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Lutte contre la pauvreté : Des raisons d’être optimiste ?

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Quelque 8,8 millions de personnes sont aujourd’hui en « situation de pauvreté monétaire » (Etude Insee) c’est-à-dire qu’elles vivent avec moins de 1000 euros par mois de revenu, soit 14 % de la population française. Et le nombre de pauvres a augmenté d’un million entre 2005 et 2015. Qui sont les pauvres en France ? Qui incarne aujourd’hui le combat contre la population pauvre, alors que disparaissait le 20 octobre 2008 Soeur Emmannuelle ? Quelles sont les actions en cours qui permettent d’être optimistes ? 
 
Egalité des chances, droits des enfants, parcours de formation, droits sociaux, aide à l’emploi… Emmanuel Macron a présenté le 13 septembre la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté comprenant 21 grandes mesures, inspirées par les préconisations de la mi-mars d’une cellule de réflexion animée par Antoine Dulin, vice-président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), et par Fiona Lazaar, députée La République en marche (LRM) du Val-d’Oise. Avec 8,8 millions de personnes en situation de pauvreté en France, le plan de lutte contre la pauvreté est loin d’être anecdotique et, en attendant sa mise en application en 2020, est en état d’urgence sociale. 
 

Qui sont les pauvres en France ?

L’absence de diplôme et le milieu social sont les éléments clés pour comprendre la pauvreté. Les deux tiers des personnes démunies ont au plus le CAP. Qui dit absence de titre scolaire dit (souvent) difficulté d’insertion sur le marché du travail, précarité et bas niveaux de vie. Le taux de pauvreté des personnes sans diplôme est de 11 %, contre 3,7 % pour les bac + 2. À l’autre bout de l’échelle, à peine un dixième des personnes pauvres ont un diplôme supérieur à bac + 2. Avoir un titre scolaire est la garantie d’un minimum d’intégration professionnelle et donc de revenu : pauvreté scolaire et pauvreté monétaire sont liées, selon l’Observatoire des inégalités.
 
Le faible niveau de diplôme conduit le plus souvent à une position sociale peu favorable. Parmi les personnes qui vivent dans un ménage d’actifs (hors retraités et autres inactifs), près des deux tiers des pauvres appartiennent à un ménage dont la personne de référence est ouvrière ou employée. Les données sur les professions non-salariées (agriculteurs, artisans, etc.) sont difficilement comparables à celles concernant les salariés car les méthodes de comptabilisation des revenus ne sont pas les mêmes. Pour autant, toute une frange des indépendants vit avec de très faibles revenus : les écarts de revenus sont gigantesques au sein de ce groupe.
 
Le manque d’emploi est au cœur de la pauvreté : Inactifs et chômeurs représentent plus de 70 % des personnes pauvres. Une partie sont des personnes découragées (notamment des femmes) par la recherche d’un travail face aux mauvaises conditions d’emploi (précarité, bas salaires, etc.). Un grand nombre de chômeurs, particulièrement les plus jeunes, ne disposent que de très faibles indemnités de chômage, inférieures au seuil de pauvreté. Près d’un quart des chômeurs sont pauvres, soit trois fois plus que la moyenne de la population.
700 000 salariés disposent d’un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté, soit parce qu’ils travaillent à temps partiel avec de très bas salaires, soit parce qu’ils n’ont travaillé qu’une partie de l’année. Ces données montrent comment l’absence d’emploi ou l’emploi de mauvaise qualité alimente la pauvreté.
 
Plutôt jeune, vivant en famille, peu diplômée, ouvrière ou employée : voici le portrait-robot d’une personne pauvre. Le plus souvent, on mesure la proportion de pauvres au sein d’une catégorie : par exemple, le pourcentage d’enfants en situation de pauvreté. Jamais ou presque on n’observe la composition de la population des cinq millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté (au seuil à 50 % du revenu médian que nous utilisons). Parmi les pauvres, quelle est la part de jeunes, de vieux, de diplômés, d’ouvriers, d’immigrés ? Masquer cette répartition évite d’attribuer un visage concret à la pauvreté. On dispose pourtant d’éléments sur le sujet.
 
Les Immigrés représentent un quart de la population pauvre : La pauvreté frappe très lourdement les immigrés. Pour eux, on ne dispose que du seuil de pauvreté situé à 60 % du niveau de vie médian. Sur cette base, 37,6 % (donnée non comparable avec les chiffres précédents) des personnes qui vivent dans un ménage immigré sont considérées comme pauvres en 2013, contre 14 % pour l’ensemble de la population. Au total, 2,1 millions de personnes vivant dans un ménage immigré étaient concernées (enfants compris), ce qui représente un quart de la population pauvre. Ce niveau s’explique par des niveaux de qualifications plus faibles, par l’impact du chômage et par des discriminations (Voir notre article « Cinq millions d’emplois demeurent fermés aux étrangers non européens »), mais aussi parce qu’il s’agit en moyenne d’une population plus jeune et vivant plus souvent en famille.
 
Plus souvent des couples avec enfants et des familles monoparentales : La pauvreté se vit d’abord en famille : les deux tiers des personnes pauvres vivent dans un ménage avec des enfants, 40 % sont en couple et 25 % vivent dans une famille monoparentale. Ce sont surtout ces dernières qui sont sur-représentées par rapport à leur poids dans la population. Une personne pauvre sur cinq vit seule. Sans notre système de protection sociale, notamment les allocations familiales et logement, des milliers de familles vivraient à la rue.
 
Autant de femmes que d’hommes pauvres : Désormais, femmes et hommes sont presque à parité, du moins parmi les pauvres : on compte 52 % de femmes et 48 % d’hommes. Le surcroît féminin est lié à la monoparentalité. On trouve aussi un certain nombre de femmes veuves ayant eu de courtes durées de cotisations et de faibles pensions de réversion de leur mari.
Source : Insee – Données 2015 – © Observatoire des inégalités
 
Les pauvres vivent dans les grandes villes : Les deux tiers des personnes dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté (ici aussi, fixé à 60 % du niveau de vie médian) vivent dans les grands pôles urbains. Ces personnes pauvres sont réparties de manière relativement équilibrée entre les villes-centres (31,4 %) et leurs banlieues (33,8 %). 16,6 % vivent dans le périurbain, 12,8 % dans les petites et moyennes aires urbaines ainsi que leurs couronnes et 5,3 % dans les zones rurales isolées.
 
La pauvreté est un phénomène massivement urbain, ce qui est logique car les villes concentrent la population, les emplois et les services. C’est là que l’on trouve les logements sociaux qui accueillent les personnes les plus pauvres et les familles monoparentales.
L’insistance sur la pauvreté de la France « périphérique » a été utilisée pour minimiser les difficultés des populations des quartiers de logement social des grandes villes, sensées profiter d’un processus de « métropolisation ». Il ne faudrait pas tomber dans l’excès inverse et négliger la pauvreté hors des villes. La conception de l’urbain de l’Insee est très large : on comptabilise comme « banlieues », des villes qui comprennent aussi une part d’habitat pavillonnaire peu dense. On trouve aussi en milieu rural isolé une pauvreté structurelle de personnes âgées, dont on sort difficilement. Que l’on trouve aussi, de plus en plus, en logement social urbain… La question qui est posée est moins celle du lieu de vie proprement dit que de ne pas oublier la pauvreté des personnes âgées.
 

La lutte contre la pauvreté en France, mais qui s’en préoccupe aujourd’hui ?

53 % des Français sont incapables de citer spontanément une personnalité qui incarne cette lutte aujourd’hui, à part l’Abbé Pierre (19 %), Coluche (10 %) ou Sœur Emmanuelle (1 %).  C’est le résultat d’une enquête de Harris Interactive : à la demande de l’association ASMAE, et à l’approche de l’anniversaire des 10 ans de la disparition de Sœur Emmanuelle, Harris Interactive a interrogé les Français sur la façon dont ils perçoivent aujourd’hui la figure et l’héritage de celle qui était surnommée « la petite sœur des pauvres ». 
 
Quels sont les principaux enseignements de cette enquête ?
La protection de l’enfance vulnérable fait aujourd’hui partie des combats les plus essentiels à mener dans le monde aux yeux des Français. Non seulement cet enjeu est jugé unanimement prioritaire (95%), mais ce sont même près de 2 Français sur 3 (65%) qui le qualifient de « tout à fait prioritaire ». Soit des proportions équivalentes à un autre grand objectif, lutter contre les violences faites aux femmes (93% prioritaire, dont 62% « tout à fait »). Quand d’autres enjeux apparaissent relativement moins urgents – quoique toujours prioritaires aux yeux d’une large majorité –, comme la lutte contre les discriminations liées à la couleur de peau (79% prioritaire, dont 42% « tout à fait ») ou liées à la religion (73%, dont 35%).
 
Si la protection de l’enfance vulnérable apparaît toujours comme un combat incontournable, c’est sans doute parce que les Français ont le sentiment que les droits des enfants dans le monde n’ont pas spécialement progressé depuis 10 ans. Certes, la situation est perçue comme légèrement meilleure en France, où les droits des enfants sont mieux respectés (52%) ou du moins n’ont pas régressé (33%). Dans les autres pays développés, les Français identifient plutôt un statu quo (42%) qu’une réelle amélioration (37%). Mais surtout, dix ans après la disparition de Sœur Emmanuelle, les Français ont le sentiment que les droits des enfants dans les pays en développement ont davantage tendance à régresser (26%) qu’à s’améliorer (22%), la situation semblant se figer dans l’inertie (50%).
 
Or, de façon générale, la lutte contre la pauvreté souffre d’un déficit d’incarnation aujourd’hui en France. Invitées à citer spontanément une ou plusieurs figures françaises illustrant ce combat, 53% des personnes interrogées ne parviennent pas à citer le moindre nom, quand 9% évoquent des structures (Emmaüs, Les Enfoirés, etc.) plutôt que des personnes. Ainsi, parmi les principaux visages de la lutte contre la pauvreté restitués spontanément dans cette étude, figurent principalement l’Abbé Pierre (19%) et Coluche (10%). Dans une bien moindre mesure, Sœur Emmanuelle est citée par 1% des Français. En-dehors de ces trois personnalités aujourd’hui disparues, les seules figures citées sont issues des responsables politiques (au premier rang desquels Jean-Luc Mélenchon, cité par 3% des Français) ou de personnalités du monde du spectacle.
 
Dix ans après sa disparition, Sœur Emmanuelle n’est donc plus présente au premier plan des figures de la lutte contre la pauvreté spontanément présentes à l’esprit des Français, mais sa notoriété et son image se maintiennent néanmoins. 9 Français sur 10 (89%) affirment ainsi avoir déjà entendu parler d’elle, dont 71% indiquent même savoir précisément de qui il s’agit. Avec toutefois une nuance : près d’un tiers des personnes âgées de 18 à 24 ans (31%) déclarent ne jamais avoir entendu parler de Sœur Emmanuelle. Dans la mémoire collective, la « petite sœur des pauvres » a marqué par son engagement (95%), sa générosité (95%) et son effort pour sensibiliser le public à la cause des enfants défavorisés (94%). 91% la qualifient aussi de « tolérante ». Son caractère révolté (71%) et drôle (65%) constitue un autre pan de sa personnalité restitué à un niveau sensiblement moindre par les Français interrogés. De façon transversale, les femmes et les personnes les plus âgées ont davantage tendance à lui prêter chacune de ces qualités.
 
Aux yeux des Français, l’action de Sœur Emmanuelle auprès des enfants défavorisés se poursuit par l’association Asmae (80% d’accord), mais est toutefois perçue en perte de vitesse depuis la disparition de sa figure de proue (81%). Pour surmonter ces difficultés, les Français appellent de leurs vœux une générosité accrue de la part des particuliers (88%) mais aussi un soutien plus fort des pouvoirs publics (82%) envers l’action initiée par Sœur Emmanuelle auprès des enfants défavorisés.
 
De son vivant, Soeur Emmanuelle se préoccupait déjà de qui la remplacerait. Pour elle, ce sont plutôt les « collectifs », « les groupements d’associations » qui, aujourd’hui, montent au créneau à travers des tribunes. Les formes d’engagement ont ainsi évolué. « La lutte est davantage incarnée par une organisation qu’une personne, elle devient aussi plus longue pour parvenir à ses fins », observe Catherine Alvarez, directrice de l’ONG Asmae-Association sœur Emmanuelle, dans Le Parisien. 
Aux nouvelles pauvretés de la crise a répondu un foisonnement de solidarités. Les associations de solidarité en particulier mobilisent des dons et des bénévoles. Certaines associations interviennent également en relais des politiques publiques et assurent des véritables délégations de service en salariant des travailleurs sociaux. La FNARS (Fédération Nationale des Associations de Réinsertion Sociale) et l’UNIOPSS (Union Nationale Interfédérale des Œuvres et Organismes Privées Sanitaires et Sociaux) fédèrent, représentent et appuient ces associations.
La lutte contre la pauvreté revêt de plus en plus des formes relationnelles où l’objectif n’est plus de répondre à des besoins matériels mais davantage à un isolement des personnes en particulier lorsqu’elles sont à la rue. Le terme d’exclusion est systématiquement associé à ceux de pauvreté ou de précarité, soulignant le besoin relationnel des personnes. (Source : Captifs.fr)
 

Quelles actions ?

On se souvient aussi de l’appel le 17 octobre 1987 du père Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde, pour exprimer son refus de la misère et appeler l’humanité à s’unir pour faire respecter les Droits de l’Homme. C’est ainsi que naissait la journée mondiale du refus de la misère qui se tient depuis, chaque année, le 17 octobre. Dans son rapport au Conseil économique et social français, il avait entre autre défini la précarité comme « l’absence d’une ou de plusieurs sécurités, notamment celle de l’emploi ».
 
C’est donc face à ce constat qu’ATD Quart Monde lançait un projet intitulé « territoire zéro chômeur », avec pour objectif d’inverser la logique d’exclusion des demandeurs d’emplois en partant de leurs compétences pour créer des activités qui leur correspondent. Depuis plus d’un an, dix villes testent ce dispositif. Le principe : créer des emplois qui n’existent pas sur le territoire, à travers une EBE, une entreprise à but d’emploi.
Illustration à Loos, une petite commune à côté de Lille, un des dix territoires qui expérimentent le procédé. C’est là qu’est née en juillet 2017 La Fabrique de l’Emploi : Service à domicile, traductions de livres de l’italien au français, récupération et rénovation de meubles font partie des projets développés au sein de l’entreprise, riche de profils très différents. Tout démarre avec l’envie du chômeur. La Fabrique de l’emploi accueille désormais 120 salariés. Devant son succès, l’expérience  » territoire zéro chômeur » va être étendue à 50 nouveaux territoires dans le cadre du plan pauvreté. Une nouvelle loi devra donc être présentée à l’Assemblée nationale pour élargir le dispositif. « […] Nous allons plus que doubler le nombre de personnes qui pourront bénéficier de ces expérimentations dans tous les territoires et commencer à implanter ce dispositif au-delà des territoires expérimentateurs existants », a déclaré Emmanuel Macron, le 13 septembre 2018, lors de la présentation de la stratégie nationale de prévention de lutte contre la pauvreté
 
Et partout en France, des élus locaux se mobilisent et expérimentent des solutions aux problèmes rencontrés sur leurs territoires : l’expérimentation du revenu de base par treize départements (1), proposé ce 17 octobre à l’Asemblée nationale par Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de Gironde, les appels à la solidarité envers les réfugiés lancés à l’été 2018 par des présidents de Régions ou encore la lutte contre les discriminations et l’exclusion engagée par Anne Hidalgo et sa majorité à Paris.
Des solutions existent mais nécessitent une dose de courage et des politiques publiques volontaristes. Avec son Plan pauvreté, le gouvernement choisit donc un changement d’orientation important, même s’il reste insuffisant aux yeux de certains spécialistes. 
 

 
(1) Les 13 départements engagés dans ce projet : Aude, Ardèche, Ariège, Alpes-de-Haute-Provence, Dordogne, Finistère, Gers, Gironde, Haute-Garonne, Hérault, Ile-et-Vilaine, Landes, Loire-Atlantique, Lot, Lot-et-Garonne, Meurthe-et-Moselle, Nièvre, Seine-Saint-Denis.
 

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