La pandémie de Covid-19 a entrainé des réactions multiples de la part de pays aux capacités sanitaires, économiques ou sociétales très variées. Il est encore trop tôt pour tirer des enseignements définitifs car la pandémie sévit toujours. Mais une étude vient d’être publiée faisant état des points de vulnérabilité des sociétés, ceux que le coronavirus cible pour tuer. Les taux de mortalité les plus élevés se trouvent dans les pays dont l’espérance de vie a atteint des sommets et qui voient celle-ci décliner depuis quelques années. Ce sont des sociétés vieillissantes, présentant des niveaux de PIB élevés, mais aussi des taux de maladies chroniques liées à la sédentarité, l’obésité et les modes de vie plus élevés qu’ailleurs. Face à la puissance de ces facteurs, les actions des États peuvent jouer avec plus ou moins de succès sur la propagation de l’épidémie, mais ne montrent aucune corrélation déterminante sur l’évolution de la mortalité.
Le Museum national d’Histoire naturelle vient d’éditer un brillant petit livre-manifeste : Face aux limites. Car c’est bien de cela dont il s’agit dans l’étude publiée ce 19 novembre par cinq chercheurs chercheurs français (Quentin De Larochelambert, Andy Marc, Juliana Antero, Eric Le Bourg et Jean-François Toussaint) : les limites. Nos sociétés modernes ont voulu reculer les limites naturelles de l’humanité : santé, durée de la vie, ressources naturelles. Ce faisant, elles ont gagné en richesses et se sont installées dans un confort qui s’avère de plus en plus à être illusoire. En franchissant les limites, les sociétés développées se sont fragilisées. Leur vulnérabilité a augmenté au fil du temps. Et quand un événement climatique ou sanitaire intervient brutalement, elles sont touchées de plein fouet, désemparées.
La crise du Covid a révélé bien des fragilités de nos sociétés riches. Ce que l’on ne savait pas c’est que le coronavirus s’est engouffré dans nos vulnérabilités et y a trouvé sa niche. L’étude publiée dans la revue scientifique Frontiers met en évidence les principaux facteurs de vulnérabilité physiologique qui impactent tout particulièrement les pays occidentaux les plus développés et les plus vieillissants de l’hémisphère nord.
Ce travail a identifié les principaux facteurs influençant la mortalité mondiale : les données publiques disponibles ont été recueillies pour tous les pays du monde : démographie, santé publique, économie, politique, environnement. Les paramètres ont été comparés, selon une analyse factorielle, au taux de décès de la Covid-19 (recensé par l’université Johns Hopkins).[1]
Mortalité et indice de développement
La mortalité Covid-19 a été plus élevée dans les pays où les conditions de développement humain avaient jusqu’alors été les plus favorables. La plupart de ces sociétés développées et vieillissantes sont situées en latitude sur le 25° parallèle ; elles ont un PIB par habitant plus élevé, une espérance de vie plus grande et un taux de décès par maladie cardio-vasculaire ou par cancer supérieur ; mais elles montrent aussi un taux de sédentarité et un taux d’obésité supérieur et une progression plus limitée de l’espérance de vie depuis dix ans. À l’inverse, les pays avec des températures ambiantes élevées, présentant de forts taux de maladies infectieuses ainsi qu’une progression importante de l’espérance de vie dans les dix dernières années, ont subi un impact plus limité de la pandémie.
Ces résultats correspondent à l’hypothèse d’un créneau optimal de développement humain, qui a cumulé les conditions sanitaires, démographiques, environnementales et économiques les plus favorables. Cependant ces paramètres exposent désormais les populations à des vulnérabilités plus élevées tant vis-à-vis de nouvelles contraintes infectieuses (virales, bactériennes ou parasitaires) que physiques (vagues de chaleur).
En décrivant de manière globale la mortalité due au Covid-19 dans un grand nombre de pays, les auteurs parviennent à bâtir une hypothèse explicative : « Les pays affichant une plus grande vulnérabilité, en raison d’un équilibre plus incertain entre paramètres sanitaires, démographiques, environnementaux et économiques, présentent des marges d’adaptation plus étroites et deviennent plus vulnérables aux agressions de prédateurs primaires (virus, bactéries, parasites). »
Vulnérabilité
Le lien crucial entre un aléa – ou une menace extérieure – et une catastrophe est illustré par la notion de populations vulnérables. Celles-ci se constituent en raison d’interactions complexes entre, d’une part, les risques ou expositions à la menace et d’autre part, le manque de défense ou de ressources pour y faire face. En situation de pandémie, le principal indicateur de fragilité sanitaire est la proportion de personnes âgées dans la population. Ce sont elles qui paient le plus lourd tribut au coronavirus en raison de la diminution inéluctable des performances et de la résilience avec l’âge.
En raison de processus biologiques et sociaux, le déclin des paramètres de santé ou de la force physique et les incapacités croissantes affectent de plus en plus de personnes âgées, les rapprochant des seuils de vulnérabilité. Des proportions très importantes de ces personnes sont observées dans les pays aux espérances de vie les plus élevées qui souffrent d’une mortalité plus forte lorsque de nouveaux agresseurs surgissent.
Des études antérieures avaient ainsi illustré la relation entre fragilité et mortalité. La canicule de 2003 a par exemple tué 30 à 50 000 personnes en Europe et 15 000 en France, dont 80% de personnes âgées, plus susceptibles aux infections (par exemple, la pneumonie). En conséquence, la mortalité due à la Covid-19 est restée la plus élevée dans ces tranches d’âge. L’allongement de l’espérance de vie exposera donc une plus grande proportion de personnes à des taux de mortalité élevés, en particulier lorsqu’elles sont confrontées à des menaces de masse ou lorsque les conditions environnementales évoluent largement.
En parallèle d’une espérance de vie élevée, le développement économique, que permet un PIB per capita plus élevé, favorise les modes de vie inactifs, les comportements sédentaires et l’obésité, augmentant les risques d’hypertension, de diabète et de maladies cardiovasculaires. Autant de comorbidités les plus fréquemment associées aux formes sévères et à la mortalité du Covid. Avec une transition épidémiologique impliquant une fréquence plus élevée de maladies chroniques, les pays où l’espérance de vie est élevée ont également augmenté les risques concomitants et ainsi limité leurs marges d’adaptation.
Les associations constatées entre des groupes opposés de pays suggèrent des facteurs inhérents importants, qui prédéterminent les conséquences des menaces mondiales, comme la pandémie actuelle de Covid-19. Une bonne compréhension des relations entre ces paramètres peut contribuer à fournir de nouvelles stratégies de prévention. Le Covid-19 a suscité un large éventail de réactions de la part des gouvernements du monde entier, mais les courbes de contagion et de mortalité sont très homologues entre les pays.
Les auteurs se trouvent ainsi confortés dans leur conclusion d’absence de lien entre le taux de mortalité et les mesures prises par les gouvernements (confinements, couvre-feux, contrôles, etc.) pendant la pandémie. En ce sens, « les facteurs déterminants de la démographie, de la santé, du développement et de l’environnement semblent beaucoup plus importants pour anticiper les conséquences mortelles du Covid-19 que les actions du gouvernement, surtout lorsque ces actions sont menées par des objectifs politiques plutôt que sanitaires » affirment les auteurs. Ils ajoutent néanmoins : « Ce dernier résultat ne permet cependant pas de prédire que d’autres types de mesures ne réduiraient pas la charge de mortalité due à la pandémie ».
Le dilemme de l’adaptation
Cette étude souligne les grandes difficultés d’adaptation auxquelles la plupart des pays seront inéluctablement confrontés. Le changement climatique, par exemple, va perturber le créneau optimal en forçant la température idéale de développement des coronavirus vers le nord. L’équilibre des infections et la résilience humaine soutenue par l’équilibre des espèces locales pourraient s’en trouver altérés.
Comprendre où se situent les risques et les faiblesses dans chaque pays est un point de départ important pour se préparer à faire face aux nouvelles menaces. Dans le cas du Covid-19, les auteurs conseillent, dans la foulée d’épidémiologistes comme Anthony Fauci, de recourir à des stratégies d’accroissement de l’immunité et de résilience des populations, mais aussi de prévenir les comportements sédentaires par une activité physique accrue et une meilleure condition physique. Ils estiment, incidemment, que les stratégies politiques limitant l’activité physique (par exemple, la fermeture d’installations sportives) sont contre-productives car elles empêchent le renforcement de l’immunité de la population en réponse aux agresseurs viraux actuels et futurs.
[1] Les auteurs de cette étude précisent une limite à leur travail : la pandémie n’est pas terminée et les pays américains affichent une cinétique partiellement divergente de celle des pays européens. Alors qu’un pic de mortalité clair a été observé en Europe avec une diminution rapide après celle-ci, ce n’est pas le cas dans plusieurs pays américains : Le Mexique, le Pérou et le Brésil présentent pour l’instant un plateau durable et les États-Unis ont connu un pic au printemps dans les États de l’Est et un pic en été dans les États du Sud. Si finalement, la mortalité liée à la maladie du Covid s‘avérait plus élevée dans les pays d’Amérique latine que dans les pays plus riches, il faudrait comprendre les particularités, absentes de l’analyse, qui expliquent un tel résultat. Une grande dépendance aux paramètres saisonniers peut également modifier certaines conclusions à la fin de la pandémie (par exemple, si la mortalité ne diminue pas pendant des mois dans ces pays). Toutefois, les pays où le nombre de décès est le plus élevé pourraient encore se trouver sur le continent américain, les États-Unis ayant déjà connu une première régression de l’espérance de vie, tandis que le Mexique affiche l’un des taux d’obésité les plus élevés au monde.