Avec l’inauguration le 17 septembre prochain du tout premier Havre de Vie Sauvage® de France, à l’occasion des Journées du Patrimoine 2023, l’Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS), les propriétaires Jacques et Nathalie Debuire et la commune de Melle (79) s’engagent ensemble à laisser la nature évoluer à sa guise sur un site constitué de bois, prairies et zones humides pour une durée minimale de 99 ans. Une initiative concrète de lutte contre l’érosion de la biodiversité, amenée à en appeler beaucoup d’autres.
Lancé début 2023 par l’ONG ASPAS, le label Havre de Vie Sauvage® (HVS) permet à tout propriétaire engagé dans la préservation de la nature, de garantir à son terrain laissé en libre évolution une protection juridique forte sur le long terme. Pour cela, l’ASPAS et le propriétaire concluent ensemble une Obligation Réelle Environnementale (ORE) valable pour une durée minimum de 99 ans. C’est en fixant ainsi dans le droit une liste d’obligations de « faire » et de « ne pas faire » que la vie grouillante, volante et galopante peut être préservée, tout en augmentant la surface d’aires strictement protégées en France.
Située sur la commune de Melle, la propriété des époux Debuire, d’une superficie de 5 hectares d’espaces naturels non exploités fait partie intégrante d’une continuité écologique guidée par le cours d’eau de la Berlande. Avec la présence d’espèces aussi variées que la loutre, la lamproie de Plener, le cuivré des marais, le triton crêté ou encore la rare Fritillaire pintade, ce site précieux héberge une biodiversité particulièrement riche sur un espace relativement restreint.
C’est pourquoi l’ASPAS, qui protège par ailleurs plus de 1000 hectares en libre évolution en France via son programme de Réserves de Vie Sauvage®, a souhaité accompagner la famille Debuire dans sa détermination à voir perdurer cette nature foisonnante sur le temps long.
Faire de cette oasis un authentique Havre de Vie Sauvage® a d’autant plus de sens aujourd’hui qu’elle se situe à quelques encablures seulement du projet controversé de méga-bassine de Sainte-Soline, dans une région qui a vu sa faune et sa flore fortement affectées ces dernières décennies par le remembrement et le déploiement de grandes monocultures agro-industrielles traitées aux herbicides et insecticides.
La ville de Melle, actrice engagée du projet
C’est au nom de son engagement écologique fort et sa volonté de soutenir les initiatives prônant la libre évolution des espaces naturels que la municipalité de Melle a souhaité s’associer intimement au projet. L’ASPAS, la famille Debuire et Melle sont donc les trois co-signataires du contrat ORE, visé par notaire, qui acte ainsi la création du tout premier terrain naturel de France à bénéficier du label Havre de Vie Sauvage®, déposé par l’ASPAS.
La ville porte, depuis 2021, l’animation de la zone Natura 2000 des Carrières de Loubeau qui est le premier site d’hivernage de chiroptères des Deux-Sèvres, la commune accueillant 21 espèces de chauves-souris dont 6 d’intérêt communautaire. Suite à un travail de concertation avec l’ASPAS, le conseil municipal a réaffirmé son engagement dans la lutte pour la protection de la vie sauvage en votant en juin 2022, une délibération pour demander le déclassement du renard de la liste des ESOD. Elle soutient également le projet de Francis Hallé pour la reconstitution d’une forêt primaire en Europe de l’Ouest. Après avoir expérimenté en 2015 la création d’une première Réserve de Biodiversité Communale, la commune développe désormais un réseau de 17 zones protégées sur l’ensemble de son territoire.
Ces aires, sans être en libre évolution totale mais en gestion extensive ciblée selon les espèces et les milieux, entrent parfaitement en résonance avec le projet du Moulin de Charzay pour la reconquête de la biodiversité. Par son engagement historique pour la défense de la nature et par ses actions plus récentes, il était totalement légitime et plein de sens que la commune s’associe au projet comme cocontractant de l’ORE.
Une ORE, pour quoi faire ?
Les obligations réelles environnementales (ORE) sont un dispositif foncier de protection de l’environnement introduit par loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité. Dispositif volontaire et contractuel, elles reposent sur la seule volonté des acteurs. Elles permettent à tout propriétaire d’un bien immobilier de mettre en place, s’il le souhaite, une protection environnementale attachée à son bien. La mise en place d’une ORE nécessite que le propriétaire signe un contrat établi en forme authentique, avec un cocontractant qui peut être soit une collectivité publique (ex : la mairie de Melle), soit un établissement public, ou encore une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement (ex : l’ASPAS).
Les obligations environnementales auxquelles est tenu le propriétaire du bien immobilier, suite au contrat « ORE », sont attachées à ce bien. Les obligations perdurent pendant toute la durée prévue au contrat, indépendamment des éventuels changements de propriétaires du bien immobilier (que ce soit par la cession du bien ou à la suite d’une succession) Le contrat ORE conclu avec l’ASPAS porte sur une durée minimale de 99 ans.
Pour une nouvelle alliance entre les hommes et la nature – Le mot du propriétaire
« Émerveillé par la nature, mon projet de vie reposait sur la création d’un » havre de paix » pour toutes les espèces vivantes. C’est ici, à Charzay que j’ai trouvé la possibilité de concrétiser ce rêve. Sur ce confetti de nature, nous trouvons une prairie sèche, une zone semi humide, une zone limoneuse, et un bois… Chaque écosystème, est caractérisé par ses espèces bien spécifiques. Autrefois, comme beaucoup de mes concitoyens, j’appréciais les propriétés » bien entretenues « , c’est-à-dire bien tondues, les arbres bien taillés… Mais aujourd’hui, je vois la » non-intervention » comme un acte de gestion à part entière : une action volontaire plutôt qu’un laisser-aller, un choix scientifique réfléchi.
Il ne s’agit pas de vouloir imposer un mode de pensée, mais de » tester » une autre approche vis-à-vis de ce qui nous entoure, en essayant de nous effacer. Ainsi, pour permettre à la nature d’être résiliente, je propose de lui consacrer des espaces dits en libre évolution et aux dynamiques naturelles, de lui laisser le temps dont elle a besoin. Que ce temps soit mis à profit pour contempler ce monde fabuleux qu’est le monde sauvage. Il reste tellement de choses à découvrir, à apprendre de l’observation bienveillante.
Pour toutes ces raisons, il m’a paru tout » naturel « , et parce que, comme elle, je crois en » une nouvelle alliance entre les hommes et la nature « , d’associer l’ASPAS à cette démarche, association dont je partage totalement les objectifs depuis de nombreuses années. Par ailleurs, les mesures prises par le Conseil municipal de Melle pour préserver les restes d’une nature sauvage existant sur la commune tant au niveau des zones humides, des haies, des paysages que des renards (en demandant à ce qu’ils ne soient plus piégés) ont fait écho en moi.
La création de ce Havre de Vie Sauvage® est ainsi ma façon de participer, à mon échelle, à la démarche de la ville de Melle et de montrer combien j’approuve cette façon de faire de la politique, c’est-à-dire en pensant aux générations qui vont nous succéder et qui auront tellement besoin de nature pour vivre, rêver, oublier… »
Jacques Debuire, propriétaire du Havre de Vie Sauvage® de Melle
Simon Martin, chargé de mission Havre de Vie Sauvage, expliquait dans notre article de mars 2023 que « Ce label, c’est le moyen pour les citoyens de pallier l’inefficacité de l’État français dans la création de réserves naturelles vraiment naturelles, en faisant valoir une protection stricte de leur terrain et des êtres qui le fréquentent ».
La nature suspendue aux votes du Parlement européen
En juin 2022, la Commission européenne présentait une proposition de loi visant à imposer aux États membres de restaurer les forêts, les zones humides et autres milieux marins et terrestres endommagés par les activités humaines. Composant essentiel du Pacte vert pour l’Europe, ce règlement a la particularité de garantir la mise en œuvre d’actions concrètes pour la sauvegarde de l’environnement. Contrairement aux initiatives passées qui reposaient sur la bonne volonté des gouvernements sans échéances claires, il veut fixer des objectifs de restauration juridiquement contraignants, et donc obligatoires.
Or les examens successifs en commissions agriculture, pêche et environnement ont été particulièrement houleux et se sont chaque fois soldés par un rejet du texte. De prétendus risques pour la souveraineté alimentaire engendrés par la crise ukrainienne ont été invoqués pour contester la législation et ainsi protéger les intérêts économiques des grands groupes industriels.
Plus de 3000 scientifiques l’affirmaient pourtant dans une tribune publiée en juin dernier qui contredisait un à un les arguments des détracteurs du règlement européen : les plus grands risques pour la sécurité alimentaire proviennent du changement climatique et de la perte de biodiversité, dont les secteurs de l’agriculture et de la pêche sont directement bénéficiaires et dépendants. Et comme l’a rappelé la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) dans son rapport d’évaluation rendu public en 2019 : la nature est vitale pour l’Homme de par son importance prépondérante pour son alimentation, son énergie, son économie et sa santé.
Pour Allain Bougrain Dubourg, Président de la LPO : « Cette loi représente une opportunité historique de protéger efficacement la nature. L’Europe est l’échelle la mieux adaptée pour prendre des mesures susceptibles d’avoir un impact global. Le Parlement européen porte la lourde responsabilité de garantir une planète vivable pour nos enfants. Notre avenir collectif doit primer sur les intérêts à court terme de quelques-uns. Nous attendons que le gouvernement français encourage les eurodéputés à voter en faveur du vivant, mettant ainsi ses déclarations en application. »
Aujourd’hui, face à l’urgence, une nouvelle étape peut être franchie en se plaçant désormais comme le garant de tous les propriétaires qui désirent, eux aussi, faire de leur terrain un Havre de Vie Sauvage. Ce qui devrait permettre d’étendre la pratique de la libre évolution et d’accélérer, à grandes enjambées, les objectifs de création de réserves intégrales en France.