Au pied du barrage – La lutte oubliée pour la Loire sauvage, de Martin Arnould – Préface de Camille de Toledo – Illustrations de Jean-Alfredo Albert – Éditions Actes sud / Collection Domaine du possible, 5 mars 2025 – 192 pages
Entre les grandes mobilisations paysannes du Larzac dans les années 1970 et la ZAD emblématique de Notre-Dame-des-Landes, une autre lutte a marqué l’histoire de la résistance écologique en France : celle pour la Loire sauvage. Dans ce livre, Martin Arnould ravive la mémoire d’un combat largement tombé dans l’oubli, mais qui fut décisif à bien des égards. À travers une enquête rigoureuse et un récit engagé, il revient sur les années 1980 et sur la mobilisation inédite d’un collectif d’habitants contre la construction de barrages menaçant l’un des derniers grands fleuves sauvages d’Europe.
Un contexte oublié, une victoire éclipsée :
« En 1986, l’État français entérine un projet de construction de quatre barrages sur la Loire. L’un d’eux, prévu à Serre-de-la-Fare en Haute-Loire, met en péril vingt kilomètres de gorges splendides et préservées. Face à ce danger, un groupe de citoyens se lève, occupe le terrain et défend bec et ongles la vallée promise à l’inondation. Cette lutte, profondément ancrée dans le territoire, prend rapidement une ampleur nationale, puis internationale. Elle finira par triompher — un barrage ne verra jamais le jour. Pourtant, cette victoire exemplaire a été reléguée aux marges de l’histoire.«
Martin Arnould rend ici justice à ces hommes et ces femmes qui, loin des caméras, ont su dire non à un projet destructeur et faire émerger une nouvelle manière de penser les relations entre les humains, les territoires et les fleuves.
Le livre est à la fois un témoignage et une analyse. Martin Arnould, acteur de la cause écologique et spécialiste des politiques de l’eau, mêle rigueur documentaire et récit vivant. Il redonne chair aux événements, à travers les portraits des militant·e·s, les assemblées de terrain, les hivers passés sous des bâches, les soutiens venus de toute la France… et les moments de doute aussi.
Mais Au pied du barrage ne se limite pas à retracer un épisode militant : il montre comment cette lutte a contribué à faire évoluer en profondeur la gestion des fleuves en France. Elle a ouvert la voie à des pratiques plus respectueuses des écosystèmes, remettant en cause le dogme du béton comme solution unique au risque d’inondation. Ce combat a été l’un des déclencheurs d’une « révolution douce » dans l’aménagement du territoire.
Aujourd’hui, à l’heure où les grands projets dits « d’intérêt public » continuent de susciter contestations et résistances, ce livre agit comme un pont entre passé et présent. Il tisse un fil entre les luttes d’hier et celles d’aujourd’hui, en soulignant une filiation dans les formes d’engagement, les modes d’action, et surtout dans la volonté de préserver ce qui reste de vivant et de libre.
Au pied du barrage est un ouvrage indispensable pour comprendre une page méconnue de l’histoire environnementale française. C’est aussi un appel à la vigilance et à l’action, à une époque où la défense des terres, des eaux et des forêts sont plus urgentes que jamais. En redonnant voix à une lutte oubliée, Martin Arnould rappelle qu’il est possible de gagner — à condition de se rassembler, de résister, et de croire en la force du collectif.
Basé à Saint-Étienne, Martin Arnould est responsable depuis une dizaine d’années du programme « Rivières vivantes » au WWF-France, où il travaille sur les questions de l’hydroélectricité écologique, de la restauration des poissons migrateurs (saumon en particulier) et de la gestion nouvelle du risque naturel d’inondations qui oblige à redonner un « espace de liberté ».
« Partout celles et ceux qui s’assemblent pour vivre la Terre et la rêver sont en train d’en réveiller les esprits.. » B. Glowzcewski