Les algues brunes marines sont des végétaux n’ayant ni fleurs, ni canaux pour conduire la sève et pourtant elles révèlent des adaptations de leur système immunitaire qui convergent avec les mêmes mécanismes chez les plantes, mais aussi les animaux. Des chercheurs du laboratoire de Biologie intégrative des modèles marins de la Station biologique de Roscoff viennent de mettre en évidence pour la première fois des mécanismes de défense systémique chez les grandes algues brunes.
Lorsqu’une algue est attaquée par un pathogène ou un brouteur, elle se révèle capable de mettre en place des défenses actives non seulement localement, mais aussi à distance dans les autres parties de l’algue éloignées du lieu de l’attaque. La propagation de signaux le long de son thalle qui est l’équivalent des feuilles chez les plantes, lui permet ainsi de se protéger intégralement contre de nouvelles attaques d’herbivores ou de pathogènes. Ces travaux sont publiés dans la revue New Phytologist.
Par leur taille et leur abondance, de nombreuses espèces d’algues brunes ont des fonctions écologiques majeures. Les peuplements étendus d’algues Laminaires abritent une faune variée de poissons et de crustacés comestibles qui y trouvent leur nourriture et ces végétaux marins sont largement exploités à l’échelle mondiale, y compris dans d’immenses champs de cultures marines en Asie. Pourtant, les adaptations qui permettent à ces organismes de résister à leurs prédateurs ou à des maladies restent encore très mal comprises.
Les travaux des chercheurs de la Station biologique de Roscoff montrent pour la première fois que l’immunité innée des algues brunes conduit à une résistance systémique à l’herbivorie. Des expériences consistant à stimuler une réponse immunitaire locale déclenchent des réponses similaires dans des parties voisines et distantes non stimulées.
Des tests en conditions contrôlées de consommation de Laminaria digitata par le mollusque brouteur Patina pellucida démontrent que ces réponses réduisent la consommation de l’algue par le brouteur. L’ensemble de ces résultats révèlent l’existence d’une réponse systémique chez L. digitata qui pourrait mettre en jeu un ou plusieurs signaux produits dans la partie stimulée de l’algue et transportés vers les autres parties à une vitesse estimée à plus de 20cm/h. Des cellules centrales spécialisées de ces algues qui transportent à distance les produits de photosynthèse pourraient également assurer la transmission de ces signaux.
Ces travaux apportent la première preuve d’une communication interne à l’algue conduisant à des réponses de défense. Ils ouvrent ainsi de très larges perspectives de recherche pour déchiffrer les mécanismes moléculaires, biochimiques mais aussi potentiellement épigénétiques, qui activent cette protection. A plus long terme, ces recherches sur les processus de défense immunitaire pourraient permettre d’élaborer des stratégies de protection des espèces en algoculture.
Ces résultats apportent de plus la démonstration que la protection généralisée à l’échelle de l’organisme, déjà identifiée chez les plantes et les animaux, est apparue au moins trois fois au cours de l’évolution. En effet, les plantes, les animaux et les algues brunes issus d’organismes unicellulaires dont les lignées ont divergé il y a plus d’un milliard d’années, ont acquis la multicellularité de manière indépendante selon un processus de convergence évolutive.
Ces recherches sur les algues ouvrent ainsi une nouvelle voie vers la compréhension de la manière dont les composants chimiques communs aux ancêtres unicellulaires ont été recrutés et adaptés pour conduire, de manière indépendante dans ces trois grandes lignées d’eucaryotes multicellulaires, à la signalisation chimique entre cellules qui est à la base de la protection systémique.
Image : La propagation d’un signal systémique le long des lames de la grande algue brune Laminaria digitata (à droite) induit une meilleure résistance contre les helcions brouteurs (Patella pellucida) (à gauche) qui se nourrissent exclusivement de cette algue.
©F. Thomas, SBR CNRS/UPMC
©C. Leblanc, SBR CNRS/UPMC
(Source : CNRS – Laboratoire de Biologie intégrative des modèles marins – 2014)