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Monnaie Facebook

L’éléphant Facebook entre dans le magasin de la monnaie

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Mark Zuckerberg, le fondateur et patron de Facebook est un homme pressé. Il présente aujourd’hui 18 juin « Libra » qu’il veut mettre en circulation dès 2020. Sa monnaie. Ce faisant, il confère à son groupe un pouvoir jusque là réservé aux États. Fort de plus de deux milliards d’utilisateurs, Facebook entre ainsi dans le monde mystérieux de la monnaie, quitte à bousculer les banques centrales, les habitudes et l’économie du monde.
 
Le New York Times avait vendu la mèche il y a plusieurs semaines déjà, en expliquant que le géant californien planchait sérieusement sur la création d’une monnaie Facebook. Mark Zuckerberg y penserait depuis longtemps et aurait construit l’architecture de son groupe comme s’il n’avait que cette idée en tête. En effet, fort de 2.3 milliards d’utilisateurs-citoyens, Facebook dispose d’un potentiel unique au monde pour créer une monnaie et développer les paiements virtuels à travers ses messageries WahtsApp et Messenger. Dans l’esprit de Zuck, il ne s’agit pas de créer une énième cryptomonnaie ou de rajouter un bitcoin à une liste déjà longue. Zuckerberg n’est pas un suiveur mais un créateur. Selon un expert interrogé par le site Boursier.com, ce qu’il veut c’est battre monnaie et en faire « la référence la plus stable et la moins spéculative du monde ».
 

Facebook invente le « stablecoin »

On a en effet tendance à rapprocher la future monnaie de Facebook au Bitcoin, cette cryptodevise au parfum sulfureux, qui nous a habitué à ses acrobaties en tobogan. En réalité, la Libra de Facebook est autre chose. Certes, comme le bitcoin, la première et principale monnaie virtuelle décentralisée, la devise Facebook devrait utiliser la « blockchain », ce registre décentralisé, public et infalsifiable, qui permet de garantir la fiabilité des échanges sans faire appel à un tiers de confiance.
En revanche, la cryptomonnaie de Facebook ne devrait pas fluctuer librement selon l’offre et la demande, comme c’est le cas du bitcoin. Ce dernier, qui ne valait rien à sa création et a dépassé les 19.500 dollars en décembre 2017, a souvent été critiqué pour sa forte volatilité, jugée comme un frein à son adoption par le grand public. En effet, selon plusieurs études, le bitcoin est plus souvent conservé à des fins de spéculation qu’utilisé comme moyen d’échange. Facebook, au contraire, s’acheminerait vers la création d’un « stablecoin », une cryptodevise adossée à un panier de devises réelles —dollar, euro, yen…—censé en garantir le cours.
 

Une idée révolutionnaire qui va bousculer les banques

L’idée de Zuckerberg semble révolutionnaire. Pour payer un produit ou un service, effectuer un virement à sa famille, plus besoin de cash, de cartes bancaires ; plus besoin d’opérations de change et de complexes manipulations bancaires. Il suffira de transférer l’argent à l’aide d’un smartphone « aussi facilement et instantanément que quand vous envoyez un message » affirme un communiqué du réseau social.
 
L’application Calibra créée par Facebook pour sa monnaie virtuelle
 
De l’argent purement virtuel, sans intermédiaires, qui devrait donner des sueurs froides aux banques traditionnelles dont le modèle économique fondé sur une kyrielle de commissions en tous genres risque d’être sérieusement malmené. Pour enfoncer le clou, Facebook précise que les Libras pourront même être accessibles à des personnes n’ayant pas de compte bancaire ; un public qui représente « la moitié des adultes dans le monde » insiste Facebook qui ajoute que la proportion est encore plus forte dans les pays en voie de développement.
 
L’idée de Zuck est devenue concrète il y a quelques mois seulement, avec la mise en place, à Memlo Park, le siège californien du réseau social, d’une équipe dédiée au projet, une cinquantaine de personnes travaillant dans la plus grande discrétion, en vase presque clos. Un staff de combat, dirigé par ce qui peut se faire de mieux : David Marcus, l’ancien patron de Paypal. Leur travail a été fécond et efficace puisque le lancement de cette monnaie serait opéré dès la mi-2020. Ce qui apparaît comme remarquable dans cette histoire, c’est que Facebook a réussi à ne pas partir seul dans cette aventure ; il emmène avec lui une vingtaine de géants du commerce et des paiements : Visa, Mastercard, Paypal, Uber, Spotify, eBay, Booking et même Free, la compagnie du français Xavier Niel.
 
 

Souveraineté et légitimité

Battre monnaie. C’est là le privilège régalien des États. Le symbole fort de la souveraineté. On dit souvent qu’avec ses milliards d’utilisateurs, Facebook est le premier pays du monde. Est-il néanmoins, sur le plan de la légitimité, un État ? Certainement pas, jusqu’à présent. Facebook règne sur un marché, gigantesque certes, mais seulement un marché. Un État repose sur le principe de légitimité politique né des élections. Une légitimité qui permet à l’État de légiférer, de recourir à la violence légitime, de réguler la société et la vie de ses citoyens ; d’exercer le pouvoir.
 
La légitimité politique et démocratique est-elle en train d’être concurrencée par une nouvelle forme de légitimité, celle du marché ? Facebook détient certes un pouvoir immense : celui de capter un marché et d’y appliquer sa loi. Est-il pour autant légitime ? Certains pourraient être tentés de répondre par l’affirmative. En effet, dans une démocratie politique on vote quelques rares fois ; dans un marché, on vote à chaque achat, chaque utilisation d’un service. La puissance opérée sur le marché confère-t-elle une quelconque légitimité ? Mark Zuckerberg semble le penser. Aussi, quand il forme le projet de battre monnaie, il s’attribue un signe essentiel de l’État : « Une monnaie est le symbole qui renforce l’appartenance à une communauté, elle est vectrice de lien social » décrit l’économiste Philippe Herlin. Autant de dimensions qui sont la nature même du réseau social de Mark Zuckerberg.
 

Confiance

En voulant battre monnaie, Zuck change de registre ; ce faisant, il marque l’acmé de la légitimité politique, celle qui repose sur la confiance ; un élément primordial qui fait cruellement défaut à nombre d’États. Zuckerberg sait qu’il peut créer une monnaie, parce que le monde actuel lui offre cette opportunité.  Il en a la légitimité, conférée non plus par la politique ou la démocratie mais par le marché.
En revanche, l’élément confiance est trop entamé par les multiples failles de sécurité et les dérives de fonctionnement de Facebook pour remplir correctement son office.
 
Dans l’optique de créer une monnaie, les peuples divers et variés qui forment la gigantesque cohorte des utilisateurs de Facebook doivent impérativement être rassurés sur la confiance qu’ils devront abandonner au réseau, d’autant plus que ce dernier concernera leur porte-monnaie. Ceci explique pourquoi Zuckerberg a choisi un modèle de gouvernance de sa monnaie on ne peut plus dans la tradition bancaire : une Fondation établie en Suisse, à Genève. Cette Fondation privée, la Libra Association, alliance d’une vingtaine de membres fondateurs au début, jouera le rôle de banque centrale transnationale. Elle exercera des fonctions financières mais aussi commerciales ; à ce titre, les membres de l’alliance pourront proposer de nouveaux services et solutions de paiement fondées sur les Libras.
 
Un tel modèle de gouvernance n’est pas le meilleur signe de transparence, mais le symbole du coffre-fort suisse est là pour rassurer.
D’autant que le projet de Zuckerberg ne consiste pas à créer n’importe quelle devise, mais une monnaie référence. Une monnaie insensible aux chocs des marchés et aux aléas monétaires, une monnaie sûre et forte. Le patron de Facebook rêve d’une monnaie non spéculative, qui remplirait une utilité sociale.
 

Zuck sauveur du monde

Sur ce dernier point, il joue sur du velours tant les institutions financières qu’elles soient publiques ou privées comme les banques, ne sont plus reconnues par les peuples, car elles ne fonctionnent plus dans et pour l’économie mais plutôt contre elle. Les Gilets jaunes ont cassé des banques, Wall Street comme la City se claquemurent car les opinions ont compris que le moteur de ces institutions est la spéculation et la gestion indicielle. Les institutions financières ne jouent plus, aux yeux des citoyens, le jeu de l’économie, c’est même le contraire. Et leur petit jeu mène aux crises.
 
En promettant une monnaie stable, Zuckerberg qui ne souffre d’aucun complexe d’infériorité, entend lancer une bouée de sauvetage au monde dont l’horizon est limité à l’attente angoissée d’un nouveau krach. « La mission de la libra est de permettre la mise en place d’une monnaie mondiale simple et d’une infrastructure financière qui rende autonomes des milliards de personnes », a déclaré Dante Disparte, responsable des politiques et de la communication à la Libra Association, dans une interview.
Nul doute que la monnaie de Facebook pourra devenir une monnaie privée alternative à celle des États aux devises volatiles comme le Venezuela, l’Argentine, de nombreux pays africains ou l’Inde.
Zuckerberg, sauveur du monde : quoi de mieux pour aiguiser son égo ?
 
 
Avec AFP
 

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