Malgré toutes les promesses, les engagements de verdissement, l’état de l’opinion publique mondiale et surtout les pressions de l’urgence climatique et de ses cohortes de phénomènes extrêmes, le naturel des banques revient au galop. Promesses vertes mais financement noir : elles continuent d’investir de plus belle les industries fossiles. Et l’année dernière, comme des junkies pris dans leur addiction, elles y sont allées sans vergogne. Les vingt-cinq banques européennes, parmi lesquelles, nos trois françaises (BNP, Crédit Agricole, Société Générale) — affichant toutes des objectifs de neutralité carbone—, ont fourni 55 milliards de dollars de financement à des compagnies de production de pétrole et de gaz. Sur les cinq dernières années leur financement a cumulé 400 milliards de dollars.
Les britanniques HSBC et Barclays, suivies par les françaises BNP Paribas, Crédit Agricole et Société Générale constituent le quinté de tête des établissements européens qui financent le plus l’expansion du secteur des énergies fossiles, selon une étude publiée par l’ONG ShareAction qui milite pour des « investissements responsables ». Cette dernière ajoute que le financement de ces activités se fait en contradiction avec les données scientifiques qui « montrent qu’il n’y a aucune place pour l’investissement dans de nouveaux champs pétroliers et gaziers si le monde veut limiter le réchauffement à 1,5°C ».
Vingt-quatre des vingt-cinq banques étudiées par ShareAction font partie de l’Alliance bancaire pour Net Zéro, un réseau de banques chapeauté par les Nations Unies. Les banques de ce réseau s’engagent à aligner leurs pratiques et leurs portefeuilles pour atteindre la neutralité carbone en 2050. L’étude de l’ONG révèle que leurs pratiques semblent en contradiction avec leurs promesses.
L’ONG précise s’être basée sur les volumes de financement de ces banques « à 50 entreprises ayant de grands projets de développement pétroliers et gaziers dont Exxon Mobil, Saudi Aramco, Shell et BP ». Par ailleurs, ces chiffres pourraient être largement sous-estimés. Ils sont en effet calculés par une société d’analyse des données néerlandaise qui compile toutes les données publiques existant sur les relations financières entre ces vingt-cinq banques et les cinquante premières entreprises d’exploitation d’hydrocarbures. Or par nature dans ce type de business, une partie des financements n’est pas dévoilée.
Seules Commerzbank, Crédit Mutuel et La Banque Postale « ont commencé à restreindre le financement aux entreprises développant la production de pétrole et de gaz », relève l’ONG. Elles font figure d’exception. La Banque Postale avait ainsi promis mi-octobre de sortir de toutes les énergies fossiles à l’horizon 2030, même si elle est moins exposée que d’autres institutions bancaires au secteur. Le Crédit Mutuel Alliance Fédérale, entité qui rassemble 13 des 18 fédérations régionales du groupe Crédit Mutuel, avait annoncé peu après stopper « le financement de tout nouveau projet d’exploration, de production et d’infrastructure dans le pétrole et le gaz ».
Un scénario perdant-perdant pour les banques et leurs investisseurs
Toutes les banques « vont tôt ou tard devoir mettre en place des engagements similaires s’ils veulent atteindre leurs objectifs de neutralité carbone », insiste ShareAction, pour qui financer le développement du pétrole et du gaz est « un scénario perdant-perdant pour les banques et leurs investisseurs ».
BNP Paribas se défend en affichant « une diminution significative du soutien accordé (…) aux acteurs du pétrole et du gaz en 2021 par rapport à 2019 », et cette réduction « va se poursuivre » a fait valoir la banque auprès de l’AFP, assurant être « un financeur important » des énergéticiens européens engagés dans les énergies renouvelables.
Les ONG environnementales publient régulièrement des études fustigeant les banques ou sociétés d’investissement accusées de continuer à financer les projets liés aux hydrocarbures malgré leurs promesses de verdir leurs activités. La banque britannique HSBC avait ainsi publié mi-décembre un plan de sortie des financements d’activités liées au charbon thermique aussitôt décrié comme peu crédible par des organisations écologistes. HSBC a indiqué lundi qu’elle annoncerait le 22 février, lors de la publication de ses résultats annuels, des objectifs concernant notamment le financement du pétrole et du gaz en ligne « avec les objectifs et les échéances de l’accord de Paris ».
Barclays continue pour sa part « à se focaliser sur (son) ambition d’être une banque neutre en carbone d’ici 2050 » et « s’est fixé un objectif de réduire de 15% les émissions financées dans le secteur de l’énergie, dont le charbon, le pétrole et le gaz d’ici 2025 », selon un porte-parole.
Où est la fin du pétrole ?
Un rapport publié en mars 2021 par l’Agence internationale de l’énergie et l’Imperial College de Londres avait révélé que les investissements dans les énergies renouvelables connaissent un rendement supérieur de 367 % à celui des combustibles fossiles depuis 2010.
À première vue pourtant, l’avenir n’est plus au pétrole. En matière de mobilité, le véhicule électrique s’impose désormais comme une nouvelle norme de la mobilité individuelle. Selon Philippe Copinschi dans un article publié par The Conversation, « au rythme actuel, l’essentiel des nouvelles immatriculations en Europe sera électrique d’ici quelques années à peine ». Il prévient : « Un siècle après s’être imposé comme l’énergie incontournable dans le transport, le pétrole va ainsi perdre une grande partie de son statut de ressource stratégique ».
Va-t-il pour autant disparaître, au grand dam des banquiers qui le financent à tour de bras ? Pas du tout, le pétrole n’est pas mort : le transport de marchandises, routier et maritime, dépend encore quasi exclusivement du pétrole – à 99 % pour le transport maritime (AIE), et en 2020 en Europe, les ventes de camion étaient à 96 % au diesel, même si les alternatives (gaz naturel, biocarburants, hydrogène, électricité…) gagnent en compétitivité. Quant au transport aérien, il devrait rester encore totalement tributaire du pétrole pour de nombreuses années.
Pour ce qui concerne la production énergétique, les énergies renouvelables ne détrôneront pas le pétrole de sitôt dans les pays en développement, où l’accès aux technologies de pointe est souvent limité. L’or noir deviendrait ainsi « l’énergie du pauvre » sans perdre, avant longtemps, ses atours aux yeux des banquiers, qui continueront, même si la planète brûle et s’asphyxie, leur business as usual.
Avec AFP