Au cours des dix dernières années, le rythme de découverte d’exoplanètes s’est intensifié prodigieusement. Aujourd’hui, même l’intelligence artificielle de Google s’en mêle. A chaque nouvelle annonce de découverte, la question qui se pose immédiatement est : quand pourrons-nous explorer ces mondes lointains ? Et la deuxième question qui vient immédiatement à l’esprit est : y-a-t-il une vie sur ces planètes ? Ces questions ont donné lieu à plusieurs propositions ambitieuses mais la plus audacieuse ou la plus folle est celle portée par un scientifique européen qui, avec son projet Genesis, voudrait semer la vie sur les planètes lointaines.
Claudius Gros est professeur à l’Institut de physique théorique de l’Université Goethe à Francfort. Celui-ci a publié en 2016 un article qui décrivait comment les missions robotiques équipées d’usines de gènes (ou de nacelles cryogéniques) pouvaient être utilisées pour distribuer la vie microbienne à des « exoplanètes habitables de façon transitoire », c’est-à-dire des planètes capables de soutenir la vie, mais peu susceptibles d’y donner naissance par elles-mêmes. Le projet Genesis a, depuis, été affiné. Désormais, dans un nouvel article, le professeur Gros estime possible d’utiliser des voiles magnétiques pour équiper des vaisseaux spatiaux porteurs de la vie à destination d’autres planètes.
Le professeur Claudius Gros (photo : Bernd Hartung/die Welt)
On sait aujourd’hui qu’un nombre impressionnant d’exoplanètes existe. Elles sont de toutes tailles, températures et composition. Mais un consensus semble s’affirmer chez la plupart des scientifiques : la vie « simple » – c’est-à-dire celle des microorganismes élémentaires – doit être très commune dans l’univers. Mais la vie « complexe » – celle des organismes évolués – doit être beaucoup plus rare.
Dans des conditions optimales, la vie simple peut se développer très rapidement. En revanche la vie complexe a besoin de beaucoup plus de temps pour évoluer. Claudius Gros rappelle dans une interview à Universe Today que « sur Terre, il a fallu beaucoup de temps pour que la vie complexe arrive. L’explosion cambrienne ne s’est produite qu’il y a environ 500 millions d’années, soit environ 4 milliards d’années après la formation de la Terre ». Son idée est de donner aux exoplanètes la possibilité d’avancer rapidement dans l’évolution. Une sorte d’accélération du temps. « Nous pouvons leur donner la chance d’avoir leurs propres explosions cambriennes » dit-il. Mais cette possibilité n’est pas applicable à toutes les exoplanètes. Il faut sélectionner celles qui sont « habitables ».
Les principaux candidats sont des « planètes d’oxygène » habitables autour de naines. Claude Gros affirme : « Il est très probable que l’atmosphère primaire riche en oxygène de ces planètes aura empêché l’abiogenèse, c’est-à-dire la formation de la vie. Notre galaxie pourrait potentiellement abriter des milliards de planètes avec de l’oxygène, habitables, mais inertes. »
Imaginons donc des planètes susceptibles de supporter la vie. Quel genre d’organismes seraient envoyés ? En premier lieu, « des bactéries photo-synthétisantes, comme les cyanobactéries et les eucaryotes (le type cellulaire constituant toute la vie complexe, c’est-à-dire les animaux et les plantes) », répond le chercheur. « Les hétérotrophes, ces organismes qui se nourrissent d’autres organismes qui ne peuvent exister qu’après l’existence d’autotrophes, viendraient dans un second temps ».
Claudius Gros semble avoir une idée précise du profil des candidats à la future colonisation de l’espace.
Pour Claudius Gros la question de l’expédition de ces organismes dépend du niveau technologique atteint au moment où le problème se posera. Plusieurs solutions seraient, selon lui possibles. On pourrait ainsi miniaturiser une « usine à gènes » ou envoyer dans l’espace des germes congelés. Une autre option serait d’envoyer une vie synthétique. La biologie synthétique fait actuellement d’énormes progrès et est capable d’ores et déjà de reprogrammer le code génétique. On peut alors imaginer de créer de nouvelles formes de vie basées sur un code différent de celui que nous connaissons. Le professeur Gros reconnaît que cette méthode est hautement dangereuse si elle faite sur Terre, mais sur une planète lointaine, elle pourrait, aux yeux du scientifique, s’avérer extrêmement bénéfique.
La question qui se pose est non seulement celle de la pertinence mais aussi de l’utilité d’une telle démarche. Quel bénéfice l’humanité peut-elle tirer de cet ensemencement de l’espace ? D’autant que, les distances étant tellement lointaines que, dans l’état actuel de nos technologies, nous ne pourrions voir les résultats de ces initiatives avant plusieurs milliers voire millions d’années. Le Dr Gros reconnait qu’il n’est pas très rationnel de parler de « bénéfice » à court ou moyen terme. Mais à une échelle plus longue, pourquoi pas.
Pourrons-nous, un jour, porter la vie à des mondes lointains ?
On s’en doute, de nombreuses critiques sont formulées à l’égard du projet Genesis du Dr Gros. Elles peuvent être rangées en trois catégories.
La première est d’ordre religieux. Qu’est-ce qui autorise l’homme à jouer le rôle de Dieu ? Claudius Gros répond en disant que son projet Genesis n’a pas pour but de créer la vie mais celui de donner à la vie la possibilité de se développer davantage. Certes, pas sur Terre, mais ailleurs dans le cosmos.
Le seconde critique tient à la protection planétaire. Ce concept oblige à ne pas « contaminer » l’espace de formes organiques terrestres. Les agences spatiales y sont très attachées lors des missions dans l’espace. Claudius Gros répond en rappelant que son projet d’une part ne vise pas les formes de vie complexes et d’autre part ne cible que des exoplanètes dites inertes, c’est-à-dire celles où aucune forme de vie n’est détectée.
Le troisième argument concerne le manque de bénéfice pour l’humanité. Si l’on pense que l’éthique pourrait être définie par « ce qui est bon pour l’humain », on peut dire que ce projet n’est pas éthique. Le Dr Gros n’est pas loin de le penser, dans cette acception du terme, mais la passion de la recherche et de la découverte semble, pour ce qui le concerne, l’emporter.
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