Faute de majorité qualifiée des États membres, et grâce à l’abstention de la France, la décision est revenue à la Commission européenne, qui a annoncé ce 16 novembre qu’elle autoriserait le glyphosate, pour les dix prochaines années, au mépris du principe de précaution et des conséquences sanitaires et écologiques. La sortie du glyphosate promise par Emmanuel Macron en 2017 n’est désormais plus qu’un lointain souvenir.
La Commission européenne, « sur la base d’évaluations approfondies (…) [et] en collaboration avec les États membres de l’[Union européenne (UE], va procéder au renouvellement de l’approbation du glyphosate pour une période de dix ans, sous réserve de certaines nouvelles conditions et restrictions », a déclaré l’exécutif européen dans un communiqué, jeudi 16 novembre.
La majorité qualifiée requise pour valider ou rejeter la proposition de la Commission – soit quinze États sur vingt-sept, représentant au moins 65 % de la population européenne − n’a pas été atteinte, jeudi. Sept pays, dont la France, l’Allemagne et l’Italie, se sont abstenus.
La Commission avait proposé de renouveler son autorisation après le rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). En juillet, l’agence affirmait qu’elle n’avait pas identifié de « domaine de préoccupation critique » chez les humains, les animaux et l’environnement susceptible d’empêcher l’autorisation de l’herbicide, tout en reconnaissant un manque de données.
Pourtant, d’autres expertises avaient abouti à une autre conclusion. Celles de l’Inrae et de l’Ifremer, instituts de recherche publics spécialistes de l’agriculture et de la mer, ont souligné la réalité de la contamination de l’environnement par les pesticides, et l’impact négatif sur la biodiversité et les écosystèmes. Leur méta-analyse avait mobilisé pendant deux ans une quarantaine d’experts qui avaient passé en revue quelque 4.000 études scientifiques déjà publiées, dans un contexte français ou comparable, pour faire une synthèse des connaissances sur l’impact des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les écosystèmes.
Leur constat : une contamination qui touche tous les milieux, et concerne non seulement une variété de substances actives mais aussi les produits de transformation, les adjuvants et les co-formulants, même si ces derniers sont moins recherchés. La concentration est retrouvée principalement au niveau des zones agricoles, là où sont utilisés les produits, et se diffuse « le long du continuum terre-mer pour atteindre les océans, avec une diminution des concentrations par un effet de dilution ». La contamination peut perdurer, même si elle diminue dans le temps.
La France s’était donnée pour objectif de sortir de l’essentiel des utilisations de ce désherbant classé comme « cancérogène probable » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) en 2021, avant une interdiction totale en 2023. Mais des organisations agricoles s’y sont farouchement opposé, pointant l’absence de produit alternatif.
Car le glyphosate est un herbicide non sélectif pulvérisé chaque année sur des millions d’hectares de cultures. Depuis sa première commercialisation en 1974, cette molécule de synthèse a accompagné le développement de l’agriculture intensive, en favorisant les productions à moindre coût sur des surfaces gigantesques.
L’ONG Générations Futures avait publié un important rapport mettant en cause l’expertise européenne sur la toxicité du produit servant de base à sa réautorisation. « Nous avons mis en évidence de nombreuses failles dans le processus de sélection des études universitaires », résument les auteurs du rapport. Leurs conclusions sont accablantes : les évaluateurs européens auront « tout fait » pour que « le minimum d’études de la littérature [scientifique] soit considéré », que « les études de la littérature soient jugées moins fiables que celles fournies par les industriels » et que « les défauts des études de l’industrie soient occultés ».
Malgré cela, la Commission n’a pas résisté à la pression des lobbies agricoles et agrochimiques : elle propose d’autoriser le glyphosate jusqu’au 15 décembre 2033, soit pour une durée deux fois plus longue que la précédente autorisation, mais en-deçà de la période de 15 ans initialement prévue. Le feu vert pourra cependant être révisé à tout moment si de nouvelles évaluations le justifiaient.
« Il y a là une forme d’abdication des autorités européennes qui renvoient aux États membres la responsabilité d’adopter les mesures nécessaires pour limiter les risques qu’induiraient une ré autorisation, c’est irréaliste et irresponsable ! » clame le député européen socialiste Christophe Clergeau.
Devant la sensibilité du sujet, Bruxelles tâche de jouer les équilibristes et établit quelques garde-fous : les conditions d’utilisation devront ainsi être assorties de « mesures d’atténuation des risques » concernant les alentours des zones pulvérisées, via des « bandes tampons » de cinq à dix mètres et des équipements réduisant drastiquement les « dérives de pulvérisation ».
Des niveaux-limites sont fixés pour certaines « impuretés » issues du glyphosate, et l’usage pour la dessiccation (épandage pour sécher une culture avant la récolte) est désormais interdit.
Cancérogène probable
Le glyphosate, substance active de plusieurs herbicides — dont le célèbre Roundup de Monsanto, très largement utilisé dans le monde — avait été classé en 2015 comme « cancérogène probable » pour les humains par le Centre international de recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la santé.
À l’inverse, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a jugé l’an dernier que les preuves scientifiques disponibles ne permettaient pas de le classer comme cancérogène. De son côté, l’EFSA avait simplement relevé en juillet « un risque élevé à long terme chez les mammifères » pour la moitié des usages proposés du glyphosate, mais reconnu que le manque de données empêchait toute analyse définitive.
Pour en tenir compte, la Commission se défausse et s’en remet largement aux États, chargés de délivrer les autorisations au niveau national et de fixer les conditions d’utilisation, pour « apporter une attention particulière » aux effets sur l’environnement.
Les États seront tenus d’examiner les « co-formulants » (autres composants présents dans les herbicides autorisés), d’évaluer l’exposition des consommateurs aux « résidus » potentiellement présents dans les cultures successives cultivées en rotation, et de veiller à la protection des eaux souterraines ou de surface, notamment celles utilisées pour le captage d’eau potable.
De même, les États devront « prêter attention » à l’impact sur les petits mammifères, en envisageant « si nécessaire » les mesures d’atténuation ou restrictions. S’ils identifient des effets indirects potentiels sur la biodiversité, ils devront examiner si d’autres méthodes de protection des cultures sont possibles, et pourront là aussi adopter des restrictions.
Des recommandations jugées très insuffisantes par des eurodéputés : Pascal Canfin, président (Renew, libéraux) de la commission parlementaire Environnement, déplore l’absence de « restrictions sérieuses d’usage » et dénonce une « proposition pas acceptable », « non conforme aux conclusions de l’EFSA qui pointe de nombreuses zones grises » . « En détruisant la biodiversité, le glyphosate met en danger notre sécurité alimentaire à long terme. Cette proposition est irresponsable » , a abondé l’élu Verts Benoît Biteau. « Les intérêts industriels priment clairement sur la santé et l’environnement » , a estimé l’organisation écologiste PAN Europe.
Peu de temps après son élection en 2017, le Président Emmanuel Macron avait pourtant annoncé son interdiction dans un délai de trois ans, avant de faire marche arrière sous la pression des syndicats agricoles. Le glyphosate a été finalement banni en 2019 pour les collectivités et les particuliers, mais demeure largement utilisé par l’agriculture, dont les réglementations sont essentiellement fixées à l’échelle européenne. Un récent sondage indique que plus de 70% des Français sont favorables à une interdiction totale.
Avec AFP