À l’approche du scrutin brésilien de ce dimanche 2 octobre qui tranchera entre le président d’ultradroite sortant, Bolsonaro et son challenger de gauche, le revenant Lula, le sort de l’Amazonie devient un enjeu de dimension planétaire. Depuis plusieurs semaines, le rythme de la déforestation et des incendies volontaires largement encouragés par Jair Bolsonaro, s’est accentué jusqu’à atteindre un paroxysme.
En ce moment même, pendant que vous lisez ces lignes, la plus grande forêt tropicale du monde est en train de brûler. Elle se consume comme jamais, happée par les milliers de feux volontaires encouragés par le président Bolsonaro. Sa réélection est incertaine, puisqu’il arrive deuxième dans tous les sondages d’intentions de vote. « La multiplication des incendies peut être un signe de la peur qu’il ne soit pas reconduit, et donc que l’impunité recule en Amazonie sous son successeur : certains se disent que c’est maintenant qu’il faut détruire la forêt et y mettre le feu. Mais ces incendies peuvent aussi être un butin de campagne : les régions qui brûlent le plus sont aussi les plus bolsonaristes, celles où les démonstrations de force font figure de rituels électoraux » écrit Eliane brum, grande spécialiste de cette région dans les colonnes du quotidien espagnol El Pais.
L’Amazonie brûle
Les chiffres sont impressionnants : en une seule journée, le 5 septembre — ironiquement journée de l’Amazonie — 2.706 foyers d’incendie étaient recensés. Pendant le mois d’août, tous les records de l’ère Bolsonaro ont été battus : 33.116 incendies recensés dans la forêt. Une « journée du feu a même été organisée le 10 août dernier par les usurpateurs de terres et exploitants forestiers dans la région de Novo Progresso, dans l’État du Pará : 2.366 feux allumés. Face à cette orgie criminelle c’est l’impunité qui règne. Les feux qui ravagent l’Amazonie sont pour 90% d’entre eux criminels. Ils tuent sans vergogne des écosystèmes entiers de vie, des patrimoines biologiques, des régulateurs indispensables de la planète.
L’élection qui se déroulera ce 2 octobre verra le président d’extrême droite tenter de se faire réélire, avec un bilan environnemental considéré comme désastreux par les écologistes. À son arrivée au pouvoir en 2019, grâce en partie au soutien du puissant lobby de l’agronégoce, Bolsonaro a déclaré vouloir ouvrir les terres protégées et les réserves indigènes à l’agriculture et à l’extraction minière. Sous son mandat, la déforestation annuelle en Amazonie a augmenté en moyenne de 75% par rapport à la décennie précédente.
Un choix radical et existentiel
Pour les experts en changement climatique, le scrutin de dimanche, qui l’oppose notamment à l’ex-président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva, favori des sondages, sera déterminant pour la destinée de la société brésilienne, mais aussi de toute la planète. « C’est l’élection la plus importante de l’Histoire du Brésil », assure à l’AFP Marcio Astrini, responsable du collectif d’ONG Observatoire du Climat.
« On est face à un choix radical : ou l’Amazonie va survivre, ou elle sera condamnée à la peine de mort avec la réélection de Bolsonaro », insiste-t-il. Bolsonaro, l’ancien parachutiste, dont le père a été orpailleur en Amazonie dans les années 80, s’est toujours montré favorable aux activités agricoles ou minières au détriment de la forêt, y compris dans des zones protégées comme les réserves indigènes. L’an dernier, le budget consacré aux organes publics de préservation de l’environnement a été divisé par trois par rapport à 2014, année où il était le plus élevé, sous la présidence de Dilma Rousseff, dauphine de Lula, selon une étude menée par l’Université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), avec l’ONG Institut socio-environnemental (ISA).
Bolsonaro à contre-courant
Scott Denning, spécialiste américain des changements climatiques à l’université du Colorado, ne suit pas la politique brésilienne, mais observe de près la situation de l’Amazonie, dont 60% de la forêt se trouve au Brésil. Selon une étude récente, l’Amazonie brésilienne est déjà passée de « puits de carbone » à source de CO2, relâchant sur la dernière décennie 20% de plus de ce puissant gaz à effet de serre qu’elle n’en a absorbé. Et ces émissions provenant d’Amazonie ont doublé lors des deux premières années du gouvernement Bolsonaro.
« Quatre ans de plus (de mandat pour Bolsonaro), cela représenterait beaucoup de CO2. L’Amazonie est une éponge à carbone, mais en ce moment, on coupe et brûle les arbres à un rythme trop rapide pour qu’ils repoussent », explique Scott Denning. « Le reste du monde met tout en œuvre pour réduire les émissions, mais Bolsonaro va dans la direction opposée », insiste-t-il.
Pourtant, à force de le répéter, plus personne ne peut l’ignorer : la plus grande forêt tropicale du monde, l’Amazonie, subit une pression immense, s’approche d’un point de basculement écologique et risque de s’effondrer. Des scientifiques suggèrent que l’avenir sombre de l’Amazonie est déjà là, dans le sillage de la déforestation galopante. La forêt libère désormais plus de gaz qui piègent la chaleur qu’elle n’en stocke dans les plantes et le sol. De ce fait, elle réchauffe l’atmosphère de la Terre au lieu de la refroidir.
Lula pas irréprochable
Luiz Inácio Lula da Silva, dit Lula, ancien ouvrier métallurgiste, leader du Parti des travailleurs, élu deux fois consécutivement à la tête de l’État brésilien entre 2002 et 2010, revient de loin. Emprisonné pour plusieurs chefs de corruption en 2018, il aura passé en tout près d’un an et demi dans les geôles fédérales. Avant d’être libéré, de retrouver ses droits politiques et de faire son grand retour face à Bolsonaro.
Lula a également essuyé son lot de critiques quand il était président, notamment pour sa décision de construire l’énorme centrale hydro-électrique de Belo Monte, dans l’Etat amazonien du Para. Sa première année de mandat, en 2003, a été la deuxième la pire jamais enregistrée en termes de déforestation de l’Amazonie, avec 27.772 km2 déboisés, deux fois plus que les 13.038 km2 sous Bolsonaro en 2021. Mais son gouvernement est ensuite parvenu à réduire progressivement cette déforestation à des niveaux historiquement bas : en 2010, quand il a quitté le pouvoir, elle était quatre fois moins élevée qu’en 2003.
Il y a deux semaines, l’ancien métallo a reçu un soutien de poids : celui de Marina Silva, son ancienne ministre de l’Environnement, qui avait quitté le gouvernement en 2008, jugeant ne pas avoir été assez soutenue par Lula dans son combat pour la défense de l’Amazonie. Lula a promis durant sa campagne d’aller « encore plus loin » que les engagements pris par le Brésil pour réduire ses émissions lors de l’Accord de Paris sur le climat, avec une politique de tolérance zéro contre la déforestation.
Révolution ou coup d’Etat ?
Le président sortant Bolsonaro, ancien militaire d’extrême droite, avait été élu en 2018, deux ans après l’arrivée de Donald Trump au pouvoir aux États-Unis. Son élection avait provoqué un séisme dans un pays marqué par des années de dictature. Bolsonaro, qualifié depuis de “Trump tropical” pour sa politique tout autant que ses méthodes, sera-t-il tenté par un scénario qui s’inspirerait de l’assaut contre le Capitole le 6 janvier 2021 à Washington ?
Dans un numéro spécial, Courrier International cite le quotidien portugais Público « c’est l’avenir de la démocratie qui se joue ni plus ni moins dans cette élection. S’il perd, le président sortant contestera le résultat et “proposera un retour à la dictature” ». Dans le même ordre d’idées, un universitaire explique dans The New York Times que ce que veut Bolsonaro, au fond, c’est le chaos permanent : “Bolsonaro n’a pas l’intention de quitter ses fonctions, quel que soit le verdict des urnes. Mais ce n’est pas à un coup d’État qu’il songe – pour lequel il aurait besoin du soutien des élites et de la passivité du peuple. Ce qu’il souhaite, c’est une révolution.”
Chaos annoncé
Dans ce chaos prévisible, c’est l’Amazonie qui risque d’être perdue. Certains experts pensent que le cercle vicieux de la déforestation, des incendies et du réchauffement de la planète ne va qu’accélérer sa destruction. Les effets sur le Brésil sont déjà patents. La déforestation de l’Amazonie a un impact sur les pluies dans d’immenses régions d’Amérique latine en réduisant le volume des « rivières volantes », ces masses d’eau poussées par le vent sous forme de vapeur faite de l’évaporation dégagée par 390 milliards d’arbres. Le Brésil vit sa pire sècheresse en près d’un siècle dans le sud-est et le centre-ouest. Le pays a été affecté par des tempêtes de sable mortelles, des feux de forêt incontrôlables, l’envolée des prix et une crise énergétique. On se croirait déjà dans la dystopie redoutée par les scientifiques.
Des solutions existent mais il faut les mettre en œuvre toutes et vite. Entre autres : arriver à une déforestation zéro, renforcer puis multiplier les lois environnementales, replanter les zones déboisées, réduire la moyenne nationale de près d’un hectare de ranch par tête de bétail, promouvoir une agriculture respectueuse de la forêt, avec des cultures comme le cacao, l’açaï ou les noix du Para.
La tâche est immense et quasi insurmontable face aux mafias d’usurpateurs de terres, criminels de l’environnement, qui jonglent avec les titres de propriété frauduleux et les sociétés écrans bardées de prête-noms dont le seul objet social est l’accaparement des terres publiques. Des criminels qui agissent en toute impunité, protégés par les lois d’amnistie accordées par le gouvernement Bolsonaro.
Pour la chimiste Luciana Gatti, qui travaille à l’Institut national d’études spatiales (INPE) pour analyser la qualité de l’air de l’Amazonie, le carbone qu’elle absorbe et émet, ce n’est pas le seul Brésil qu’il faut blâmer de la destruction en marche de l’Amazonie. Les Etats-Unis et l’Europe importent le bois coupé illégalement. Le monde entier achète des quantités massives de bœuf et nourrit ses vaches, poulets et porcs avec le soja d’Amazonie. « Il faut que les gouvernements interdisent ces importations », dit-elle. « Arrêtez de consommer les produits qui entraînent la destruction de l’Amazonie ».
Avec AFP
« Tous les espoirs du monde » placés en un personnage qui a de grandes zones d’ombre – vous l’écrivez: sous sa présidence, il a cautionné la construction d’une méga-centrale, la déforestation atteignait des niveaux record – voilà qui me semble relever de la naïveté absolue.