Les dirigeants mondiaux réunis à l’occasion du forum politique de haut niveau pour le développement durable ont adopté, ce 18 septembre 2023, une Déclaration politique destinée à accélérer la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030, « point de repère cardinal pour parvenir au développement durable et surmonter les multiples crises que nous traversons ». Parvenus à mi-parcours de l’échéance de ce programme, force est de constater avec une vive inquiétude que la mise en œuvre des objectifs de développement durable (ODD) est en péril. Le secrétaire général, Antonio Gutterez, dans un discours ce 18 septembre, lançait un vibrant appel dont nous reproduisons le texte intégral en fin d’article.
Les progrès réalisés pour la plupart des objectifs sont « soit beaucoup trop lents, soit en régression par rapport à la situation de départ en 2015 », affirment les chefs d’État et de gouvernement ainsi que les hauts représentants des États Membres dans la Déclaration politique. A peine 15% des cibles sont en voie d’être atteintes. Ils déclarent également que l’élimination de la pauvreté constitue le plus grand défi auquel est confrontée l’humanité et une condition indispensable au développement durable.
Dans un « appel à l’action » destiné à renverser cette tendance, les leaders mondiaux réaffirment leur détermination à revitaliser le Partenariat mondial pour le développement durable en prenant des mesures ciblées pour éliminer la pauvreté tout en accélérant les initiatives visant à éradiquer l’insécurité alimentaire. Ils appellent également à une refonte de l’architecture financière internationale, en améliorant les mécanismes d’allégement de la dette et en réorientant les droits de tirage spéciaux vers les pays qui en ont le plus besoin.
En dépit de ces engagements, quelque 1,2 milliard de personnes continuent de vivre dans une pauvreté multidimensionnelle, a déploré le Président de l’Assemblée générale, tandis que 680 millions souffriront de la faim en 2030. Si les 17 ODD constituent une « feuille de route pour l’humanité », selon les mots de M. Dennis Francis, il est crucial de faire le bilan des progrès réalisés et d’évaluer les défis qui subsistent. « Soyons clairs », a‑t‑il insisté, » les effets de la pandémie, des changements climatiques et de la guerre en Ukraine nous ont confrontés à des crises multiples, complexes et interconnectées.«
La Présidente de la Commission européenne s’est inquiétée des répercussions de la « cascade de crises » sur notre planète « en ébullition ». Bien que l’Europe ait porté son aide au développement à 93 milliards d’euros, soit une augmentation de 30% par rapport à l’année précédente, comptant pour plus de 40% de l’aide mondiale, le financement public à lui seul ne suffit pas, a‑t‑elle constaté. En conséquence, elle a annoncé que l’Union européenne investira 300 milliards d’euros dans les économies émergentes au cours des cinq prochaines années, par le biais de son plan d’investissement « Global Gateway », en plus de fournir un appui à la mise en place de marchés d’obligations vertes.
Les ODD ont profondément transformé la compréhension du développement, a noté la Ministre française des affaires étrangères, en nous forçant à aborder de front la lutte contre la pauvreté, les changements climatiques et la perte de la biodiversité. « Aucun pays ne doit avoir à choisir entre les trois. »
Face à un tel constat, Antonio Guterres, Secrétaire-général de l’ONU, a jugé que les ODD nécessitent un « plan de sauvetage mondial ». Il s’est dit « profondément encouragé » par l’engagement à améliorer l’accès des pays en développement « au carburant nécessaire à la réalisation des ODD : le financement ». Il s’est en outre félicité de l’appui des États Membres à un plan de relance des ODD d’au moins 500 milliards de dollars par an, assorti d’un mécanisme d’allègement de la dette, ainsi qu’à la réforme d’une architecture financière internationale « dépassée, dysfonctionnelle et injuste ».
Mais il s’est également remémoré la « promesse solennelle envers les gens » de financer les ODD faite, il y a huit ans, par les États Membres. Les ODD « portent les espoirs, les rêves, les droits et les attentes de personnes du monde entier », a-t-il déclaré, rappelant que ces objectifs s’alignent parfaitement avec les obligations de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il a également regretté que seuls 15% des ODD progressent, alors que beaucoup d’autres sont en recul, mettant ainsi en péril l’existence même de ces objectifs.
Le Secrétaire-général a attiré l’attention des États Membres sur le besoin d’agir d’urgence et de concert afin de prouver aux communautés du monde entier qu’il est encore possible de réaliser les ODD et de tenir la promesse faite « envers les milliards de personnes dont les espoirs, les rêves et l’avenir sont entre vos mains ».
« L’heure est venue de nous réengager en faveur des ODD et du Programme 2030 », a lancé le Président de l’Assemblée générale, en espérant que l’adoption d’une déclaration politique forte marque le début d’une « phase de progrès accélérée » en vue de leur réalisation d’ici à 2030.
Discours du Secrétaire-général, ce 18 septembre 2023 :
« Excellences, Mesdames et Messieurs,
Il y a huit ans, les États membres se sont réunis dans cette salle pour adopter les Objectifs de développement durable.
Sous le regard du monde entier – dont 193 jeunes dans la tribune tenant des lampes bleues d’espoir – vous avez fait une promesse solennelle.
La promesse de construire un monde de santé, de progrès et d’opportunités pour tous.
La promesse de ne laisser personne de côté.
Et la promesse de financer cela.
Il ne s’agissait pas d’une promesse faite aux uns et aux autres en tant que diplomates dans le confort de cette salle.
C’était – toujours – une promesse envers les gens.
Des personnes écrasées sous les roues implacables de la pauvreté.
Des personnes qui meurent de faim dans un monde d’abondance.
Des enfants privés d’une place dans une salle de classe.
Des familles fuyant les conflits, à la recherche d’une vie meilleure.
Des parents qui assistent, impuissants, à la mort de leurs enfants, victimes de maladies évitables.
Des personnes qui perdent espoir parce qu’elles ne trouvent pas d’emploi – ou de filet de sécurité lorsqu’elles en ont besoin.
Des communautés entières aux portes de la dévastation en raison du changement climatique.
Les ODD ne sont pas qu’une simple liste d’objectifs.
Ils portent les espoirs, les rêves, les droits et les attentes de personnes du monde entier.
Et ils constituent le moyen le plus sûr de respecter nos obligations envers la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont nous célébrons le 75ème anniversaire.
Pourtant, aujourd’hui, seuls 15 % des objectifs sont en bonne voie.
Nombre d’entre eux reculent.
Au lieu de ne laisser personne de côté, nous risquons de laisser les ODD de côté.
Excellences,
Les ODD ont besoin d’un plan de sauvetage mondial.
Je suis profondément encouragé par le projet de déclaration politique détaillée et de grande ampleur dont nous discutons ici aujourd’hui, en particulier par son engagement à améliorer l’accès des pays en développement au carburant nécessaire à la réalisation des ODD : le financement.
Cela inclut un soutien clair à un Plan de relance des ODD d’au moins 500 milliards de dollars par an, ainsi qu’à un mécanisme efficace d’allègement de la dette qui soutienne les suspensions de paiement, des conditions de prêt prolongées et des taux plus bas.
Cela inclut un appel à recapitaliser et à modifier le modèle économique des Banques multilatérales de développement afin qu’elles puissent mobiliser massivement des financements privés à des taux abordables au profit des pays en développement.
Cela inclut également un accord sur la nécessité d’une réforme de l’architecture financière internationale, que je considère aujourd’hui dépassée, dysfonctionnelle et injuste.
Cela peut changer la donne et accélérer la réalisation des ODD.
J’ai appelé à un nouveau Bretton Woods et à l’élaboration de solutions pratiques d’ici au Sommet de l’avenir en septembre prochain.
Mais les pays peuvent agir dès maintenant pour mettre les ODD sur la bonne voie.
Avec les entreprises, les autorités locales, le système de développement des Nations unies et d’autres, vous avez contribué à montrer la voie avec des initiatives à fort impact pour soutenir six domaines ciblés où des transitions urgentes sont nécessaires.
Premièrement, nous devons agir contre la faim.
Dans notre monde d’abondance, la faim est une tache choquante sur l’humanité et une violation monumentale des droits humains.
Le fait que des millions de personnes meurent de faim à notre époque est un acte d’accusation à l’égard de chacun d’entre nous.
En nous appuyant sur le bilan du Sommet sur les systèmes alimentaires de juillet dernier, nous mobilisons des moyens financiers, scientifiques, des données, des innovations, ainsi qu’un soutien en matière de politique et de gouvernance pour aider les pays à transformer les systèmes alimentaires afin que chaque personne puisse avoir accès à une alimentation saine et nutritive.
Deuxièmement, la transition vers les énergies renouvelables n’est pas assez rapide.
Nous proposons de nouveaux Pactes énergétiques dans lesquels les gouvernements, les entreprises et les organisations mondiales unissent leurs forces pour investir dans la décarbonisation des systèmes énergétiques et assurer une transition juste et équitable des combustibles fossiles vers les énergies renouvelables.
Troisièmement, les avantages et les possibilités du numérique ne sont pas assez largement partagés.
Pour combler ce fossé, nous avons lancé une initiative visant à stimuler la transformation numérique dans 100 pays, en soutenant le renforcement des capacités technologiques, une meilleure gouvernance et un financement innovant.
Le Pacte mondial pour le numérique que nous proposons aidera également les pays à mettre en place des systèmes numériques sûrs offrant un accès à internet pour tous, y compris aux étudiants des communautés difficiles d’accès.
Quatrièmement, trop d’enfants et de jeunes pâtissent d’une éducation de mauvaise qualité, ou ne reçoivent aucune éducation.
Nous devons bâtir de véritables « sociétés apprenantes » ancrées dans une éducation de qualité, et notamment sur la formation continue – dès le plus jeune âge et tout au long de la vie, réduisant la fracture numérique et soutenant les enseignants à chaque étape.
Un groupe émergent de « pays pionniers » montre la voie pour stimuler les investissements et transformer les systèmes éducatifs du monde entier.
Cinquièmement, chaque personne a besoin d’un travail décent et d’une protection sociale.
Grâce à la collaboration avec les gouvernements et le secteur privé, notre Accélérateur mondial pour l’emploi et la protection sociale pour des transitions justes vise à créer 400 millions de nouveaux emplois décents – en particulier dans l’économie verte, les services à la personne et l’économie numérique – ainsi qu’à étendre la protection sociale à plus de quatre milliards de personnes. Les investissements dans la protection sociale doivent massivement augmenter.
Sixièmement, la guerre menée contre la nature doit cesser.
Nous devons mettre fin à la triple crise planétaire du changement climatique, de la pollution et de la perte de biodiversité.
Nous mettons sur pied un groupe de pays champions qui étudiera les mesures à prendre pour réformer les politiques économiques et placer la nature et la biodiversité au cœur de toute décision.
Le besoin d’assurer une égalité totale entre les hommes et les femmes est au cœur de toutes ces transitions.
Il est grand temps de mettre fin à la discrimination, de garantir la pleine participation des femmes et des filles à la prise de décisions et de mettre fin au fléau des violences fondées sur le genre.
Excellences,
À mi-parcours de l’échéance pour la réalisation des Objectifs de développement durable, les yeux du monde sont de nouveau rivés sur vous.
Au cours du week-end, des jeunes et des groupes de la société civile se sont rendus à l’ONU – ou défilé à travers le monde – pour réclamer une action urgente.
L’heure est venue de prouver que vous êtes à leur écoute.
Nous pouvons réussir.
Si nous agissons maintenant.
Si nous agissons ensemble.
Si nous tenons notre promesse envers les milliards de personnes dont les espoirs, les rêves et l’avenir sont entre vos mains.
L’heure est venue. »
Photo d’en-tête : Antonio Guterres à la tribune du Forum politique de haut niveau pour le développement durable, les 18 et 19 septembre 2023