Quel est l’impact des nouvelles technologies sur notre cerveau ? A chaque fois que nous surfons sur le web, un smartphone à portée de main, la télé allumée… Notre cerveau est en surchauffe. « Should I stay or should I go », s’interroge les Clash bien conscients de notre problème. C’est aussi le titre d’un article publié par Jonathan Cohen, Samuel McClure et Angela Yu de l’université de Princeton. S’inspirant de leurs travaux, Jean-Philippe Lachaux, spécialiste dans l’étude des mécanismes cérébraux de l’attention de l’Inserm, leur donne une traduction neurobiologique.
Il est bien établi que le cerveau ne peut traiter et mémoriser efficacement qu’une partie infime des signaux sensoriels qui l’atteignent. Si vous en doutez, fermez les yeux quelques secondes : qu’avez vous retenu de la scène qui était à l’instant devant vous ?
Le cerveau sélectionne donc à tout moment les informations qui lui paraissent à priori les plus importantes, et dispose pour cela d’un système appelé « attention ».
L’attention accomplit assez bien cette mission dans les situations les plus simples, mais les progrès technologiques récents lui posent un problème nouveau. En particulier les téléphones portables de type smartphone, étendent considérablement notre univers sensoriel, et par là-même, le nombre d’informations à priori importantes qui se présentent à nos sens.
Deux environnement viennent se superposer : celui, bien réel, où nous évoluons physiquement, et un autre, virtuel, peuplé de SMS, de mails, de tweets, de réseaux sociaux et de sites web plus ou moins passionnants. Mais nous ne disposons toujours que d’un seul système attentionnel pour effectuer le tri – entre ce qui est important et ce qui ne l’est pas, ici et en wifi.
Comment réagit le cerveau ? Celui-ci évalue l’importance de ce qu’il perçoit en fonction des objectifs qu’il se fixe. Certains sont conscients, d’autres moins : j’ai par exemple conscience de devoir écrire cette tribune, mais j’attends également, de façon plus diffuse, la réponse d’un collègue à un mail, et un SMS d’un ami pour la soirée prochaine. Ces objectifs sont déterminés en fonction de plans d’action relativement réfléchis. Ils viennent se superposer à d’autres buts de l’organisme, plus récurrents et moins évidents, mais toujours contraignants, entre autres : éviter les situations dangereuses par exemple, rechercher des sensations agréables ou simplement de la nouveauté.
Du bon usage de l’attention
Ces différents types d’objectifs sont pris en compte par des réseaux différents au sein du cerveau, qui orientent chacun l’attention vers les informations les plus conformes à leurs intérêts. Si bien que nos « ressources attentionelles » sont l’objet d’une véritable lutte d’influence entre, d’une part, des régions cérébrales privilégiant des objectifs conscients et plannifiés, le plus souvent à moyen ou long terme, et d’autre part, des régions favorisant d’avantage ce que nous avons l’habitude d’apprécier ou de craindre : une forme d’orientation de l’attention plus automatique, souvent en quête de gratification immédiate. C’est d’ailleurs le ressort principal de la publicité.
Ajoutons à cela qu’à l’état de veille, le cerveau est perpétuellement en quête d’information nouvelle. Vous pouvez en faire l’expérience en observant quelques instants les déplacement spontanés de votre regard, qui plusieurs fois chaque seconde, tâtonne pour s’informer sur ce qui vous entoure. Et si vous essayez de marcher quelques mètres dans la rue les yeux fermés, vous ressentirez inévitablement une pression grandissante vous incitant à ouvrir les yeux, pour voir et savoir … qu’une voiture fonce droit vers vous. Privé momentanément de ce flux permanent d’information, votre cerveau ne peut plus proposer un comportement adapté aux évolutions rapides de votre environnement, et il s’en émeut.
Cette soif d’information, conjuguée à une multiplication de nos objectifs et à la juxtaposition de deux univers virtuel et réel, forme un cocktail nouveau et explosif pour l’attention. Faute d’une démarche consciente de maîtrise de celle-ci, notre cerveau réagit en passant rapidement et de manière anarchique d’une source d’information à une autre, et en adoptant une mode de fonctionnement multi-tâches instable, inefficace et finalement épuisant.
La solution passe sans doute par une véritable éducation de l’attention. Apprenons donc à connaitre notre attention, son fonctionnement et ses limites, pour mieux l’apprivoiser et mieux en prendre soin. Mais cela demande d’abord de reconnaitre les contraintes nouvelles que le monde moderne lui impose et admettre humblement que nous n’y sommes pas préparés.
Article de Jean-Philippe Lachaux , directeur de recherche à l’Inserm de Lyon, auteur du livre « Le Cerveau Attentif », paru dans Bâtissons une Planète plus intelligente – Novembre 2012
{jacomment on}