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Comment les banques se paient une caution verte avec la complicité de l’Université

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Les rapports d’argent entre les entreprises et les universités ont toujours fait débat. La crainte de voir utilisée l’indépendance des universitaires pour satisfaire aux plans de communication et de marketing des grands groupes n’est pas une illusion. Quand des banques, et notamment BNP Paribas, présentent une image écornée en raison de leurs pratiques financières ou de leur mépris des impératifs écologiques, la tentation est grande pour elles de se racheter une vertu en signant des partenariats, contre espèces sonnantes et trébuchantes, avec les universités. Gunther Capelle-Blanchard, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne est bien placé pour observer ce manège. Il jette, dans cette tribune, un pavé dans la mare.

En décembre dernier, l’université Paris Sciences et Lettres (PSL) – qui regroupe notamment Dauphine et l’École normale supérieure – et la banque BNP Paribas ont annoncé le lancement d’un nouveau programme de licence pour la rentrée 2019 : la School of Positive Impact (ou L’École de l’impact positif). L’ambition affichée de cette formation pluridisciplinaire est « de former une nouvelle génération de décideurs aux enjeux de transition écologique, économique et sociale ». L’objectif est évidemment louable. On peut toutefois s’interroger sur l’opportunité du partenariat avec BNP Paribas.

Le 22 février dernier, le Conseil d’administration de PSL a adopté à une très large majorité (19 voix pour sur 22 votants) le principe de cette licence, malgré la contestation de certains membres du personnel et étudiants des établissements concernés. Ce vote ne concerne pas uniquement PSL, il ne s’agit pas d’un cursus ou d’un partenariat comme un autre. Les enjeux s’étendent à toute la communauté universitaire. Il illustre à la fois la dérive de la responsabilité sociale des entreprises et celles des universités.

Chaires et entreprises, les liaisons dangereuses

Les débats sur la place des entreprises dans l’enseignement supérieur sont fréquents, souvent vifs, et il ne s’agit pas ici de condamner aveuglément les chaires. Rappelons d’abord qu’en France, elles sont rarement associées à un poste de professeur, conférant à son titulaire une reconnaissance académique, comme c’est le cas dans les pays anglo-saxons.

Elles se présentent plutôt sous la forme de mécénats d’entreprises (enseignement sponsorisés, soutien à des équipes de recherche, etc.). Les réticences sont traditionnellement plutôt fortes en France et les chaires se sont développées lentement. Malgré tout, elles transforment en profondeur le fonctionnement de l’enseignement supérieur et ses missions.

Pour certains, elles représentent un formidable levier d’action, comme le défend par exemple Gilles Gleyze. À condition toutefois d’éviter deux écueils : que cela se transforme en pure opération de communication pour l’entreprise, avec la caution de la communauté scientifique, et que cela nuise à l’indépendance de la recherche.

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Que BNP Paribas ait une chaire de finance quantitative avec l’École centrale de Paris, de finance d’entreprise avec HEC, ou de disruption digitale avec l’ESSEC, cela peut se comprendre. Mais lorsque BNP Paribas crée une chaire sur les stress test avec l’École polytechnique, dont l’objectif affiché est de « concevoir des solutions répondant aux attentes des régulateurs bancaires », on peut légitimement s’inquiéter de l’indépendance des recherches qui y sont menées. Dans le cas du partenariat de BNP Paribas avec la School of Positive Impact, on peut aussi s’interroger sur les motivations de l’entreprise.

La banque d’un monde qui change ?

BNP Paribas, à la pointe du combat pour le développement durable ? La question mérite d’être posée. BNP Paribas a souvent été pointée du doigt pour ses pratiques peu « responsables ». Sans évoquer l’amende controversée de 9 milliards de dollars infligée par les États-Unis pour violation des embargos à l’encontre de plusieurs pays, comme le Soudan ou l’Iran, le groupe a fait l’objet de multiples sanctions dont le bien-fondé n’a pas été mis en doute.

En 2017, l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de régulation) l’a sanctionné pour « plusieurs insuffisances importantes » de son dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. La même année, le groupe se faisait de nouveau épingler par le régulateur américain pour avoir manipulé le marché des changes, puis en 2018 pour une tentative de manipulation des produits de taux. Il lui a également été reproché, pêle-mêle, d’être un des plus gros financeurs européens d’armes atomiques et une des banques les plus actives dans les paradis fiscaux. Sans compter que BNP Paribas est régulièrement pointés du doigt par les ONG pour son implication dans le financement des énergies fossiles.

Cela n’empêche d’ailleurs pas la banque de figurer dans de nombreux classements d’entreprises jugées « vertueuses » par les agences de notation extrafinancière (Vigeo Eiris, Sustainalytics, Oekom, FTSE4Good…). Cela illustre d’ailleurs bien à quel point il est difficile de mesurer la responsabilité sociale des entreprises (RSE).

Au final, toutes ces affaires valent à BNP Paribas une bien piètre réputation. Le groupe fut d’ailleurs l’objet d’un reportage signé Thomas Lafarge et Xavier Harel : « BNP Paribas, dans les eaux troubles de la première banque européenne ». Pas besoin d’être cynique pour se dire que la banque a bien besoin de redorer son blason.

Greenwashing

Dans le jargon académique on parle de greenwashing, ou éco-blanchiment. Il s’agit pour les entreprises d’adopter un positionnement et une communication orientés développement durable dans le but principal de « verdir » (ou de « blanchir ») leur image.

Matthew Kotchen, professeur à l’université de Yale et membre du prestigieux NBER, montre ainsi que les entreprises qui adoptent les comportements (en apparence) les plus « responsables » sont précisément celles qui sont les moins « vertueuses ». Les entreprises profitent ainsi du caractère foncièrement multidimensionnel de la RSE pour communiquer sur certaines bonnes actions qui ne sont pas en lien direct avec leurs activités, mais qui dans le bilan final pèseront autant, sinon plus, que leurs comportements irresponsables.

Margaret E. Ormiston (London Business School) et Elaine M. Wong (University of California) considèrent que la RSE offre un crédit moral qui permet aux dirigeants de s’engager dans un traitement moins éthique des parties prenantes : c’est le concept de Licence to ill. Les exemples abondent : on peut citer notamment l’entreprise Vale, responsable il y a quelques semaines de la catastrophe de Brumadinho au Brésil – un drame écologique et humain – qui se targue de partenariats signés avec les populations indigènes… Que les entreprises dévoient le concept de RSE, pour des raisons marketing, rien de très étonnant. Ce qui est nouveau, c’est qu’elles le font désormais avec l’assentiment des universités.

Clause de non-dénigrement

L’université PSL, en acceptant ce partenariat exclusif avec BNP Paribas pour sa formation au développement durable, n’offre-t-elle pas à la banque une Licence to ill à peu de frais ?

Le contrat qui lie PSL et BNP Paribas dans le cas de cette nouvelle licence est confidentiel. Un article publié dans Le Monde le 22 février dernier a toutefois de quoi nous alerter. Le montant serait de 8 millions d’euros sur 5 ans – rappelons que la plupart des Chaires bénéficient du régime fiscal du mécénat, qui permet à l’entreprise de défiscaliser 60 % de ses dons.

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En principe, l’entreprise ne peut exiger alors contractuellement aucune contrepartie. Il a pourtant été question d’une « clause de non-dénigrement ». Celle-ci n’a même pas besoin d’être explicite : comment penser que les recherches ou les enseignements puissent dans ces conditions rester tout à fait indépendants ? Je ne doute absolument pas du sérieux, de l’intégrité, de la sincérité et du dévouement de mes collègues. Au contraire, je déplore qu’ils soient dans une situation aussi inconfortable.

Notons que l’université Paris-Dauphine, membre central de l’alliance PSL, accueille déjà depuis plusieurs années, une chaire « Finance et développement durable » financée par… le Crédit Agricole et EDF, et hébergée par l’Institut Europlace de finance – une émanation du lobby de la Place financière de Paris.

De la responsabilité des universités, aussi

La question ici ne se limite pas à la RSE. Les universités ne doivent pas servir de caution aux stratégies de greenwashing. Il en va de leur responsabilité. Dauphine a justement fait de cette responsabilité sociale des universités (RSU) un des axes forts de sa politique.

Au-delà des bonnes intentions, comment cela se traduit-il dans ses actes ? Les étudiants de la School of Positive Impact auront bon jeu de se mettre en grève pour le climat, quand leur cursus sera financé par BNP Paribas.

À l’heure où les fake news font l’actualité, où la défiance envers la recherche est à son paroxysme, la communauté universitaire doit affirmer son indépendance. Il ne s’agit pas d’exclure par principe toute relation avec les entreprises, mais de ne pas se compromettre dans des opérations de communication, ne pas être complice du greenwashing. La School of Positive Impact jette un lourd discrédit sur la formation supérieure et la recherche. La responsabilité et l’indépendance ont un prix.

Gunther Capelle-Blancard, Professeur d’économie (Centre d’Economie de la Sorbonne et Paris School of Business), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Cet article est republié à partir de The Conversation partenaire éditorial de UP’ PMagazine. Lire l’article original.

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