A l’approche de la conférence Paris-climat 2015, la chaire Economie du Climat (CEC) de l’université Paris-Dauphine et la Toulouse School of Economics (TSE) ont lancé une démarche commune de mobilisation d’économistes pour souligner le rôle des instruments économiques et de la tarification du carbone dans tout accord international, seule véritable incitation à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Un séminaire de travail a eu lieu le 4 juin dernier, réunissant Jean TIROLE, prix Nobel d’Economie et Christian de PERTHUIS, Président de la chaire économie du climat à l’université Paris Dauphine, sur les enjeux économiques de la COP21, au ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie, marquant ainsi le lancement officiel de ce projet commun CEC/TSE.
Le 13 mai dernier, le Conseil a donné son accord sur le compromis trouvé avec le Parlement européen concernant la réserve de stabilité du marché carbone européen, qui doit permettre un prix du carbone plus soutenu donc plus stable afin de renforcer le système d’échange de quotas d’émissions.
Depuis l’établissement du Protocole de Kyoto en 1997, de nombreuses initiatives visant à établir des marchés carbone ont vu le jour dans le monde, au premier rang desquelles le marché carbone européen. Depuis 2005, la part des émissions mondiales couvertes par un système d’échange de quotas a augmenté de 73%. 2014 a été une année particulièrement active avec le lancement des discussions sur les réformes structurelles pour le marché carbone européen, la mise en œuvre de la réforme du marché carbone « Regional Greenhouse Gas initiative » (RGGI) aux Etats-Unis, la connexion effective entre les marchés californien et québécois, le lancement des marchés pilotes en Chine, etc.
Début 2015, la Chine a annoncé le lancement de son marché carbone national domestique en 2016 et la Province canadienne de l’Ontario pourrait également lancer son marché. Toutes ces initiatives, en couvrant de plus en plus d’émissions, permettraient la mise en place d’un prix du carbone et d’une prise en compte du changement climatique au niveau économique. Elles serviraient également à faciliter les discussions au niveau international.
Au total, ce seraient donc 17 marchés carbone représentant 40% du PIB mondial et 11% des émissions qui seraient mis en œuvre actuellement en tant qu’outil de réductions d’émissions de gaz à effet de serre.
Qu’en est-il réellement ?
Selon le magazine Slate.fr, «Pour avoir une politique climatique sérieuse, il faudra peut-être un jour avoir des gens qui tapent sur la table.» ; propos émis par Roger Guesnerie, professeur au Collège de France, lors de ce séminaire de travail avec Jean Tirole et Christian de Perthuis qui, pour leurs parts, se seraient plutôt montrés « diplomates »…
Quels outils mettre en place pour que la lutte contre le réchauffement climatique s’enclenche de façon efficace ? Jean Tirole estime, en désaccord avec Roger Guesnerie, que la taxe carbone est un « système difficilement contrôlable à l’échelle internationale et préfère la solution du marché, celle du «cap and trade» : chaque pays étant autorisé à distribuer un certain montant (plafonné) de droits d’émission que les agents économiques achètent et revendent en fonction de leurs besoins. »
L’idée générale serait de déterminer et mettre en place un prix fixe international du carbone. Selon la Banque mondiale, c’est déjà le cas aujourd’hui dans une quarantaine de pays et plus de vingt villes, États fédérés et provinces recourant ou envisageant de recourir à une tarification du carbone afin de réduire leurs émissions de GES. Ensemble, les dispositifs en place représenteraient près de 50 milliards de dollars, selon la dernière édition du nouveau Carbon Pricing Watch, rapport qui annonce la parution prochaine du State and Trends of Carbon Pricing, une publication annuelle consacrée à la situation et aux tendances de la tarification du carbone.
« Une tarification adéquate du carbone est une composante essentielle, bien qu’insuffisante, d’un train de mesures qui peut réduire les émissions et favoriser la transition vers une économie sobre en carbone et un monde plus résilient », explique Rachel Kyte, vice-présidente et envoyée spéciale du Groupe de la Banque mondiale pour le changement climatique. « Elle rend la pollution plus coûteuse, incite à la maîtrise de l’énergie et à une production propre, et elle éclaire les chefs d’entreprise et les investisseurs sur une trajectoire de long terme. »
Une idée soutenue par les entreprises : lors de la Semaine du climat qui s’est tenue du 18 au 21 mai à Paris, puis à la Carbon Expo à Barcelone, les chefs d’entreprise ont débattu du prix du carbone et appelé à utiliser plus largement des mécanismes de tarification solides et efficaces. Ils ont estimé que la tarification du carbone était une composante essentielle du train de mesures nécessaire pour favoriser des choix plus durables.
La directive européenne du 21 mai 2015 qui établit un système d’échange de quotas d’émission impose d’allouer au moins la moitié des recettes d’un prix carbone international à des projets relatifs au climat et à l’énergie : maîtrise de l’énergie, énergies renouvelables, recherche et transports durables, par exemple. La version intégrale du rapport State and Trends of Carbon Pricing, qui sera publiée avant les négociations internationales sur le climat en fin d’année, devrait présenter des informations plus détaillées et une analyse approfondie de l’impact des dispositifs de tarification du carbone et de leurs répercussions bénéfiques sur la coopération internationale.
– Lire « Le climat, à quel prix ? » de Christian de Perthuis et Raphaël Trotignon – Editions Odile Jacob