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Je t’aime moi non plus : Les Français et leurs services publics à l’heure de la numérisation

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La relation entre les Français et leurs services publics a toujours eu un air de « je t’aime, moi non plus ». Il y en a trop, il n’y en a pas assez… Une relation trouble avec des pics de mécontentement qui s’entendent aujourd’hui à tous les coins de rue, de places de villages ou de ronds-points départementaux. L’arrivée du numérique et ses promesses de digitalisation des services publics est-elle une solution ? Qu’en pensent les français et surtout comment pratiquent-ils les nouveaux usages qui leurs sont plus ou moins imposés ? C’est pour tenter d’apporter un éclairage sur ces questions qu’un certain nombre d’études ont été réalisées récemment. Diagnostic et perspectives pour des enjeux majeurs du quotidien de chacun.

 
Il est 15h et il fait grand soleil dans le petit village de Requeil dans la Sarthe. 1200 âmes profitent de la forêt environnante qu’ils traversent presque chaque jour de la semaine pour aller travailler à la ville. Devant l’église, un « attroupement » de cinq, six personnes. Elles râlent et sont même très mécontentes : la petite agence postale communale qui devait ouvrir à 13h30 reste ostensiblement fermée et, une fois de plus, exceptionnellement comme c’est annoncé sur la porte vitrée, elle n’ouvrira pas aujourd’hui. Habituellement, elle est ouverte les mardis, jeudi et vendredi de 13h30 à 17h30 et le samedi de 9h à 12h. Un privilège et une bénédiction pour ce village rural ! On pourrait même dire une exception. Les villageois craignent que cette « fermeture exceptionnelle » ne devienne définitive…
Car, discrètement, La Poste ferme des bureaux un peu partout en France : 404 bureaux ont fermé entre début 2016 et début 2017, selon un recensement de 60 millions de consommateurs.
« Quand on ferme un bureau de poste, c’est tout le maillage territorial des services publics que l’on met en danger et c’est ainsi qu’on renforce l’isolement d’un espace géographique donné et, par conséquent, de ses habitants. Quand on ferme un bureau de poste, on accepte que les usagers deviennent des clients, dans les supermarchés qui ont récupéré les services autrefois fournis par la Poste. Et qu’importe la confidentialité dans les démarches, et qu’importe la qualité du service. » explique Valentin Brouillard dans la revue Cause commune.
 
Les démarches administratives sont aussi totalement bouleversées : Hélène, 70 ans, déménage. Elle n’arrive pas à contacter sa Caisse primaire d’assurance maladie par téléphone, pour effectuer ses opérations administratives. Elle ne peut pas non plus régler son changement d’adresse et tous les papiers qui vont avec car tous les services publics lui répondent de se rendre sur les sites internet concernés pour remplir les formulaires, désormais en ligne, désormais digitalisés.
D’ailleurs, certains lieux d’accueil de la CPAM ferment, comme dernièrement à Epinay-sur-Seine (95). Sans oublier les fermetures de maternités, d’écoles, de petites lignes SNCF, …
 

Alors, vers quel service public se dirige-t-on ? 

L’étude Mazars « Les Français et la transformation du service public », réalisée par Opinion Way les 5 et 6 février derniers, s’est intéressée à la digitalisation du service public, à la relation et aux usages des français avec l’administration en ligne.
 
Si les Français apprécient dans une très grande majorité l’efficacité des services publics pour plus de 70%, près d’un sur deux, soit 47%, considèrent que les démarches restent cependant compliquées. La dématérialisation généralisée des services publics pour relier les usagers aux services publics est en marche mais les Français ne se sont pas totalement approprié les outils numériques en place. Parmi les résultats de l’étude, on note que les Français apprécient dans une très grande majorité l’efficacité des services publics avec des taux supérieurs à 70% ; 67% s’estiment bien informés sur les démarches administratives en ligne ; que les outils numériques sont aujourd’hui souvent le premier moyen de communication avec les administrations et services et que 38% de ces outils numériques permettent de rendre les services publics plus accessibles mais ils sont 80% à estimer que la digitalisation a conduit à une déshumanisation des services publics.
Près de 47% considère que les démarches restent cependant compliquées et, de fait, 71 % des Français attendent de la simplification des démarches.  Néanmoins, optimistes dans l’avenir, ils sont 68% à penser que la digitalisation va finir par simplifier les démarches et 57% qu’elle va compenser le retrait des services publics dans les territoires les moins peuplés.
Pour ce qui est de la confiance dans la confidentialité et la sécurité des données personnelles pour près de 65% des Français, il s’agit là d’un atout pour poursuivre la dématérialisation en route.
 
« Dans ce contexte de digitalisation croissante, l’étude montre une forte adhésion des Français aux services publics, ils relèvent leur efficacité, avec des taux bien au-delà de 70%. Les services dématérialisés de la sécurité sociale et de l’administration fiscale, lancés avec une longueur d’avance et offrant plus de personnalisation, remportent le plus de satisfaction. », analyse Cécile-Marie Touscoz, Associée Secteur public chez Mazars.
 

Les outils numériques, porte d’entrée prioritaire pour certains services

Les Français se sentent plutôt bien informés sur les démarches administratives en ligne (67%) avec une différence entre les Franciliens (73%) et les personnes vivant en province (66%).
 
Mais l’utilisation d’outils numériques pour communiquer avec les services publics varie fortement en fonction du secteur public. Ils sont le premier moyen de communication avec l’assurance maladie (34% des Français l’ont contacté via le site Internet) et avec l’administration fiscale (33%), l’assurance retraite (20%) et les Caisses d’Allocations familiales (21%). Certains services publics se caractérisent à l’inverse par une communication via des moyens plus traditionnels et se rendent sur place : c’est notamment le cas de la mairie de résidence (55%) ou d’état civil (54%).
 
Guichet unique en ligne de l’administration française, le site service-public.fr est connu par un grand nombre de Français (71%) et 44% l’utilisent au moins une fois par an. Le site semble satisfaire ses utilisateurs, 86% de ceux l’ayant utilisé déclarant qu’il a su répondre à leurs attentes.
 
Les applications proposées par le service public pour effectuer certaines démarches sont utilisées par un nombre important de Français (41%), même si cette utilisation demeure encore minoritaire.
 

La triple attente des Français

Les Français expriment une triple attente pour :
• Plus de simplicité : la simplification des démarches est de loin la première attente des Français vis-à-vis de la transformation du secteur public (71%). Près d’un Français sur deux (47%) considère qu’elles sont toujours aussi compliquées, et 19% estiment qu’elles sont encore plus compliquées, contre près un tiers des Français ayant le sentiment que les démarches administratives sont plus simples qu’avant (32%).
• Plus de proximité. Si 38% pensent que les outils numériques permettent de rendre les services publics plus accessibles, 80% d’entre eux estiment que la digitalisation a conduit à une déshumanisation des services publics. Ce sentiment touche particulièrement les personnes vivant dans des communes rurales (85% contre 78% pour les personnes résidant dans des villes de plus 100 000 habitants ou dans l’agglomération parisienne).
• Plus de service personnalisé. Ils souhaitent notamment des alertes destinées à prévenir des démarches à effectuer (56%) mais aussi la généralisation des prises de rendez-vous numérique (38%). Des formulaires pré-renseignés en fonction de sa situation intéressent également les Français (44%). D’autres outils numériques pointent aussi mais plus légèrement : unchat permettant de contacter l’administration 24 heures sur 24 (25% en moyenne, plébiscité à 37% chez les jeunes de moins de 35 ans) ou encore un service de téléconsultation (23%). Par ailleurs, des délais de réponses plus rapides apparaissent comme une des trois attentes principales pour 61% des Français.
 
Enfin, à l’avenir, les Français se disent plutôt optimistes quant au développement de l’informatique pour les services publics de demain : 70% d’entre eux estiment que l’informatique va libérer de la paperasse les démarches auprès des services publics, 68% qu’elle va finir par simplifier les démarches et 57% qu’elle va compenser le retrait des services publics dans les territoires les moins peuplés.
 
« Toutes les propositions de digitalisation des services publics sont saluées par les Français avec une utilisation de plus en plus généralisée, même s’il reste encore des efforts de simplification à fournir. Dans ce contexte, la question des données personnelles constitue un véritable atout pour poursuivre cette dématérialisation en route : 64% des Français ont confiance dans le respect de la confidentialité de leurs données personnelles et 63% dans la sécurité de ces données. » conclut Jean-François Treille, Associé Secteur public chez Mazars.
 

Digitalisation complète des services publics à horizon 2022

L’Etat est engagé dans un projet de réforme depuis 2017 baptisée « Action publique 2022 » pour lequel l’éxécutif a interrogé en 2018 agents et usagers sur le « service public de demain ». Résultat : un désir majoritaire de « garder inchangé le périmètre actuel des missions de service public ». La plupart des répondants ne souhaitent pas « que des missions soient créées, abandonnées ou confiées à d’autres acteurs ». La numérisation des procédures est vue comme un puissant levier d’économies.
Dans le « Baromètre 2018 des services publics », publié en décembre 2018 par l’institut Paul Delouvrier (2), 57 % des sondés se déclaraient ainsi favorables à « diminuer le niveau des impôts », quitte à « réduire les prestations fournies par les services publics.» Le Baromètre note une stabilité de la satisfaction des usagers à l’égard des services publics, à l’exception notable des services en charge de l’environnement.
« Entre préservation des services publics et attente d’une baisse de la pression fiscale, on se trouve ainsi face à une double attente difficile à satisfaire », constate l’institut. (Source : Libération, janvier 2019).
 
La quatrième édition du baromètre Digital Gouv’ réalisé par Ipsos pour Sopra Steria (3) donne justement les clés des attentes des citoyens vis-à-vis de l’administration 3.0 et l’évolution des tendances entre pays.  Alors que l’investissement du gouvernement dans la transformation digitale des services publics est reconnu par 86% des administrés qui constatent une augmentation significative du nombre de services aujourd’hui digitalisés, ils ne sont plus que 66% à considérer que ces nouveaux services sont faciles à utiliser. 52% considèrent notamment que les contenus devraient être simplifiés et 44% souhaitent réaliser leurs interactions avec l’administration via un guichet unique.
 
La sécurisation des données reste une préoccupation importante, 71% des personnes interrogées craignant une utilisation frauduleuse de leurs données personnelles. La mise en œuvre du RGPD semble néanmoins rassurer les citoyens puisque 53% des sondés expriment leur confiance vis-à-vis de l’administration pour la protection de leurs informations.
Enfin, si les administrés comprennent l’intérêt de cette transformation numérique dans un but de rationalisation des dépenses publiques (42%), Ils estiment avant tout que celle-ci doit leur permettre un gain de temps (49% d’entre eux).
 
La digitalisation des services publics est clairement perçue comme positive par les administrés qui y voient trois effets concrets : faciliter l’analyse et le recoupement systématique des renseignements personnels afin d’accroître le contrôle de la fraude (86%), mieux préparer la France aux enjeux de l’avenir (79%) et simplifier la vie des citoyens (74%).
 

Et l’humain dans tout ça ?

Le facteur humain est un élément clé de la transformation des services publics. Dans cette même étude Ipsos, 86% des français pensent que certains fonctionnaires auront du mal à s’adapter à ces changements (+5 points par rapport à 2017), tandis que 83% estiment que cela permettra de réduire le nombre de fonctionnaires (en hausse de 9 points par rapport à 2017). Enfin, 82% des personnes interrogées considèrent que les services publics numériques seront plus difficile d’accès pour certains français qui ne sont pas à l’aise avec les technologies.
 
« L’engouement et l’adhésion à la digitalisation des services publics est très consensuelle et très forte en France et en Europe, au point qu’une très grande majorité des opinions publiques considère que la numérisation des services publics va permettre d’améliorer la situation du pays à l’avenir. Des freins subsistent néanmoins, et notamment la protection des données et l’accompagnement des administrés et des agents du public dans l’utilisation de ces services. Des attentes fortes chez les citoyens que la puissance publique devra prendre en compte », a rappelé Brice Teinturier, directeur général délégué France d’Ipsos.
 
 
(1) Méthodologie : L’étude « Les Français et les services publics » a été réalisée auprès d’un échantillon de 1016 personnes, représentatif de la population Française âgée de 18 ans et plus, constitué selon la méthode des quotas, au regard des critères de sexe, d’âge, de catégorie socioprofessionnelle, de catégorie d’agglomération et de région de résidence. Les interviews ont été réalisées les 6 et 7 février 2019.
(2) Etude basée sur un échantillon de plus de 2 500 personnes
(3) 4e édition du baromètre Digital Gouv’ réalisée par Ipsos pour Sopra Steria en septembre 2018 sur un échantillon de 5 000 personnes en France, Allemagne, Espagne, Norvège et Royaume-Uni.
 
Photo d’entête :  Premier bureau de poste, ouvert en 1840, à Najac dans l’Aveyron
 

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