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Bioéthique : doit-on intervenir médicalement sur un embryon ?

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Ce 18 janvier sont lancés les États généraux de la bioéthique. Cette vaste consultation des citoyens précède la révision des lois de bioéthique prévue pour 2019. Elle porte sur des sujets aussi différents que l’extension de la procréation médicalement assistée (PMA) aux femmes en couple et aux femmes seules, les tests génétiques, mais aussi le dépistage de maladies avant la conception ou chez l’embryon. Un groupe du comité d’éthique de l’Inserm se penche depuis plusieurs années sur les nouvelles techniques de thérapie embryonnaire. Ses membres examinent les questions qu’elles soulèvent et, plus généralement, celles posées par les progrès scientifiques permettant d’intervenir sur les embryons humains.

En France, les tests génétiques sont autorisés avant la naissance pour certaines pathologies héréditaires graves comme la maladie de Hungtinton ou la mucoviscidose. Ils peuvent être réalisés sur un fœtus – on parle alors d’un diagnostic « prénatal » car réalisé dans l’utérus. Si les mêmes tests sont réalisés sur un embryon, il s’agit d’un diagnostic dit « préimplantatoire » car pratiqué après la Fécondation in vitro (FIV) et avant l’implantation dans l’utérus. Jusqu’à tout récemment, la seule action possible en cas de détection de l’anomalie génétique était de pratiquer un avortement sur le fœtus ou de ne pas transférer l’embryon dans l’utérus.

Sur le fœtus, certaines interventions ont déjà pu être pratiquées avec succès et sont aujourd’hui envisageables. En ce qui concerne l’embryon, on n’en est pas là. Cependant, des techniques encore expérimentales ont été développées, permettant de soigner un embryon plutôt que de l’éliminer. Plusieurs enfants sont déjà nés à la suite de telles interventions et sont – pour autant qu’on le sache – en bonne santé.

Un groupe du comité d’éthique de l’Inserm se penche depuis plusieurs années sur les nouvelles techniques de thérapie embryonnaire. Ses membres examinent les questions qu’elles soulèvent et, plus généralement, celles posées par les progrès scientifiques permettant d’intervenir sur les embryons humains. Les résultats de cette réflexion ont pu être communiqués dans une note, en décembre 2017.

Embryon au stade de 8 cellules, stade auquel est couramment pratiqué le diagnostic pré-implantatoire. Pierre Jouannet, Author provided

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L’une des techniques permettant de soigner les embryons est le don de mitochondries. Elle a conduit récemment à la naissance de deux enfants, un garçon né au Mexique en septembre 2016, puis un autre né en Ukraine en janvier 2017. Les mitochondries sont des éléments qui produisent l’énergie de nos cellules. Elles sont situées dans le cytoplasme, l’espace autour du noyau contenant les 23 paires de chromosomes porteurs des gènes dits nucléaires. Les mitochondries possèdent leur propre génome, qui peut être à l’origine de maladies héréditaires comme le syndrome de Leigh, lequel entraîne une dégénérescence du système nerveux central.

L’enfant « à trois parents »

Lors de la fécondation, seules les mitochondries de l’ovule sont transmises à l’embryon. Ainsi, les maladies mitochondriales se transmettent par la mère. Pour éviter ce risque, il est envisagé d’utiliser l’ovule d’une donneuse (contenant les mitochondries) dont on retirerait le noyau pour le remplacer par celui de la femme atteinte de la maladie. D’où l’expression d’enfant « aux trois parents » employée dans les médias, puisqu’en plus du père, deux femmes contribueraient génétiquement à la création de cet enfant.

Cette opération peut être réalisée juste avant la fécondation (spindle transfer) ou juste après, quand les pronoyaux contenant l’ADN et donc les génomes d’origine paternelle et maternelle sont bien visibles et plus facilement transférables (pronuclear transfer). Dans le premier cas, c’est un ovocyte (ovule) qui est énucléé, alors que dans le second, c’est un embryon précoce (à savoir la première cellule de l’embryon au stade zygote).

Embryon humain au tout premier stade, une seule cellule avec 2 pronoyaux. Pierre Jouannet, Author provided

Un médecin américain, John Zhang, a utilisé le mode de transfert avant fécondation pour aider une femme atteinte du syndrome de Leigh à avoir un enfant en bonne santé, le premier au monde né d’un don de mitochondries. Toutefois, en août 2017, l’Agence américaine du médicament (FDA) est intervenue auprès de ce médecin afin qu’il cesse ses recherches cliniques, dans la mesure où elles impliquaient la création d’un embryon génétiquement modifié. Par contre, les autorités britanniques ont autorisé le passage de la phase expérimentale à l’application clinique depuis 2015, sans naissance connue à ce jour. En France, le débat n’a pas encore débuté.

Des recherches préalables sur des embryons d’espèces animales

Si l’on doit un jour généraliser les techniques permettant de soigner les embryons, il faut s’assurer auparavant qu’elles ne comportent pas de risque pour les enfants futurs. Le préalable incontournable, d’un point de vue éthique, est donc d’entreprendre des recherches sur des embryons d’espèces animales, mais aussi sur des embryons humains qui ne seront pas transférés dans l’utérus dans un premier temps. En effet, les premières ne peuvent suffire, car le développement embryonnaire précoce est différent d’une espèce à une autre.

Concernant le don de mitochondries et bien que deux enfants soient déjà nés, toutes les questions ne sont pas résolues. La recherche expérimentale doit être poursuivie tant sur des embryons d’animaux que sur des embryons humains. Au fur et à mesure que les techniques deviendront plus sûres et plus efficaces, le nombre d’embryons utilisés pour la recherche diminuera. À terme, le bénéfice pour les enfants futurs – et leurs parents – devrait se révéler considérable.

Le côté irréversible des changements induits chez l’embryon par ces techniques suscite une inquiétude légitime pour la santé de l’enfant futur. Il faut toutefois relever qu’il y a toujours une certaine prise de risque quand on agit sur les processus de la fécondation ou du développement embryonnaire précoce. Il en est ainsi de la FIV, qui a conduit à la naissance de Louise Brown, le premier « bébé éprouvette » en 1978. Les pionniers de cette technique ont fait l’objet de vives critiques pour n’avoir pas réalisé suffisamment d’expérimentations auparavant. Rien de grave n’est apparu chez les millions d’enfants nés depuis à la suite d’une FIV, heureusement. S’il y a donc bien toujours une prise de risque dans ce domaine, elle doit cependant être réduite au minimum pour chaque nouvelle technique, grâce à des études suffisamment nombreuses.

Quelle sûreté, pour le don de mitochondries ?

En médecine, la sûreté d’un traitement s’évalue habituellement par une comparaison entre les bénéfices et les risques. Mais dans le don de mitochondries, il convient, dans un souci éthique, d’aborder la question de manière plus large : la technique cause-t-elle, en elle-même ou en vertu de ses conséquences directes, un tort à ceux qui sont impliqués dans le processus ? On a de bonnes raisons de penser que ce n’est pas le cas.

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Passons en revue les parties prenantes, à commencer par les médecins. Soigner constitue la vocation même de la médecine. Soigner un embryon est donc en accord avec leur déontologie. De leur côté, les parents sont demandeurs de l’intervention thérapeutique. L’enfant futur – en admettant qu’on puisse causer un tort à une entité qui n’existe pas encore – devrait en bénéficier après sa naissance et, en principe, tout au long de sa vie.

Quant aux embryons, ils ne sont pas des personnes comme l’a souligné le Comité consultatif national d’éthique dans son avis de 1984. De toute façon, loin de subir un préjudice, ils bénéficieront au contraire du traitement.

La parentalité, notion biologique… ou sociale ?

Une autre source d’interrogations, avec le don de mitochondries, touche à la parentalité. L’enfant, génétiquement issu de trois personnes différentes, aurait dans l’esprit de certains « trois parents ». Sur le fond, cette manière de voir les choses repose sur une conception uniquement biologique de la parentalité – exclusivement génétique, même – qui apparaît discutable. Celle-ci s’oppose à la conception sociale de cette fonction, où le projet d’enfant joue le rôle essentiel. De plus, elle sous-estime le rôle joué par la gestation (la grossesse), ainsi que l’importance de la relation qui se tisse entre les parents et l’enfant avant la naissance, puis durant l’enfance.

La nouvelle forme de parentalité rendue possible grâce à un don de mitochondries est-elle susceptible de causer un tort à l’enfant ? Personne ne peut le prédire, car la situation est inédite. Les deux enfants nés de cette manière n’ont… même pas deux ans. Toutefois, il existe aujourd’hui une grande variété dans les parentalités, incluant l’adoption, la procréation avec tiers donneur, les familles recomposées ou monoparentales. Et les études menées à leur sujet, comme celle publiée en 2016 par Michael Stambolis-Ruhstorfer de l’université Bordeaux Montaigne dans le livre Procréation, médecine et don (Lavoisier), ne montrent pas de préjudice pour l’enfant.

Une dernière préoccupation, plus métaphysique, est parfois avancée, celle d’une menace sur l’identité de la personne. En effet, pense-t-on parfois, si on modifie le génome d’un individu – et on le fait si l’on substitue les mitochondries d’une donneuse à celle de la mère –, il ne sera plus la même personne. Mais peut-on considérer que l’identité et l’essence d’une personne se réduisent à son génome ? Non, le génome n’est pas l’équivalent moderne de « l’âme », affirmait dès 2001 dans la revue Science Alex Mauron, professeur en bioéthique à l’Université de Genève. Il faut se méfier de « l’essentialisme génétique », avertit pour sa part la chercheuse britannique Camillia Kong, de l’Université d’Oxford, dans son article paru en avril 2017. L’environnement naturel et social joue un rôle décisif dans ce que nous sommes, tant dans la globalité de notre être que dans chacune de nos cellules.

Aussi, soigner des embryons plutôt que les éliminer apparaît comme un projet porteur d’espoir. La technique du don de mitochondries, en particulier, devrait permettre à des parents atteints de pathologies héréditaires graves d’avoir des enfants en bonne santé et ce, dans un futur proche.


Le groupe de travail « Embryon et développement » du comité d’éthique de l’Inserm est à l’origine de la réflexion qui a nourri cet article. Il réunit, outre son auteur, Marc Brodin (AP-HP, Université Paris 7), Christine Dosquet (AP-HP, Université Paris 7), Pierre Jouannet (Université Paris 5), Anne-Sophie Lapointe (association Vaincre les Maladies lysosomales), Jennifer Merchant (Université Paris 2) et Grégoire Moutel (Université de Normandie et CHU Caen).

Bernard Baertschi, Maître d’enseignement et de recherche en philosophie, Université de Genève

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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