J’ai déjà rédigé de nombreux articles sur l’internet des objets dont les derniers étaient sur les technologies prêtes à porter – C’est un marché clé de croissance pour demain, un enjeu culturel et sociétale à ne pas manquer ! Cela change également la notion de vie, de vivant – alliage entre l’inanimé et l’animé – L’anima ?
Voici ci-dessous in extenso © l’édito du Sénateur Trégouet sur sa newsletter RtFlash.
En août dernier le cabinet d’analyse Gartner a publié une étude prospective très intéressante mais malheureusement passée un peu inaperçue dans la torpeur estivale. Il s’agit du « Hype Cycle », une analyse qui évalue le degré de maturité de plus de 1900 technologies regroupées en 98 catégories.
Le classement des technologies proposé par ce cabinet de prospective très réputé est intéressant et correspond aux cinq « temps » du cycle de l’innovation : déclenchement, pic d’attentes, dépression, banalisation, retour de productivité.
Pour 2013, Gartner a identifié six grandes familles de technologies qui présentent toutes un point commun : elles renforcent et améliorent les relations et la communication entre l’homme et les machines. La première famille concerne les technologies qui augmentent les capacités et les performances des hommes, que ce soit physiquement, émotionnellement ou bien encore au niveau cognitif.
En second lieu, on trouve des technologies qui permettent la substitution des machines aux humains dans des tâches dangereuses, simples mais coûteuses ou encore répétitives.
En troisième lieu, on trouve les machines qui facilitent l’utilisation des outils que nous devons utiliser. Cette compréhension va de l’utilisation du langage naturel à l’interprétation juste des émotions et de leur contexte (quantification de soi, informatique affective, reconnaissance vocale…),
Quatrième catégorie de technologie : celle qui nous permet de mieux prévoir le comportement des machines dans un environnement complexe.
Enfin, cinquième et dernière famille de technologies : celles qui permettent aux personnes et aux machines d’être plus intelligents « ensemble » (interfaces en langage naturel, analyse prescriptive, big data…).
Pour Gartner, grâce à ces technologies, les êtres humains vont entrer dans une nouvelle ère : celle de la productivité et de l’efficacité augmentées. L’apparition de nouvelles interfaces transparentes, intuitives, prothétiques et portables en permanence, telles que les montres communicantes, les lunettes à réalité augmentée ou encore les puces et biocapteurs implantables, va permettre de nouvelles relations symbiotiques hommes-machines et cette mutation ne va pas manquer d’entraîner des conséquences majeures en matière de croissance et de création de richesse.
Selon ce rapport, certaines technologies sont actuellement en haut du Hype Cycle et pourraient donc connaître dans un proche avenir une phase dite « de déception », suivie d’une phase de « banalisation ». C’est par exemple le cas pour l’impression 3D ou encore pour le traitement intelligent des données massives (Big Data).
Ces technologies de rupture devraient, selon Gartner, mettre au moins cinq ans avant de connaître un plateau de productivité et de commencer à impacter massivement l’ensemble des cycles économiques et des processus industriels de production de biens et services.
Dans une autre étude publiée il y a quelques jours par le cabinet Gartner, les objets connectés (« Internet des objets ») devraient générer une valeur ajoutée de 1 900 milliards de dollars pour l’économie mondiale à l’horizon 2020, soit 2 % du produit mondial brut.
Selon cette étude, le nombre total d’objets connectés dans le monde va passer de 2,5 milliards en 2009 à au moins 30 milliards d’ici 2020. Le cabinet d’études Idate estime pour sa part que ce nombre total d’objets connectés, aujourd’hui environ 15 milliards, atteindra les 80 milliards en 2020 ! Enfin, le cabinet d’analyse économique IDC est encore plus optimiste et prévoit quant à lui 212 milliards d’objets connectés en 2020, générant une valeur ajoutée totale de 8 900 milliards de dollars, plus de 10 % du produit mondial brut !
Il est intéressant de noter que, dans le rapport qu’elle a rendu au Président de la République le 15 octobre dernier et qui concerne l’innovation en 2030, Anne Lauvergeon souligne également que l’Internet des objets et le traitement des masses de données (Big Data) constituent l’une des sept grandes priorités scientifiques techniques et industrielles que la France doit s’assigner d’ici vingt ans.
Il est vrai que le basculement technologique qui va s’opérer d’ici 2020 est vertigineux : à cet horizon, 83 % des appareils numériques vendus seront des smartphones, des tablettes ou des « ultraportables » hybrides et le PC traditionnel sera en voie de disparition. La deuxième révolution concernera la répartition et la nature des données numériques produites et traitées. Aujourd’hui, on estime en effet que 80 % des données numériques produites sont privées et 20 % publiques. Mais d’ici 2020, la part globale des données publiques aura probablement rattrapé celle des données privées.
Cette révolution de l’Internet des objets n’a pas échappé aux géants de l’électronique, du numérique et des médias. La feuille de route présentée par Intel il y a quelques jours est ainsi résolument axée sur le développement de l’Internet des objets et sur la généralisation des nouvelles puces à basse consommation qui vont être intégrées dans la plupart des objets que nous utilisons dans notre vie quotidienne.
Intel mise donc énormément sur ces nouvelles puces « Atom », gravées en 22 nm et disposant de 1 à 4 cœurs physiques, pour une enveloppe thermique variant de 5 à 10 W selon les modèles. Cette nouvelle génération de puces repose sur une micro-architecture à faible consommation, dérivée de celle conçue pour les smartphones et les tablettes. Pour s’imposer sur ce nouveau marché gigantesque, Intel mise également sur son nouveau microprocesseur Quark X1000 à très basse consommation.
Cette révolution en marche n’a pas non plus échappé à IBM qui espère bien également se tailler la part du lion sur ce nouveau marché, grâce à sa technologie MQTT (Message Queuing Telemetry Transport) et à son protocole IBM MessageSight, qui permet le traitement parallèle et en temps réel d’une très grande quantité d’informations et peut gérer simultanément jusqu’à 13 millions de messages par seconde.
Le pari d’IBM est de parvenir à faire communiquer entre eux des objets et systèmes hétérogènes très rapidement et sans consommation excessive d’énergie. MQTT a été spécialement conçu dans ce but et pourra pratiquement multiplier par 100 la vitesse de transfert des informations numériques, tout en divisant par 10 la consommation d’énergie.
Mais pour pouvoir révéler toutes ses potentialités, l’Internet des objets n’a pas seulement besoin d’une nouvelle génération de composants électroniques spécialement adaptés et de nouveaux logiciels informatiques conçus pour la communication inter-objets. Il faut également un réseau de transmission de données à très haut débit sans fil suffisamment dense et performant pour prendre en charge et acheminer dans de bonnes conditions un flux d’informations numériques qui va être décuplé.
À cet égard, il faut rappeler que le nouvel objectif de l’État est de pouvoir proposer à plus de la moitié la population un accès à la fibre optique à très haut débit d’ici 2017 puis de généraliser de cet accès à l’ensemble du pays d’ici 10 ans. Parallèlement au déploiement de cette ossature physique indispensable, la rapide montée en charge du réseau de communication à haut débit sans fil 4G devrait permettre aux trois quarts de la population française d’accéder, d’ici 2017, à ces nouveaux services numériques mobiles à très haut débit.
Il faut bien comprendre que la montée en puissance simultanée d’un réseau à très haut débit mobile sur l’ensemble du territoire et de l’Internet des objets va provoquer en seulement quelques années une véritable révolution économique, cognitive et culturelle.
La conférence Gigacom Mobilize, qui s’est tenue à San Francisco les 16 et 17 octobre derniers, a justement été l’occasion de faire le point sur l’ampleur de cette vague que représente l’Internet des objets et qui est en train de déferler sur le monde.
La plupart des experts et des professionnels présents à cette manifestation étaient d’accord pour souligner que l’avènement rapide de cet Internet des objets, combiné au très haut débit mobile pour tous, va radicalement transformer six grands domaines d’activité.
Le premier concerne la domotique au sens large, c’est-à-dire la gestion automatisée et intelligente des habitations, non seulement en matière d’énergie et de chauffage mais également en matière de sécurité (prévention des incendies et inondations, système anti intrusion) et de gestion des flux et stocks domestiques.
Deuxième secteur qui va être bouleversé, celui de l’économie numérique, du commerce électronique et des services en ligne, avec la généralisation de systèmes comme Placemeter ou Motionloft qui permettent une analyse très fine des types de clients fréquentant un magasin. L’Internet des objets va également constituer un puissant booster pour le financement participatif (crowdfunding) qui connaît un succès phénoménal en France depuis un an (80 millions d’euros levés en 2013) et va prochainement faire l’objet d’un cadre législatif pour accompagner son développement.
Troisième domaine qui va connaître une révolution sans précédent : la télésanté et la télé assistance aux personnes âgées. Dans quelques années, il sera tout simplement inconcevable pour une personne âgée de ne pas être équipée d’un système portable, une montre par exemple, surveillant en permanence ses principaux paramètres biologiques et son état de santé et informant les services médicaux en cas d’anomalies, chute ou malaise par exemple.
Le quatrième domaine qui va être impacté est celui de la téléformation et de l’enseignement à distance. Avec l’arrivée des écrans virtuels 3D directement intégrés dans les lunettes et la généralisation des commandes haptiques, il deviendra possible d’accéder à tout moment à un immense catalogue de formation professionnelle et de cours virtuels dans tous les domaines.
Le cinquième domaine est celui de la gouvernance de la démocratie électronique. L’Internet des objets va en effet radicalement changer la nature et le fonctionnement des acteurs politiques, tant au niveau national que local. Les responsables politiques vont être confrontés à de nouvelles exigences en termes d’efficacité de résultats et vont devoir gérer de nouvelles formes « d’interactivité démocratique ». Cela est déjà vrai dans certaines métropoles qui ont déployé un Internet des objets utilisé pour gérer et interconnecter les différents flux d’information (trafic routier, énergie, sécurité, déchets…) et pour réagir de façon proactive dès qu’un dysfonctionnement survient au niveau des infrastructures ou des services locaux.
Exemple de ce basculement vers la démocratie « horizontale » et participative, le succès des plates-formes communautaires urbaines, comme le site SeeClickFix qui propose aux citoyens des grandes métropoles de signaler les problèmes et dysfonctionnements locaux aux autorités municipales.
Enfin le sixième domaine est celui que l’on peut désigner sous le terme de réseaux communautaires d’échange de données. Concrètement, ce type de réseau permettra un échange direct et transversal de données entre utilisateurs, chacun devenant en quelque sorte micro serveur personnel. Cette nouvelle architecture réticulaire utilisera des protocoles « Multi-sauts » (Multi Hop) permettant à différents types de flux numériques de circuler sur un même réseau ou à un type de flux de circuler sur plusieurs réseaux différents.
Ces nouveaux réseaux hétérogènes à forte capacité d’auto organisation permettront non seulement de décupler l’efficacité et la puissance des réseaux de données numériques (en évitant leur saturation) mais constitueront également le moteur de puissantes communautés numériques d’affinités et d’intérêts qui viendront probablement contrebalancer l’hégémonie des grands réseaux sociaux actuels.
Il faut par ailleurs souligner que ces domaines d’activités ne sont pas étanches et se fertilisent mutuellement. Par exemple, on peut déjà observer que l’émergence de réseaux communautaires de partage de données a un impact direct sur la gouvernance et les processus de décision politique, qu’ils soient locaux ou nationaux. Une des illustrations de ce phénomène est l’apparition récente des pétitions électroniques de grande ampleur qui peuvent à la fois être l’expression de la puissance d’une communauté d’opinion ou d’intérêt et modifier un processus de décision politique.
Avec la généralisation de l’Internet des objets et son extension illimitée dans le temps et dans l’espace, le concept de « village planétaire » imaginé il y a plus de 40 ans par McLuhan va réellement prendre corps et devenir réalité. Mais dans ce Nouveau Monde où les processus de désintermédiation, d’auto organisation et d’asymétrie informationnelle vont régner en maître, le niveau de maîtrise cognitive et culturelle constituera plus que jamais la clé d’accès à la vie économique, sociale et professionnelle.
C’est bien pourquoi il me semble si nécessaire, alors que chaque année 150 000 jeunes quittent notre système éducatif sans aucune formation et que près de 2 millions d’entre eux sont des naufragés sociaux, sortis du système éducatif et sans emploi ni formation, que ces nouveaux outils numériques extraordinaires soient massivement et prioritairement utilisés à l’insertion sociale et professionnelle de notre jeunesse afin de lui offrir d’autres choix de vie que le désespoir, la drogue ou la violence.
Il serait en effet insupportable, non seulement sur le plan économique et social mais d’abord sur le plan humain, de laisser s’agrandir un tel fossé numérique et cognitif alors que nous allons connaître une mutation de notre économie et de notre société sans précédent depuis le début de la révolution industrielle.
©René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire, Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat (25 octobre 2013)