Consommer est, par définition, un acte égoïste, par lequel l’on satisfait ses besoins – et désirs – personnels. Est-il possible de concilier consommation et éthique ? Quelques pistes de réflexion.
« Je consomme, donc je suis »
La consommation fait partie des mécanismes qui permettent aux individus de se distinguer, en particulier à travers les pratiques alimentaires, culturelles et sportives. La plupart des spécialistes en sciences humaines la considèrent d’ailleurs comme une activité sociale avant d’être un acte individuel.
La célèbre expression du philosophe René Descartes « Cogito, ergo sum », détournée en « je consomme, donc je suis », résume bien la situation : la consommation est un puissant outil d’expression de soi et de son identité, que ce soit de façon consciente ou inconsciente. Elle fait partie de nos vies et est nécessaire à notre équilibre physique, mental et psychologique.
Un équilibre menacé
Aujourd’hui, cet équilibre est menacé. Au niveau physiologique tout d’abord. Les scandales alimentaires et industriels récents – la tromperie à la viande de cheval chez Findus, les prothèses mammaires PIP, le cas du lait pour bébé contaminé chez Lactalis… – ont des conséquences sur la santé, et constituent une menace pour l’intégrité physique des personnes. Les consommateurs sont inquiets, et veulent connaître l’origine et la composition des produits qu’ils achètent et consomment. En un mot, ils souhaitent plus de responsabilité de la part des entreprises.
Au niveau psychologique et mental ensuite. Les activités de consommation perdent leur sens. On assiste à une sorte de désenchantement des individus, c’est-à-dire une prise de conscience du fait que la consommation (pour ne pas dire l’hyperconsommation) n’a pas que belle et bonne. Elle est à l’origine – comme le sont d’autres facteurs – de nombreux problèmes : gaspillage, exploitation de la misère humaine par la délocalisation dans les pays où le coût du travail est faible, pollution de l’air et des eaux, questionnements quant à la mise en hypothèque du bien-être des générations futures… Et ce, dans quasiment tous les secteurs d’activité (agro-alimentaire, automobile, habillement, les technologies, etc.). Toutes ces problématiques amènent les consommateurs à demander aux entreprises un comportement exemplaire, et une obligation à davantage de transparence.
Tout n’est pas perdu
L’équilibre procuré par la consommation, nécessaire à notre bien-être, est donc menacé. Mais il peut être rétabli. Selon l’économiste américain Jeremy Rifkin (2005) l’humanité doit réfléchir à ses modes de consommation et acquérir une conscience de ses actes et de leurs conséquences. Celle-ci ne pourra venir que d’une éducation respectant la diversité culturelle de la planète autant que la biodiversité.
Certes l’État doit assumer sa part de responsabilité, tout comme le doivent les entreprises. Néanmoins, ces questionnements sur la consommation ne doivent pas être cantonnés aux institutions publiques ou aux organisations privées. Ils doivent surtout – et prioritairement – concerner les individus. Chacun a un rôle à jouer dans cette quête d’un idéal commun.
En réponse à cet équilibre désormais menacé, les consommateurs se tournent de plus en plus vers des entreprises qui ont des valeurs éthiques fortes – en plus de l’exigence de qualité. De nombreuses initiatives émergent en matière de commerce équitable, d’économie collaborative ou d’économie sociale et solidaire. Les labels – s’ils remplissent un certain nombre de conditions – ont aussi un rôle important à jouer pour réduire la suspicion liée aux nombreux cas de greenwashing et encourager les individus à adopter ces types de produits et services.
L’éthique à la rescousse
La solution se trouve donc en partie du côté de l’éthique. Cette notion philosophique ancienne a été ces dernières années simplifiée et re-intégrée dans l’économie, à travers le très populaire concept de responsabilité sociale de l’entreprise, qui est une tentative d’opérationnalisation de l’éthique des affaires et qui s’avère être elle-même d’une grande complexité quant à sa mise en oeuvre.
De façon succincte, l’éthique renvoie à ces devoirs que nous avons envers nous-mêmes et envers autrui, même s’ils ne sont pas dictés par des lois. Le but de l’éthique étant de définir ce qui est bien, en se basant parfois (par simplicité) sur une réflexion sur les effets de nos actes. Elle renvoie chacun à son propre choix à partir de sa propre conscience.
En tant que consommateur, la réflexion éthique nous offre une nouvelle vision de ce que signifie « consommer ». En effet, selon Ezzedine Mestiri, auteur du livre Le nouveau consommateur :
« Le ressourcement éthique est le seul à réhabiliter une réflexion morale sur les finalités de l’existence et la conduite humaine qui ne sont pas seulement la propriété de l’économie ou de la société de consommation. »
De fait, la consommation en tant que domaine de préoccupation morale, est un sujet qui a pris beaucoup d’ampleur durant la dernière décennie. Des effets néfastes de ses excès sur les individus, les communautés et la société dans son ensemble, jusqu’à son rôle de catalyseur dans l’engagement des entreprises à être socialement responsables, la consommation est de plus en plus reconnue comme un terrain central pour les réflexions éthiques au sein de notre société. Comprendre les comportements de consommation à travers l’éthique du consommateur et mettre en évidence certains mécanismes qui expliqueraient le rôle de l’éthique dans les choix de consommation devient essentiel.
Proposer de nouvelles options
Dans l’atmosphère sociale morose actuelle, la réflexion éthique – l’intégration de considérations éthiques dans la prise de décisions – apporte un nouveau souffle, donne de nouvelles options, à la fois aux individus-consommateurs qu’aux entreprises. Au niveau de l’État, des décisions et projets de loi relatifs à la transition environnementale (exemple : taxation du diesel), la volonté de supprimer le glyphosate dans l’agriculture sont autant d’initiatives encourageantes.
Les entreprises, même les plus polluantes et les moins vertueuses (sous la pression de la loi NRE, puis Grenelle I et II), mettent en place des équipes dédiées au développement durable ; ce qui démontre une forme de prise de conscience – intéressée ou non – du problème.
Enfin, les consommateurs ont souvent été à l’origine de bien des changements. Ils sont plus informés, boycottent ou « buycottent », et soutiennent les actions qui leur semblent intéressantes, ou sont parfois eux-mêmes à l’initiative de certaines d’entres elles, à travers la création d’associations notamment. Une autre consommation est donc possible, il ne s’agit que d’une question de volonté !
Jean-François Toti, Maître de conférences Sciences de Gestion – Marketing, Université Lille Nord-Europe (ULNE)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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