Le discours sans fin. Ou comment le chef Seattle n’a pas dit ce qu’on dit qu’il avait dit, d’Isabelle Marrier – Editions Paulsen, 12 septembre 2024 – 240 pages
Quand les paroles d’un chef amérindien traversent les siècles, se transforment, s’adaptent et nous inspirent encore aujourd’hui : une enquête littéraire passionnante dans le passé amérindien. En 1854, au moment de céder le territoire de son peuple, sur lequel sera fondée la ville de Seattle, le chef amérindien Si’ahl s’adresse au gouverneur envoyé par le Président des États-Unis. Son discours a une portée universelle et, s’il n’a été consigné nulle part sur le moment, il sera recomposé, réécrit, transformé au fil des années pour finir par s’ériger, dans la seconde moitié du XXe siècle, en discours emblématique de la sensibilité écologique. Ses mots seront repris par un roi, un candidat à la présidence américaine, un prix Nobel de littérature : il deviendra aussi inauthentique que puissamment vrai.
Dans la bibliothèque d’une villa de vacances, Isabelle Marrier découvre un texte magnifique, à la portée universelle, un appel au respect de nos biens communs : Le Discours du chef Seattle. Il a été prononcé en 1854 par le chef amérindien au moment de céder les terres de son peuple aux colons. Il évoque la responsabilité de l’être humain dans la préservation de la Terre Mère et invite les générations futures au respect de l’environnement.
Bouleversée, Isabelle Marrier décide d’enquêter sur l’homme à l’origine de telles paroles, de retracer sa vie avant l’arrivée des « pionniers », puis lors de l’établissement de comptoirs, de la Ruée vers l’or et de la création de réserves. Et de raconter également l’histoire non moins grande de ce discours protéiforme.
Car elle s’aperçoit qu’il s’agit d’un faux ou presque ! Les paroles que nous connaissons aujourd’hui n’ont jamais été prononcées par le chef amérindien : elles sont le fruit de nombreuses transformations au gré des époques. Le message véhiculé prend désormais le dessus sur l’authenticité. D’Al Gore à Le Clézio, en passant par Charles III, il sert de faire-valoir aux écologistes, il est récupéré par les hommes politiques pour mieux réaffirmer les identités multiples des États-Unis, par le milieu de la culture sous la forme de « sagesses indiennes », par les communautés religieuses comme recours spirituel, et devient une source d’inspiration à grande échelle.
La quête de vérité, dans cet ouvrage, se heurte aux innombrables réappropriations de la part de tous les acteurs de la société et démontre l’ultime spoliation subie par les Amérindiens, celle de la restitution même de leur parole de résistance.
Raconter l’histoire du célèbre Discours de Seattle, ce n’est pas renoncer à un très beau texte parce qu’il ne serait pas historique, c’est surtout restituer la véritable histoire d’un chef qui voulait préserver les siens et a été trahi. C’est entendre, entre les phrases qu’il a dites, peut-être dites, et celles qu’il n’aurait pu dire, le silence profond des peuples vaincus et des paysages détruits.
Une passionnante enquête littéraire d’Isabelle Marrier sur les réappropriations d’un discours écologique.
Isabelle Marrier est romancière. Elle a notamment publié La Onzième Heure (Belfond, 2011), Le Silence de Sandy Allen (Flammarion, Grand Prix de la Fiction de la Société des Gens de Lettres 2019) et Celle qui n’y était pas (Flammarion, 2023). Elle prête par ailleurs sa plume à des aventuriers, sportifs et scientifiques.