Des chercheurs de l’École des Hautes Études de la Santé Publique (EHESP) ont présenté sur leur site un article évaluant à un peu plus de 60 000 le nombre de décès qui auraient été évités grâce au confinement. Ces travaux ont été abondamment commentés dans la presse et n’ont pas manqué de susciter certaines interrogations, voire réserves. C’est pourtant sur la base de ces éléments que le Premier ministre a justifié la politique de confinement et de déconfinement progressif de la France devant l’Assemblée nationale, conférant à cette étude une caution officielle. Pourtant deux articles scientifiques paraissent simultanément ce 2 mai et aboutissent à des résultats diamétralement opposés aux discours officiels : le confinement n’a pas épargné des vies, il n’a pas été en mesure de ralentir la course de l’épidémie. Il a été appliqué sans mesure scientifique de sa preuve d’efficacité, et comporte des effets secondaires indésirables, non seulement économiques et sociaux mais aussi médicaux. En bref, aurons-nous été confinés pour rien ?
L’émergence soudaine de l’épidémie de Covid-19 dans notre vie quotidienne a posé un défi majeur aux gouvernements. Face à une situation inattendue et sans précédent, les dirigeants de la plupart des pays ont dû prendre des décisions dans l’urgence et faire preuve d’une réactivité inédite pour protéger leur population. La plupart des pays n’étant pas préparés à une telle pandémie, se sont retrouvés confrontés au manque de moyens de dépistage, de capacités de réanimation et de protection. Ces lacunes les ont conduits à adopter des mesures de distanciation sociale et, selon les pays, à mettre en œuvre un large éventail de mesures publiques allant du confinement total, sanctionné par les forces de l’ordre, jusqu’à des pratiques plus souples, encourageant la distanciation sociale sans enfermer la population.
Le choix du confinement a touché la moitié de l’humanité. Les Français sont confinés depuis le 17 mars ; il leur est interdit de sortir de chez eux sans une attestation dérogatoire, forme moderne du laisser-passer. Un confinement ordonné, sans jamais en prononcer le mot, par le Président de la République dans son allocution du 16 mars. Une décision présidentielle prise à partir de l’avis d’un Conseil scientifique spécialement constitué à cet effet.
Après plusieurs semaines de confinement, et alors que la date de déconfinement approche, la validité de cette décision fait toujours débat entre ceux qui estiment que cette mesure, malgré toutes ses conséquences néfastes, était nécessaire, et ceux qui pensent qu’on pouvait en faire l’économie. En effet, des études sont en train de s’accumuler pour apporter des réponses à ces questions. Deux d’entre elles ont été publiées ce 2 mai, l’une en prépublication sur la plateforme spécialisée medRXiv (Thomas Meunier), l’autre dans le Journal International de Médecine – JIM (Jean-François Toussaint et al.). Elles remettent clairement en cause les méthodes et conclusions d’une autre étude, réalisée par l’EHESP (Jonathan Roux et al.) confortant le choix politique français du confinement.
Avant d’entrer dans le détail de la controverse scientifique, il est utile de s’interroger sur une situation passée inaperçue. Alors que les nouveaux traitements médicaux proposés pour guérir les cas de Covid-19 doivent être validés par des protocoles médicaux précis et notamment des études en double aveugle, les avantages et les risques des stratégies de confinement ne font l’objet d’aucun test comparatif. Le cadre éthique et méthodologique d’une étude randomisée est bien entendu impossible à établir à l’échelle des populations (or c’est pourtant le fondement établissant la validité scientifique des essais thérapeutiques) et fait donc défaut pour déterminer le bénéfice de mesures ayant aussi des effets secondaires importants et durables. « Ces études de modélisation, du fait du contexte très particulier de la pandémie et de l’urgence de la situation, ont bousculé la marche normale de toute étude scientifique : réalisation de l’étude, soumission à une revue scientifique à comité de lecture, expertise, publication après une éventuelle révision ou rejet de l’article par la revue » écrivent les auteurs de l’article du JIM.
Ces mesures de confinement total, telles que celles décidées en Italie, en France, en Espagne et au Royaume-Uni, n’ont pas été expérimentées dans les pays d’Europe occidentale depuis des siècles ; elles viennent du fond des âges et des grandes peurs de l’humanité.
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Leurs effets sur la santé mentale et physique de la population contemporaine sont largement inconnus. Il a déjà été démontré que l’épisode épidémique de COVID-19 a, en soi, affecté la santé mentale, avec des syndromes d’anxiété et de dépression et que les conséquences de l’isolement pourraient aggraver ces pathologies. En l’absence de groupe de contrôle, les impacts sur la population d’Europe occidentale ne seront pas mesurables avant plusieurs mois. Néanmoins, il faut s’attendre à une augmentation de la mortalité due aux difficultés d’accès aux soins de santé de base, à une aggravation des conditions mentales liées à l’isolement, notamment chez les personnes âgées, ainsi qu’aux conséquences sociales et humaines de la récession économique.
Les mesures de confinement ne sont donc appropriées que si leurs effets sur la limitation de la propagation de l’épidémie permettent de sauver plus de vies que le nombre de décès qu’elles entraînent. « Tenter une évaluation en temps réel de l’efficacité des politiques de confinement total semble donc crucial pour aider les décisions d’action publique dans les semaines à venir » écrit Thomas Meunier en préambule de son article du medRXiv.
L’étude de l’EHESP fait pourtant référence pour le gouvernement
L’étude dirigée par Jonathan Roux a été publiée le 23 avril dernier sur le site de l’École des Hautes Études de la Santé Publique. Elle présente une modélisation du nombre d’hospitalisations, de patients en réanimation et de décès potentiellement évités par le confinement en France depuis le 17 mars. Se basant sur les connaissances disponibles sur la transmission virale, les auteurs estiment l’effet d’une absence de confinement sur le nombre d’événements dans les trois situations. Pour cela, ils observent les données du 20 au 28 mars et vérifient que leur modèle reproduit les résultats des 13 régions métropolitaines. Ils prolongent ensuite ce modèle, supposé validé, jusqu’au 19 avril et mesurent alors l’écart obtenu entre le modèle et les résultats observés à cette date.
Ils concluent que le confinement a permis d’éviter 61 739 morts en un mois, qui ne se sont donc pas ajoutés aux 12 069 décès hospitaliers observés à cette date. Dans ce modèle, la mortalité atteint 10 000 décès à l’hôpital le 19 avril et elle double tous les 4-5 jours, comme cela est indiqué sur le site de l’École des Hautes Études de la Santé Publique. « L’étude montre qu’un mois de confinement aurait permis d’éviter jusqu’à 60 000 morts et que sans confinement, plus de 100 000 lits de réanimation auraient été nécessaires au 20 avril 2020 » y est-il précisé.
C’est sur ces conclusions que le Premier ministre a justifié a posteriori la politique française de confinement mise en place depuis le 17 mars, devant les députés le 28 avril dernier :
Or le professeur Toussaint et ses collègues estiment que cet article de l’EHESP pose plusieurs problèmes méthodologiques : les intervalles de confiance autour des courbes modélisées sont importants, ce qui pourrait remettre en cause les modèles eux-mêmes. D’autre part, la courbe diverge des points réels ayant servi à valider le modèle et surestime le nombre d’événements qui auraient pu se produire sans confinement. Enfin, les valeurs du modèle augmentant avec le temps de manière exponentielle, la modélisation amplifie systématiquement les résultats à mesure que le temps passe. En clair, « le modèle surestime notablement les effets positifs du confinement ».
Les chercheurs de l’EHESP ont sans doute voulu démontrer l’efficacité du confinement généralisé en France ; était-ce une commande publique pour justifier une politique difficile ? On ne le saura jamais.
Toujours est-il que la méthode employée dans cette étude ne permet pas de répondre scientifiquement à la question posée car de nombreux paramètres estimés a priori et encore très incertains à ce jour peuvent changer de manière extrêmement conséquente les trajectoires et les résultats des projections. Jean-François Toussaint et ses collègues affirment que l’utilisation de tels modèles « doit rester prudente quant aux conclusions à en tirer et personne ne peut s’appuyer raisonnablement sur ce type d’étude pour justifier une mesure dont nous n’avons pas fini de mesurer les impacts sanitaires, économiques et sociaux. »
Un confinement total sans effet
Comme pour enfoncer le clou, une autre étude internationale menée par le chercheur franco-américain Thomas Meunier et publiée sur medRxiv confirme ces réserves. Le rapport d’analyse prévient d’emblée : « Nous montrons ici que les données disponibles ne montrent aucun effet des politiques de confinement total appliquées en Italie, en Espagne, en France et au Royaume-Uni dans l’évolution temporelle de l’épidémie de COVID-19. » Il poursuit : « aucun changement positif n’est remarqué dans la tendance du taux de croissance quotidien des décès, du temps de doublement ou du nombre de reproduction, des semaines après que les politiques de confinement auraient dû avoir montré leurs effets. »
Un des résultats intéressants de l’étude est celui concernant la comparaison des pays appliquant des mesures de confinement différentes. La figure ci-dessous montre l’évolution des taux de croissance quotidiens des décès (t), leurs tendances linéaires, les chiffres de reproduction et les temps de doublement pour 10 pays. Les chercheurs ont sélectionné les pays qui comptaient plus de 1000 décès au 15 avril 2020, et ont opportunément choisi d’exclure les données de la Chine, étant donné les doutes croissants sur leur exactitude. La référence temporelle a été choisie comme étant le jour où le nombre total de décès a dépassé 100 dans chaque pays.
L’évolution du nombre quotidien de décès montre une tendance générale à la baisse similaire dans tous les pays. Il est intéressant de noter que, si les tendances linéaires des taux de croissance ont des pentes similaires dans presque tous les pays, elles présentent une large gamme de valeurs, ce qui montre que, bien que le ralentissement de l’épidémie suive une trajectoire similaire, chaque pays a commencé à des niveaux de taux de croissance très différents.
Cette tendance générale à la décroissance s’accompagne d’une décroissance régulière du taux de transmission dans tous les pays, avec des pentes similaires et, là encore, une large gamme de taux de reproduction initiaux. Comme on peut s’y attendre avec un taux de croissance et un taux de reproduction en baisse, le temps de doublement augmente dans tous les pays dès le début de la série chronologique. La figure montre donc, précisent les auteurs, « que l’évolution temporelle de l’épidémie est homogène en Europe occidentale », et que les principales différences résident dans les conditions initiales au début de l’épidémie. On observe en particulier que les pays ayant des politiques de distanciation sociale, mais pas de confinement à domicile, comme les Pays-Bas et l’Allemagne, connaissent un déclin de l’épidémie très similaire en termes de taux de croissance, de nombre de reproduction du virus et de temps de doublement, à celui des pays où le confinement à domicile est contrôlé par la police. D’autre part, les résultats obtenus en Suède suggèrent que l’absence totale d’action peut entraîner un déclin plus variable de l’épidémie.
Par ailleurs, cette étude d’observation, utilisant une méthode phénoménologique généralisée basée sur les seuls registres de décès quotidiens, démontre que les politiques de confinement total de la France, de l’Italie, de l’Espagne et du Royaume-Uni n’ont pas eu les effets attendus dans l’évolution de l’épidémie de COVID-19.
En résumé, les chercheurs sont formels et vont à l’encontre des thèses dominantes : « Nos résultats montrent une tendance générale à la baisse des taux de croissance et des chiffres de reproduction deux à trois semaines avant que les politiques de confinement total ne produisent des effets visibles. »
Les chercheurs suggèrent qu’« aucune vie n’a été sauvée par cette stratégie », en comparaison avec les politiques de distanciation sociale moins restrictives que le confinement total. Ils poursuivent : « La comparaison de l’évolution de l’épidémie entre les pays totalement verrouillés et les pays voisins appliquant uniquement des mesures de distanciation sociale, confirme l’absence de tout effet du confinement à domicile. »
L’évolution de l’épidémie en Suède indique cependant, qu’en l’absence de mesures de distanciation sociale, le déclin de l’épidémie peut être soumis à des fluctuations plus importantes.
Ce travail suggère donc que les mesures de distanciation sociale, telles que celles appliquées aux Pays-Bas et en Allemagne, ou en Italie, en France, en Espagne et au Royaume-Uni avant les stratégies de confinement total, ont approximativement les mêmes effets que les politiques de confinement à domicile contrôlées de façon coercitives par la police.
Jusqu’à présent, les scientifiques auteurs de cette étude notent que les raisons du déclin relativement régulier de l’épidémie restent largement inconnues. Si les efforts de distanciation sociale peuvent y contribuer, les conditions environnementales pourraient tout aussi bien avoir joué un rôle (saisonnalité possible du virus). En toutes hypothèses, si les mesures de distanciation sociale (gestes barrières, évitement des concentrations de personnes, port du masque, etc.) ont des effets tangibles sur la maîtrise de l’épidémie, en revanche, les mesures de confinement de la population sont clairement mises en cause. Elles sont justifiées sur des fondements erronés et des méthodes controversées ; pourtant, ce sont sur elles que s’appuient des décisions politiques impactant directement la vie de dizaines de millions de personnes. c’est ainsi que conclut Jean-François Toussaint : » il est sans doute préférable d’éviter d’induire de telles erreurs, surtout si elles altèrent la décision publique« .
En ce moment, la France s’interroge sur la sortie du confinement tout en comprenant que ce 11 mai prochain ne sera pas une date de libération, de retour aux habitudes anciennes. Car l’épidémie est toujours là. Alors on invente un déconfinement qui confine quand même un peu. On invente des cartes vertes et rouges du territoire, on définit des limites de déplacement. On promet une confiscation des vacances, des plages, des stades. On prive la population de presque tout parce que les savants ne savent presque rien sur ce virus qui nous réserve chaque jour des surprises. On continue dans l’idée du confinement. Errare humanum est, perseverare diabolicum est.
Le confinement, c’est la pensée magique en attendant le vaccin. Qu’il soit inefficace, qu’il produise des effets indésirables délétères, importe peu au regard du sentiment de maîtrise qu’il confère à celui qui l’impose. Un calcul à courte vue que ne font pas d’autres pays, préférant payer le seul prix de l’épidémie sans y ajouter celui des dégâts d’une politique inajustée à notre époque. Importé de la Chine épidémique ancestrale, le confinement est non seulement inefficace, il est le révélateur de nos insuffisances et de notre désarroi.