Les brevets d’usage sont devenus l’arme stratégique de l’économie de l’innovation. La filière de leur valorisation économique et de leur monétisation s’organise.
Le brevet d’usage au coeur de la guerre des brevets
Jugé contrefacteur d’Apple, Samsung est condamné à lui verser un milliard de dollars pour solder le passé. Pour l’avenir, neuf terminaux seront sans doute exclus du marché américain. L’enjeu supplémentaire se chiffre en dizaines de milliards. On pourrait imaginer que ce combat de titans a engagé des milliers de brevets. La réalité est toute autre : trois brevets seulement fondent l’essentiel de ce procès. De plus, il ne s’agit pas de brevets technologiques, mais de brevets d’usage : ‘381 protège le rebond de la page web lorsque le curseur est arrivé en bas. ‘915 concerne le zoom lorsque l’utilisateur écarte deux doigts sur l’écran. ‘163 décrit le zoom lorsque l’on tape avec le doigt sur une colonne de texte.
Les brevets d’usage permettent en effet de revendiquer jusqu’à la paternité d’un modèle économique. C’est ce que fait Yahoo depuis février dernier à propos du modèle de Facebook. Dix brevets sont contrefaits, par exemple l’affichage de données sociales basées sur des profils (‘648), la personnalisation de ces profils (‘590) ou la génération de pages personnalisées (‘227). Facebook, pris au dépourvu quelques semaines avant son introduction en bourse, a dû acheter en toute hâte 1 000 brevets à Microsoft et IBM pour un milliard de dollars en cash, et contre-attaquer Yahoo.
L’économie du brevet émerge
La valeur stratégique et économique des brevets est telle qu’une filière de valorisation s’organise. Plusieurs grands cabinets d’avocats acceptent des honoraires au résultat, ce qui a par exemple permis à la start-up canadienne i4i Inc de défier le géant Microsoft et d’obtenir 300 millions de dollars de dédommagement pour contrefaçon. Le fonds de brevets Intellectual Ventures dispose d’un capital de 5 milliards de dollars, ce qui crée un appel d’air considérable pour des milliers d’inventeurs. Même le pacifique Technicolor, qui gérait en bon père de famille son portefeuille de brevets, valorisés piteusement quelques dizaines de milliers d’euros en moyenne, n’hésite plus à passer au crible les smartphones pour exiger des royalties plus substantielles.
L’opinion publique s’insurge souvent contre cette guerre, et dénonce les brevets d’usage, dont elle juge à tort les inventions dérisoires. Elle prend le parti du consommateur, qui préférerait ne pas payer le prix de l’invention, ou du citoyen, qui favorise les biens collectifs au détriment des biens privés. Elle s’indigne des pratiques des intermédiaires, vite présentés comme de sinistres « patent trolls », extorquant des taxes aux fabricants. Il faut bien sûr reconnaître les abus que la réglementation américaine essaie de contenir, mais ne pas se laisser trop distraire par cette vision simpliste. Il faut au contraire prendre acte que le brevet est devenu l’actif-clé de la révolution technologique.
Le brevet était un signe d’inventivité. Il devient un actif économique clé
La stratégie des sociétés innovantes doit ainsi être totalement repensée. On disait souvent que l’avance concurrentielle sur un marché, alliée au secret, valait mieux que la meilleure des protections intellectuelles. On pensait qu’un brevet était complexe, cher et indéfendable pour une PME. On déplorait le manque de reconnaissance des innovations d’usage, issues de la recherche marketing, face aux inventions technologiques, jugées plus nobles. On décrivait les portefeuilles de brevets comme une ficelle autour d’un paquet de savoir-faire.
Ces commodités du langage des affaires sont devenues obsolètes. On dit maintenant « first to patent takes all » plutôt que « first takes all ». On se réjouit – ou non, selon son camp – que toute start-up ou entrepreneur puisse enfin faire respecter ses droits d’inventeur. On se félicite de la valorisation économique des brevets d’usage, qui consacre l’innovation marketing. On gère un brevet comme tout actif à valoriser et à monétiser.
La paix qui finira par succéder à cette guerre des brevets ne sera pas un retour en arrière. Il s’agira au contraire d’un changement radical des équilibres concurrentiels, au profit des innovateurs qui auront adapté leur stratégie au nouvel ordre économique.
Article écrit par Vincent Lorphelin pour lecercle.lesechos.fr / Septembre 2012
A propos de Vincent Lorphelin
Vincent Lorphelin a fondé Venture Patents. Cette société aide les startups et PME innovantes à protéger leurs innovations d’usage et leur business model grâce aux brevets. Il est également l’auteur de cinq livres dont « Le Rebond économique de la France », édité par Pearson, pour lequel il a donné la parole à 85 entrepreneurs et dont UP’ s’est fait l’écho et le relais.
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