20 000 hectares supplémentaires de terres artificialisées. À ce rythme d’ici la fin du siècle, 18 % du territoire sera artificialisé, prévient l’IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales).
 

Les facteurs qui accélèrent l’artificialisation – Les dynamiques à l’œuvre

Le facteur démographique joue un rôle important mais partiel, la dynamique d’artificialisation se révélant plus rapide que la croissance de la population. La préférence des Français pour l’habitat individuel, qui les conduit à s’installer toujours plus loin des centres-villes et qui implique le déploiement d’infrastructures de transport, contribue également à cette dynamique.  Selon les sources, le taux moyen d’artificialisation pour la France varie, à titre d’illustration, de 16 000 à 61 000 hectares par an. Les données convergent en revanche pour montrer qu’en France, l’artificialisation est supérieure à la moyenne européenne et qu’elle augmente plus rapidement que la population.
S’y ajoutent les stratégies d’installation des entreprises en périphérie des pôles urbains, pour bénéficier d’un foncier moins cher. Enfin, les politiques de soutien au logement neuf peuvent aussi inciter à l’étalement urbain. 
 
Pour compléter les éléments du facteur démographique, l’augmentation de la population et plus encore du nombre de ménages – + 4,2 millions depuis 1999 – est loin de justifier en soi le grignotage progressif des espaces naturels. L’explication se trouve plutôt du côté des arbitrages des acteurs.
Les communes par exemple ont globalement intérêt à attirer l’activité sur leur territoire, donc à bâtir, et ce d’autant plus que la taxe foncière sur les propriétés bâties – 41 milliards d’euros en 2017 – est une ressource importante dans un contexte budgétaire contraint. Une incitation que les politiques de soutien au secteur immobilier et à l’accession à la propriété (prêt à taux zéro, dispositif Pinel) peuvent dans certains cas renforcer.
Les ménages, de leur côté, affichent en France une nette préférence pour l’habitat individuel qu’ils recherchent désormais plutôt en périphérie des grands centres urbains. Choix par défaut hier, c’est aujourd’hui (pour certains) un choix positif, celui de l’espace et de la proximité avec la nature, autorisé notamment par la baisse du coût des trajets domicile-travail en voiture. Enfin, le différentiel de prix du foncier et d’imposition locale entre centre et périphérie peut inciter les entreprises à implanter une partie de leurs activités à proximité immédiate des pôles urbains, entrepôts ou zones commerciales par exemple.
 
Ces tendances convergent : la périurbanisation, le « desserrement des villes » et la faible densification des nouvelles constructions (logements individuels en tête) contribuent à l’étalement urbain et donc à la progression de l’artificialisation. Cet étalement s’accompagne d’un « mitage des territoires » – un terme utilisé pour qualifier l’éparpillement diffus d’habitats et de constructions sur un territoire initialement rural. Mitage favorisé par la faible valeur de l’hectare agricole français (une des plus basses d’Europe), en comparaison de celle des terres urbanisables.
 
Enfin, facteur aggravant : le niveau élevé d’artificialisation des terres en France s’explique également par la sous-exploitation du bâti existant (logements et bureaux vides) et par le développement des résidences secondaires occupées de manière intermittente (résidences qui représentaient 9,5 % des logements en 2015).
 
Autre problème, et non des moindres de l’artificialisation des terres, est la répercution sur l’alimentation. Car, selon Emmanuel Hyest, président des Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), les conséquences pourraient aussi être terribles sur le plan de l’agriculture : « D’abord cela signifierait une perte d’autonomie alimentaire dans l’Hexagone alors qu’il y a une croissance démographique ; ensuite les terres agricoles participent à la lutte contre le changement climatique. Elles permettent de capter le carbone mais également l’eau qui recharge les nappes phréatiques« . Pour Emmanuel Hyest, il faut absolument considérer les terres agricoles comme des surfaces intouchables, à l’instar des forêts. Si on bétonne, l’eau ne circule plus, n’irrigue plus, tout en accroissant paradoxalement les risques d’inondations.
 

Objectif « zéro artificialisation nette »

Au-delà même des possibles effets d’irréversibilité liés à la pollution des sols, renaturer des terres artificialisées est un processus complexe et coûteux. Selon l’IDDRI, l’objectif de « zéro artificialisation nette », introduite dans le Plan biodiversité de 2018, « suppose que toute nouvelle construction devrait être compensée par une déconstruction équivalente, par exemple dans des zones d’activités devenues vacantes ou des parkings surdimensionnés « . Cela demande de déconstruire, de dépolluer, de désimperméabiliser puis de (re)construire des « technosols », les trois dernières étapes du processus pouvant coûter à elles seules jusqu’à 400 euros par mètre carré.
 
Il est donc urgent de freiner l’artificialisation. Et ce d’autant plus que, si aucune mesure n’est prise, ce sont 280 000 hectares d’espaces naturels supplémentaires qui seront artificialisés d’ici 2030, soit un peu plus que la superficie du Luxembourg pour comparaison. « Un scénario tendanciel catastrophique », estime Julien Fosse qui a utilisé, pour parvenir à ce résultat, un modèle économétrique développé par le Commissariat général au développement durable (CGDD).
Ce modèle fait dépendre la consommation d’espaces naturels de trois variables : la surface construite, le taux de renouvellement urbain et la densité de l’habitat (qui correspond à peu près au coefficient d’occupation des sols). Avantage : il permet de projeter des scénarios alternatifs (hors infrastructures de transport non recensées au cadastre).
Dans le « scénario densification forte » par exemple, l’auteur calcule que l’augmentation du taux de renouvellement urbain (de 0,43, l’actuel, à 0,6) combinée à la hausse du taux de densité de l’habitat (de 0,16, l’actuel, à 0,4) permettrait de faire baisser la consommation d’espaces naturels à 5 500 hectares par an à horizon 2030, contre 20 000 dans le scénario tendanciel. « Ce résultat met en lumière la part non négligeable qu’une politique d’urbanisme favorisant le renouvellement et la densification de l’habitat pourrait jouer dans la lutte contre l’artificialisation », souligne l’auteur.
 
Dans un scénario complémentaire, on ajoute au durcissement des règles d’urbanisme le renchérissement des terres avec un prix multiplié par 5, et une baisse du taux de vacance des logements de 8% (en 2015) à 6 %. Ce scénario permettrait de réduire encore la surface des terres artificialisées à 3 700 hectares par an à horizon 2030, mais il appellerait concrètement des mesures difficiles à mettre en œuvre. Le « scénario densification forte » paraît, en regard, bien plus accessible.
 

Les scénarios pour l’avenir

La mise en place de mesures visant à la fois à densifier légèrement les zones déjà construites et à doubler le coefficient d’occupation des sols des constructions réalisées sur des zones non artificialisées permettrait de diminuer fortement l’artificialisation, sans diminuer la construction. À horizon 2030, un tel scénario de « densification forte » permettrait d’économiser annuellement près de 15 000 hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers.  
 
Si à ces mesures s’ajoutaient une politique de renchérissement des terres libres et de diminution des logements vacants, l’économie annuelle à horizon 2030 d’espaces naturels, agricoles et forestiers pourrait atteindre un peu plus de 16 000 hectares. Ce dernier scénario « complémentaire » est néanmoins peu envisageable.
 
On doit aussi envisager le recentrage des dispositifs Pinel et du prêt à taux zéro sur ces zones déjà artificialisées, afin de limiter l’incitation à l’artificialisation que peuvent avoir ces dispositifs conçus pour encourager la construction neuve ou faciliter l’accession à la propriété. La mise en cohérence des instruments de planification – entre eux et avec l’objectif de zéro artificialisation nette – nécessitera de disposer d’une gouvernance dédiée, à différentes échelles territoriales.
Enfin, il convient d’étudier les mécanismes permettant de conditionner l’artificialisation des sols à une renaturation équivalente – marchés de droit à artificialiser ou malus sur l’artificialisation pour financer la renaturation. 
 

L’importance des règles d’urbanisme

Cet exercice de modélisation suggère qu’atteindre le « zéro artificialisation nette » dès 2030 nécessiterait de réduire de 70 % l’artificialisation brute et de renaturer 5 500 hectares de terres artificialisées par an. Une perspective qui suppose « des mesures ambitieuses », conclut Julien Fosse.
 
En affichant un objectif de zéro artificialisation nette des sols, la France apparaît pionnière en Europe. Pour y parvenir, il faut commencer par collecter des données robustes sur l’artificialisation et le coût de la renaturation, et mettre en place une gouvernance dédiée. Fusionner les missions de la Commission départementale d’aménagement commercial et de la Commission départementale de préservation des espaces naturels permettrait, par exemple, de créer un « conseil départemental de lutte contre l’artificialisation des terres » ouvert à l’ensemble des parties prenantes concernées et chargé de la délivrance a priori des autorisations d’artificialisation, propose l’auteur.
Il est ensuite nécessaire de réfléchir à l’ajustement des outils fiscaux et réglementaires, qui sont susceptibles d’avoir un effet de grande ampleur.
 
Pour freiner l’artificialisation brute, il est également envisageable de miser sur des mesures permettant de densifier davantage les nouvelles constructions. En la matière, « la fixation de densités de construction minimales dans les PLU [plan local d’urbanisme] semble la plus prometteuse », estime l’auteur. Les politiques de soutien au logement neuf, piste parmi les plus prometteuses, consistent à introduire dans les plans locaux d’urbanisme un coefficient d’occupation des sols minimal et à fixer une part minimale de nouvelles constructions à réaliser sur des zones déjà artificialisées. Enfin, l’artificialisation résiduelle devrait s’accompagner d’opérations de renaturation.
 
Rien d’impossible donc dans l’objectif visé par le plan biodiversité… mais un passage obligé par la densification de l’habitat et la limitation de l’étalement urbain qui supposent de revoir a minima nos règles d’urbanisme.
Source : Rapport de Julien Fosse pour France Stratégie – Juillet 2019
 

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