Ce mardi 4 décembre 2012 se tenait à huis-clos une réunion à Bercy entre le gouvernement et les représentants des pôles de compétitivité, à l’occasion de la 11e journée dédiée à ces écosystèmes
A quoi servent donc ces déclinaisons françaises des « clusters » américains ? Bonne question, nous a-t-on souvent répliqué dans l’univers des start-ups, sans un soupçon d’amertume !
Créés en 2004 dans le but de soutenir la croissance française, ils regroupent géographiquement entreprises, universités et instituts de recherche soutenus par l’Etat. L’idée était alors de rompre définitivement avec les grands programmes industriels d’après-guerre, définis et pilotés par l’Etat, qui se contentaient d’imiter des « business models » – notamment américains – pour rattraper leur retard.
La politique des pôles de compétitivité a été mise en œuvre pour répondre aux défis de la croissance par la voie de l’innovation. Dès le départ, ils ont été orientés vers l’innovation « amont» (la R&D fondamentale et appliquée) plutôt que vers les problématiques « aval» (qui concernent des questions aussi variées que le design, les business models, le marketing…).
Les préconisations du rapport Gallois, le rapport de l’association « L’institut de l’entreprise », l’acte III de la décentralisation et le lancement de la phase III des pôles remettent les pôles de compétitivité au cœur de l’actualité
À partir de 2005, la mise en place des pôles de compétitivité a constitué une inflexion bienvenue des politiques économiques françaises jusqu’alors fondées sur de grands programmes industriels pilotés au niveau national. Cette approche traditionnelle, pertinente dans le contexte de l’après-guerre, n’était en effet plus valide dans une économie internationalisée et dont la performance dépend désormais largement de sa capacité à innover. Dans le contexte actuel, une stratégie de soutien aux « clusters », à laquelle correspond la politique des pôles de compétitivité, devient essentielle.
Ces pôles ont reçu environ 4,5 milliards d’euros de financements publics entre 2005 et 2011. Le dernier rapport d’évaluation, commandé par les services de l’État, montre les limites de l’exercice : les pôles ne produisaient que 1,5 % des brevets français, ne représentaient que 4,5 % des dépenses de recherche et développement et ne créaient que 5 % des entreprises dites « innovantes ». Résultat, seul un projet sur quatre débouche sur une innovation en tant que telle. Constat déplorable : un trop grand nombre de pôles et de ce fait une dispersion excessive du soutien de l’État ; un manque d’orientation vers l’innovation avale ; une trop faible implication des entreprises, en particulier des grands groupes. (Source : rapport de Christian Blanc « Pour un écosystème de croissance »)
L’Institut de l’entreprise préconise, dans le cadre de son « Agenda 2020 de croissance », de consolider la politique des pôles de compétitivité par trois mesures clés : (1) réduire le nombre actuel de pôles et concentrer leurs efforts sur les secteurs les plus prometteurs ; (2) renforcer leur capacité à accompagner les innovations et leur commercialisation; (3) y impliquer davantage les grandes entreprises.
Les mesures-clés :
1/ Réduire le nombre de pôles et les concentrer sur les secteurs à plus fort potentiel
Les pôles de compétitivité sont au nombre de soixante et onze (contre quinze clusters d’excellence en Allemagne, six en Finlande, sept en Angleterre), dont soixante-deux se partagent 50 % du financement. Les pôles présentent de plus une faible adéquation avec les secteurs à plus fort potentiel. Selon l’évaluation effectuée, sur quatre-vingt-cinq technologies d’avenir, seules treize sont correctement couvertes par les pôles, parmi lesquelles les technologies des réseaux sans fil, les moteurs électriques et la robotique.
Face à la logique de saupoudrage, ramener les pôles à un nombre compris entre dix et quinze, pour leur permettre d’atteindre une taille critique, et les concentrer sur les secteurs à plus fort potentiel relève donc du bon sens.
2/ Renforcer la capacité des pôles à accompagner l’innovation et la mise sur le marché des projets
Les pôles de compétitivité restent, aujourd’hui, fortement pilotés par l’État, avec une concentration excessive sur l’innovation « amont ». Ils sont en effet conçus sur le modèle des high education clusters (1), axés sur le développement de nouvelles technologies, et privilégient le soutien à des programmes de R&D à forte composante publique. Or, les faiblesses françaises se situent plutôt au niveau « aval» qu’au niveau « amont». Ainsi, selon l’OCDE, si la dépense de R&D française est en ligne avec la moyenne des pays développés, seules 23 % des entreprises françaises ont recours à l’innovation non technologique (contre 47% en Allemagne). Les pôles doivent renforcer leur capacité à proposer des services ciblant ces faiblesses : la commercialisation, le design, la mise en place de nouveaux business models – leviers sur lesquels les entreprises françaises sont souvent moins performantes que leurs conccurentes étrangères.
(1) Les high education clusters sont structurés autour d’une université ou d’un centre de recherche. Elles sont donc orientées en priorité vers la recherche et la technologie.
3/ Accroître l’implication des grandes entreprises / Transfert de compétences
Les grandes entreprises françaises sont aujourd’hui des acteurs incontournables pour renforcer la capacité de projection de la France à l’international. Or les pôles, dès le départ pensés en fonction de la R&D plutôt que de la mise sur le marché, n’ont pas été conçus pour maximiser l’implication des grands groupes. Alors qu’elles représentent 62 % de la R&D française (chiffres INSEE), les grandes entreprises n’ont bénéficié de la politique des pôles qu’à hauteur d’approximativement 10%, alors qu’elles représentent 62 % de la recherche et développement française et 53 % des exportations du pays.
Pour qu’elles deviennent de véritables vecteurs de développement pour les pôles de compétitivité, il est nécessaire de les intégrer davantage aux dispositifs, sur la base d’une offre de services adaptée à leurs besoins et à leur forte orientation internationale.
Des pôles en quête de compétitivité
Un autre rapport d’évaluation de la performance des pôles de compétitivité entre 2008 et 2011 (2) est sorti à la fin de l’été 2012 et donnait les chiffres suivants : parmi les 71 pôles de compétitivité, il y a les bons élèves, et les autres. 20 pôles ont été jugés « très performants », 35 performants et 16 « moins performants ».
Les premiers de classe sont surtout situés dans la région parisienne et en Rhône-Alpes. Les structures souvent mises à l’honneur sont Cap Digital – le numérique en Ile-de-France -, Aerospace Valley pour l’aéronautique dans la région toulousaine ou Minalogic, le cluster de microélectronique grenoblois.
L’étude souligne aussi la bonne tenue des pôles se situant au milieu du classement, qui sont les plus nombreux. Mais dénombre 16 entités « moins performantes ». Comme le cluster de la filière équine en Normandie, Hippolia, le pôle pharmaceutique Medicen, à Paris, ou encore Qualitropic, en outre-mer, spécialiste des ressources naturelles tropicales. (Source : Le monde.fr / Nov 2012)
(2) Rapport BearingPoint /Technopolis /Erdyn
Quels liens entre les technologies d’avenir et les pôles de compétitivité ?
Le rapport a examiné quatre-vingt-cinq technologies clés à moyen terme identifiées par le ministère de l’Industrie, situées dans sept secteurs différents : (1) chimie, matériaux, procédés ; (2) technologies de l’information et de la communication ; (3) environnement, énergie ; (4) transports ; (5) bâtiment ; (6) santé, agriculture et agroalimentaire. Dans chacun de ces secteurs, ont été identifiées des technologies répondant à trois critères : un marché existant d’une taille d’ores et déjà importante, un potentiel de croissance élevé, un niveau d’intensité concurrentielle raisonnable. Sur la base de cette analyse, cinquante technologies attractives ont été identifiées a priori, et qui présentent en apparence une grande diversité. Ensuite, a été évaluée l’intensité concurrentielle des technologies considérées pour aboutir à trente cinq technologies sur lesquelles la R&D française publique et privée est positionnée.
L’étape suivante a consisté à identifier, parmi ces technologies, lesquelles présentaient un réel potentiel d’industrialisation. Au-delà des travaux de R&D, l’enjeu est en effet la transformation des découvertes scientifiques en produits à même d’être mis sur le marché. La dernière étape consistait plus spécifiquement à étudier le lien entre les technologies d’avenir et les pôles de compétitivité.
Treize technologies soutenues par des pôles semblent réellement correspondre à la vocation première des pôles de compétitivité : être des lieux de croissance économique, à travers la coopération d’acteurs de recherche et industriels.
A contrario, certains pôles mondiaux, qui possèdent pourtant la variété d’acteurs requise pour rendre possible de telles synergies, se concentrent sur des domaines pour lesquels les opportunités de marché pour la France, étant donné son système de R&D et son tissu d’entreprises, sont moyennes (Medicen, Solutions Communicantes Sécurisées, etc.).
Quant aux pôles à vocation mondiale ou nationaux, leur taille ne leur permet que d’être spécialisés sur des secteurs précis, souvent tournés vers la recherche amont, nécessaire à long terme, mais sans impact économique à moyen terme (Cancer-Bio-Santé, Qualitropic, Industries du commerce…).
Lire le Rapport complet de l’Institut de l’entreprise
A propos de l’Institut de l’entreprise
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