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Retour sur les stratégies choisies pour lutter contre l’épidémie

Retour sur les stratégies choisies pour lutter contre l’épidémie

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L’épidémie de Covid-19 qui s’est répandue sur toute la planète met les sociétés et les gouvernements du monde entier à l’épreuve. Il n’existe en effet à l’heure actuelle ni médicament ni vaccin pour lutter contre le SARS-CoV-2, virus émergent à l’origine de la maladie. Qui plus est, puisqu’aucun être humain n’a été en contact avec ce virus par le passé, personne n’est immunisé. Et quand bien même : il est difficile d’estimer, avec les données actuellement disponibles, si les personnes qui ont été infectées et se sont rétablies acquièrent une immunité, à quel degré celle-ci les protégera, et pour combien de temps. Dans ces conditions, quelle stratégie choisir pour protéger les populations, maîtriser l’expansion du virus, s’ajuster aux capacités des systèmes de santé, et limiter les impacts sur l’activité des sociétés ?

Les approches utilisées pour lutter contre l’épidémie varient d’un pays à l’autre, et peuvent même se succéder dans le temps. Au-delà de sensibiliser les populations au port du masque et aux gestes barrières, qui relèvent d’initiatives individuelles mais qui restent très efficaces pour diminuer la probabilité de transmission lors d’un contact, les gouvernements doivent choisir entre deux grandes approches populationnelles pour diminuer les taux de contact.

La première consiste à atténuer l’épidémie tout en laissant le virus diffuser dans la population. La seconde stratégie consiste à casser la transmission complètement en mettant en quarantaine et en confinement des villes, voire des pays entiers. Analysons ces deux options.

Pourquoi agir ?

En se basant sur les paramètres épidémiologiques estimés avec les données des premières semaines de l’épidémie, en l’absence de mesures de lutte contre le Covid-19 et en l’absence de changements de comportements (ce qui semble quand même peu vraisemblable), les modèles prédisaient qu’une large majorité de la population mondiale aurait été infectée.

Malgré les taux de létalité du Covid-19 plutôt faibles (inférieurs à 1 % des individus infectés, environ 0,5 % en France selon les calculs de l’Institut Pasteur), une infection aussi massive conduirait à une saturation des hôpitaux par une partie des personnes malades du Covid-19 nécessitant une prise en charge en soin intensif.

Il deviendrait de ce fait impossible d’assister non seulement les autres malades du Covid-19, mais aussi les personnes atteintes de pathologies différentes qui auraient été admises dans les unités de soins intensifs. Il faut souligner qu’aux États-Unis, près de 4 millions de personnes par an sont habituellement admises dans les unités de soins intensifs, et près de 500 000 y meurent malgré les soins qu’elles y reçoivent (soit un taux de mortalité moyen de 8 à 19 %). Un engorgement des hôpitaux aurait donc des conséquences catastrophiques, entraînant une mortalité collatérale dramatique, mais difficilement quantifiable.

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Le R0, pierre angulaire de la prise de décision

De manière générale, l’objectif des mesures de lutte mises en place pour maîtriser un agent infectieux tel que le SARS-CoV-2 est de réduire sa circulation dans la population. Il faut pour cela réduire la valeur du « taux de reproduction de base », ou R0. Celui-ci définit le nombre moyen de cas secondaires générés par un cas primaire dans une population sensible à l’infection, c’est-à-dire qui n’a jamais rencontré le virus auparavant. Autrement dit il s’agit du nombre moyen de personnes qu’un individu infecté contaminera.

Ce paramètre est important à connaître si l’on souhaite anticiper le risque épidémique. En effet, si le R0 est supérieur à 1, une épidémie s’installera probablement (plus il est grand, plus l’agent pathogène diffusera dans la population), alors que s’il est inférieur à 1, les infections s’éteindront d’elles-mêmes et l’épidémie ne prendra pas.

Le R0 est le produit de trois paramètres : le taux de contact (c’est-à-dire le nombre de contacts qu’un individu va avoir avec d’autres personnes au cours d’une journée par exemple), la probabilité de transmission de l’agent infectieux lors d’un contact, et la durée pendant laquelle un individu infecté est capable de transmettre l’agent infectieux (autrement dit la durée de la période infectieuse).

Chacun de ces paramètres constitue un levier pour ramener le R0 en dessous de 1. Ainsi, la distanciation sociale, la fermeture des écoles et le confinement permettent de diminuer le taux de contact, les gestes barrières et le port d’un masque permettent de diminuer la probabilité de transmission lors d’un contact, le traitement médicamenteux permet de diminuer la durée de la période infectieuse, etc.

Diminuer le R0 à une valeur inférieure à 1 est la stratégie de suppression : une personne infectée contamine en moyenne moins d’une personne, ce qui mène à un arrêt de la transmission et à une extinction du virus. Diminuer le R0 à une valeur proche de 1 (mais toujours supérieure) correspond à la stratégie d’atténuation : le virus continue à diffuser dans la population à un rythme plus lent, ce qui permet d’éviter de saturer les systèmes de santé.

La stratégie d’atténuation

La stratégie d’atténuation consiste à maintenir, mais sous contrôle, la diffusion du virus dans la population, en essayant de protéger les personnes les plus vulnérables. L’objectif de cette stratégie est double. Il s’agit tout d’abord de ralentir la propagation du virus pour diminuer et décaler dans le temps le pic épidémique. On veut « aplatir la courbe », c’est-à-dire limiter au maximum l’apparition brutale d’un grand nombre d’individus infectés pour limiter le risque élevé de saturation des systèmes de santé.

Le deuxième objectif de cette stratégie est de faire en sorte qu’un grand nombre d’individus finissent par s’immuniser, empêchant ainsi le virus de continuer à se propager sur le long terme. Avec un R0 de 2,35, il faudrait que près de 60 % de la population s’immunise pour que le virus ne soit plus capable de diffuser.

Cette stratégie d’atténuation est celle choisie par le gouvernement néerlandais et présentée par le premier ministre le 16 mars 2020. Les mesures mises en place dans ces stratégies d’atténuation sont variées. On peut citer l’isolement des personnes malades (mais pas des infectés asymptomatiques), la mise en quarantaine des foyers infectés connus, la fermeture des écoles et des universités, la distanciation sociale pour les personnes les plus vulnérables (mais pas pour les autres), etc.

La stratégie de suppression

La stratégie de suppression consiste à « taper encore plus fort », c’est-à-dire à renforcer les mesures d’atténuation afin de ramener le R0 à des valeurs inférieures à 1, et donc empêcher la propagation du virus.

Il s’agit de s’assurer de l’infléchissement rapide de la courbe épidémique, de la non-saturation des systèmes de santé et de l’éradication du virus. Les principales mesures mises en place sont la distanciation sociale globale et le confinement de toute la population (non plus uniquement des personnes présentant des signes cliniques). De cette manière, le taux de contact quotidien est diminué drastiquement et réduit à un nombre ne permettant pas au virus de diffuser au-delà du foyer familial.

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C’est la stratégie appliquée très rapidement par le gouvernement chinois dans les principales villes de la province du Hubei. Pendant les premières semaines de l’épidémie, dans la ville de Wuhan, le R0 était très probablement au-dessus de 2. Lorsque la ville a été placée en quarantaine et que la distanciation sociale a été mis en place, le taux de contact journalier moyen a été diminué d’un facteur 7 à 9, permettant de ramener largement le R0 à des valeurs inférieures à 1 à Wuhan et Shanghai.

Cette stratégie a également été mise en place dans nombre de pays européens (France, Italie, Espagne, Allemagne…), dans des versions plus ou moins souples, mais beaucoup plus tardivement qu’en Chine, c’est-à-dire après qu’un nombre bien plus important de cas a été détecté. À l’heure actuelle, dans le monde, au moins 42 pays ou territoires ont mis en place un confinement général de leur population, amenant la taille totale de la population en confinement dans le monde à 2,5 milliards de personnes.

Une autre mesure pouvant mener à la suppression de la transmission du virus est le dépistage massif des individus infectés dans les zones à risque et leur mise en quarantaine immédiate, telle que mise en œuvre en Corée du Sud.

Des avantages et des inconvénients

Décider d’une stratégie d’atténuation ou de suppression pour la gestion d’une telle crise est extrêmement difficile, chacune ayant des intérêts et des inconvénients majeurs. Si la stratégie d’atténuation permet d’espérer obtenir une immunité collective de la population, prévenant ainsi une seconde vague de contamination en cas de retour du virus, elle ne permet pas de protéger complètement les populations à risque de formes graves. Le risque que les systèmes de santé se retrouvent engorgés et que le nombre de morts causés par l’épidémie soit extrêmement élevé est donc important.

La stratégie de suppression permet quant à elle de gagner du temps pour s’organiser afin de mettre au point des traitements thérapeutiques (tels que des antiviraux par exemple), mettre en œuvre des dépistages sérologiques à large échelle afin d’estimer la proportion d’individus potentiellement immunisés dans la population, voire avancer dans le développement d’un vaccin préventif (toutefois la mise à disposition d’un vaccin nécessiterait probablement au moins 18 mois de recherche et développement).

Cependant, bien qu’ayant apparemment réussi en Chine ou en Corée du Sud, cette stratégie a un coût social et un coût économique importants, qui pourraient impacter la santé et le bien-être des populations sur le plus long terme. De plus, si elle est mise en œuvre trop tardivement, la suppression peut ne pas suffire à empêcher la saturation des unités de soins intensif, comme l’a démontré le cas de l’Italie. Enfin, à l’inverse des stratégies d’atténuation, les stratégies de suppression limitent grandement l’infection de la population. Par conséquent, elles empêchent l’immunité de s’installer largement. En l’absence de vaccination de la population, le risque est donc que le virus se remette à circuler activement lorsque les mesures seront levées.

Comment choisir ?

Pour aider les gouvernants à résoudre ce dilemme cornélien, des groupes d’experts aux profils variés tentent de leur fournir un avis raisonné sur les stratégies de lutte et leurs conséquences politiques, sociales et économiques. En France, le gouvernement est guidé par deux comités d’experts, le comité scientifique et le Comité Analyse Recherche et Expertise.

Les prédictions des modèles mathématiques sont très importantes et de plus en plus utilisées car elles présentent un intérêt majeur dans ce contexte délicat. Elles permettent en effet d’identifier et de hiérarchiser les voies de transmission, d’anticiper le nombre de cas qui seront détectés dans les semaines à venir, et de comparer l’efficacité de différentes stratégies de lutte.

Mais pour être utiles, ces modèles doivent être paramétrés avec des données épidémiologiques fiables, et être capables de prendre en compte les changements de comportement des individus. Or dans un contexte de crise sanitaire où les décisions doivent être prises très rapidement, ces données sont compliquées à obtenir.

Améliorer les modèles

Que ce soit la stratégie de suppression qui met l’activité d’un pays entier à l’arrêt mais contient l’épidémie, ou la stratégie d’atténuation qui expose au risque d’effondrement des systèmes de santé et à des centaines de milliers de morts mais qui maintient l’activité, les conséquences économiques de ces stratégies de lutte seront sans doute différentes mais probablement dramatiques, sur des pas de temps différents.

Il est toutefois encore trop tôt pour tirer des conclusions sur les effets de l’une ou l’autre des deux approches, d’autant que les pays qui les ont mises en place ont souvent des définitions de cas différentes. Par ailleurs, la prospective socio-économique est limitée par le fait que les modèles épidémiologiques utilisés pour guider les décisions politiques ne prennent en compte ni les retombées économiques, ni l’accroissement des inégalités sociales engendrées par le confinement, lesquelles pourraient déstabiliser encore plus une économie déjà fortement impactée.

C’est l’un des nombreux enseignements de cette crise : il est indispensable de promouvoir les collaborations entre épidémiologistes, économistes et sociologues pour que la prochaine génération de modèles mathématiques utilisés en santé publique intègre ces dimensions.

Timothée Vergne, Épidémiologiste et maitre de conférences en santé publique vétérinaire à l’école Nationale Vétérinaire de Toulouse, UMR ENVT-INRAE « Interactions Hôtes-agents pathogènes », Inrae. L’auteur remercie chaleureusement Gaël Beaunée (Oniris, UMR Oniris-INRAE BIOEPAR) et Benjamin Roche (IRD, UMR IRD-CNRS-UM MIVEGEC) pour les discussions ayant modelé le présent article.

Cet article est republié à partir de The Conversation, partenaire éditorial de UP’ Magazine. Lire l’article original.

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