Le spectacle Khaled Kelkal, une expérience de la banlieue, pièce de Roger des Prés, reprend l’entretien avec le principal responsable des attentats de 1995 réalisé par un sociologue quelques années avant ces événements. Ce spectacle, créé à la Ferme du Bonheur, au cœur des cités de Nanterre au lendemain des émeutes de 2005, et en réponse au discours ambiant des années « kärcher », nous intime de regarder le visage quotidien de la déshérence des banlieues et de l’inéluctable violence qui en découle. Après six ans d’un nouveau cycle de violences terroristes, cette reprise prend un nouveau sens, plus désespéré sans doute, mais également une nouvelle forme de nécessité.
La création de Roger des Prés reprend l’intégralité de l’entretien mené en 1992 par le sociologue Dietmar Loch avec celui qui n’est encore qu’un jeune des cités ouvrières de Vaulx-en-Velin. Clairvoyant sur sa scolarité gâchée, l’entrée dans la délinquance et son séjour en prison, le jeune homme l’est tout autant sur les perspectives que lui ouvre la découverte de l’islam, un islam de propagande, pour le moins ambigu et dangereux transmis par VHS. Celui qui répond avec application et sincérité au chercheur allemand, va devenir trois ans plus tard l’ennemi public n°1 en France : Khaled Kelkal, artisan central des attentats menés par le GIA en France durant l’été 1995 et qui finira, en octobre de cette même année, abattu par la police devant les caméras de M6 au son de « Finis-le ! Finis-le ! ».
Quand Roger des Prés crée la pièce, en 2006 à la Ferme du Bonheur, plus de dix ans après ces événements, ce n’est plus en réaction à ceux-ci mais aux émeutes de 2005. Emeutes dont le déclencheur est la mort de Zyned Benna et Bouna Traoré à Clichy-sous-Bois mais qui faisaient aussi suite aux déclarations de Nicolas Sarkozy (alors ministre de l’intérieur) sur le « kärcher » et la « racaille ». A ce moment-là, la France n’a plus connu d’attentats islamistes depuis de nombreuses années mais Roger des Prés tire la sonnette d’alarme : il a créé la Ferme du Bonheur au cœur des cités de Nanterre depuis 15 ans et s’il monte un spectacle à partir de cet entretien c’est pour alerter sur le fait que toutes les conditions sont réunies pour que ça reparte à n’importe quel moment. A la misère économique, la dégradation urbaine et l’abandon des services publics sont, en effet, venus s’ajouter le mépris et la violence d’Etat.
Reprise en 2011, à la fin de la très longue séquence qu’a constitué la présidence de Nicolas Sarkozy, la pièce continue de marteler son avertissement grave alors qu’aucun attentat majeur n’est toujours survenu sur le sol français. L’impact sur le public est pourtant plus fort encore parce que la pertinence de son propos est alors perçue par toutes et tous avec toujours plus d’acuité : nous allons dans le mur et nous y allons très vite.
En mars 2012, Mohamed Merah signe le retour d’une nouvelle séquence meurtrière islamiste en France avec 7 morts entre Toulouse et Montauban. Une séquence qui a, depuis, fait près de 250 morts et dont nous ne sommes toujours pas sortis aujourd’hui.
Les nouvelles représentations de cette pièce qui seront proposées prochainement à la Ferme du Bonheur ne le seront donc pas du tout dans la même perspective que les précédentes. Celles et ceux qui connaissent Roger des Prés connaissent également la puissance de son optimisme, seule à même de produire la puissance poétique du lieu qu’il a fondé. Mais lui-même reconnaît, pour la première fois aujourd’hui, que, sur ce sujet précis, il n’a plus d’autre moteur artistique que le désespoir. Et s’il s’interroge avec nous, spectateurs et observateurs de ces phénomènes, c’est sur la triste possibilité de « faire avec » ce désespoir ou, au contraire, d’y puiser, une nouvelle fois, l’énergie vitale de la résistance.
Pourquoi Roger des PRÉS reprend son spectacle
À l’origine il y a eu cet « abattage » de Khaled Kelkal, à 20mn de différé sur M6 le 29 septembre 1995, deux mois après l ‘attentat du RER B à St Michel le 25 juillet, et surtout la parution dans le journal le Monde du 7 octobre suivant, d’un entretien que Kelkal avait donné en 1992 à Dietmar Loch, enseignant-chercheur universitaire allemand qui avait vécu un an à Vaulx en Velin pour ses recherches sur les politiques d’intégration…
Né en banlieue, élevé en banlieue, revenu en banlieue, à Nanterre il y a bientôt trente ans, le propos m’intéresse, m’importe… j’en suis !!! J’avais, à la lecture de l’entretien de Kelkal et Loch et des articles qui l’entouraient, l’analysaient, le disséquaient… où le signal d’alarme était unanime, imaginé immédiatement une mise en scène de ce dialogue… dans l’espace public… au pied des cités… L’idée aura effrayé plus d’un « décideur culturel », je l’abandonnai. Le 21 avril 2002 puis les émeutes de 2005 l’ont fait resurgir ; j’acceptai de créer le spectacle à la Ferme du Bonheur à l’Automne 2006, me « vengeant » du dépit « d’abandonner la cité » en balançant en guise d’épilogue un film d’une telle violence que moi-même je n’ai toujours pas réussir à le voir jusqu’au bout. En 2006, le public n’applaudissait pas, ou timidement, fébrilement… Je l’ai repris en 2011… Cette fois c’est ovation tous les soirs… Nicolas Sarkozy était Président de la République… Après le spectacle, nous invitions des personnalités, je me souviens particulièrement de Stéphane Gattignon, ex-maire de Sevran, bouleversant…
Et cet été 2018, alors que je cherche la forme à donner à la traditionnelle -et naïve- « Contre-Fêt’nat’ de la Ferme du Bonheur » (« une seule nation est digne d’être célébrée : la Terre, et pas par un défilé militaire ») qui intronise chaque année « la Saison des Grâces » notre 26ème festival d’été, j’apprends la douche froide de J-Louis Borloo par Emmanuel Macron, son Plan Banlieue pas même reçu !!! Le 7 juillet je remets donc le couvert Khaled Kelkal : la salle est pleine, pas d’ovation, plutôt des applaudissements nourris… graves… Après « Khaled Kelkal, une expérience de la banlieue », on l’avait rebaptisé pour l’occasion « Khaled Kelkal a-t-il vieilli ? ». Il est vrai que depuis il y a eu Merah en 2012 à Toulouse et Montauban, en 2015 les Kouachi à Charlie Hebdo, Coulibaly à Montrouge et l’Hyper Cacher, El Khazzani dans le Thalys, Abdeslam et les trois commandos au Stade de France, au Bataclan et dans les restaurants pas loin, en 2016 Abballa à Magnanville, Lahouaiej Bouhlel à Nice, Kermiche et Nabil-Petitjean à St Étienne du Rouvray… sans compter un trop grand nombre moins médiatisés, à l’arme blanche, ni déjoués… sans compter ailleurs en Europe… en Occident… sans compter les « départs au djihad »…
Je ne sais pas précisément pourquoi je sens que je dois reprendre ce spectacle ces quelques dates en novembre 2018, les arguments alarmants, préventifs, les propositions de sortie de crise, les termes des successifs « plans banlieues » ayant été éreintés… Je me demande même si ce n’est pas désespéré, moi qui ai construit depuis bientôt trente ans cette Ferme du Bonheur au cœur d’un désastre urbain suprême, moi qui suis allé habiter une des Tours-nuages du quartier du Parc dès son classement par Sarkozy parmi « 24 quartiers hautement criminogènes-honte de la France », moi qui ai poussé le bouchon jusqu’au bout en allant vivre sous tente au cœur de presque toutes les cités de Nanterre, une semaine après l’autre l’été 2004 et l’été 2007 avec tous les troupeaux de la Ferme, animaux, artistes, salariés, amis, adhérents, partenaires… sous label « Politique de la Ville » ou « Contrat Urbain de Cohésion Sociale »… L’humeur nationale, Européenne, Internationale n’est pas au beau fixe, le repli sur soi n’est plus seulement une tentation… Mes spectacles, mes œuvres, mon Œuvre… se sont toujours réclamés « d’Optimisme Activiste »… Cette reprise révèle le doute, la question… Demain ?
(Source : La ferme du bonheur)
« Artiste Paysan urbain, il est un intercesseur : il procède inlassablement (ou inclassablement ?) à une mise en rapport des gens qui n’auraient jamais dû se rencontrer, des gens de la marge et des gens du sommet, des êtres d’autres espèces et des végétaux. Des grosses légumes et des mauvaises herbes, des moutons noirs et des jeunes loups, et aussi des lapins et des chevaux. Et avec eux, il fabrique de la culture faisant renouer le sens le plus terrestre et le plus immatériel. Et tout cela dans un paysage qui ressemble à un oxymoron : un oasis de béton. »
Vinciane Despret (philosophe)
Roger des Prés, essai de mensurations…
– Premiers émois de spectacle à 22 ans grâce aux Endimanchés, duo comique troupier paysan punkisant créé avec Alexis Forestier sous l’ère des Béruriers Noirs et prise de conscience définitive : « I’m born for the show!!! »
– Première création solitaire avec les 2 premiers actes du spectacle fondateur de la Ferme, PARANDA OULAM (Cœur aux Vents, en Tamoul), relatant l’histoire d’une troupe d’artistes partie autour du monde en roulottes, qui raconte, à son retour, ses découvertes et ses rencontres, un chant de l’Homme sous toutes les latitudes et longitudes, sa relation à la Terre, la terre, au « vivant »… et tout ce qu’il en a créé.
– Arrivée à Nanterre à l’hiver 1992/93 avec une chèvre et demie, un chien et quart, deux caravanes… Création de « la Ferme du Bonheur », naissances de chevreaux, naissance des jardins… Début de l’accueil d’artistes « étrangers » et multiformes.
– Révélation publique, médiatique et institutionnelle avec l’intronisation de la construction du favela-théâtre par le spectacle « le rêve d’un homme ridicule » de Dostoïevski. Tiens, ça peut aussi fleurir à Nanterre…
– Création du violent « l’enfant criminel » de Jean Genet
– Création de « Khaled Kelkal, une expérience de la banlieue »
– Publication de « La Ferme du Bonheur, reconquête d’un délaissé / Nanterre », éditions ACTES SUD (coll. L’Impensé), 2007.
– Tournage des premiers plans composant le générique du film « L’ennemi déclaré, Jean Genet Trahi par Roger des Prés », 2012-2013. Captation de la re-création du spectacle 2014
– Lauréat d’un appel à projets de l’Institut Français du Maroc pour le tournage d’une des scènes de fiction 2015
– Roger des Prés est inscrit sur les listes électorales en tant qu’agriculteur de spectacles, il fait ce qu’il croit devoir faire pour lui et pour qui en veut, là où il est, au moment où il y est…
Spectacle produit par La Ferme du Bonheur / Cie Paranda Oulam
D’après Dietmar Loch et Khaled Kelkal
Distribution :
Metteur en scène : Roger des Prés
Dans le rôle de Khaled Kelkal : Antoine de Benoist de Gentissard
Dans le rôle du sociologue : Roger des Prés
Régie lumière et son : Pierre-Vincent Chapus
Production : Anne Métrard
Administration : Marie Robic
La Ferme du Bonheur – 220, avenue de la République 92000 Nanterre
Informations et réservations : 01 47 24 51 24
Mail : contact[at]lafermedubonheur.fr
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