Une approche holistique de l’alimentation du futur nécessite de prendre en compte trois enjeux : la santé humaine, la santé de l’environnement ainsi que la sécurité alimentaire. Pour cela, il importe de sortir de solutions réductionnistes en silo qui à long terme ne règleront pas les problèmes aux multiples causes.
L’alimentation du futur est souvent pensée pour des enjeux concernant les protéines animales. La consommation de produits animaux est décriée compte-tenu du très fort impact environnemental de l’élevage intensif, mais aussi de conditions défavorables au bien-être animal.
Le véganisme revendique le fait même de ne pas consommer de produits animaux. Pour ces diverses raisons, certains acteurs de l’agro-industrie proposent des protéines alternatives : steak de soja, viande in vitro, insectes, algues…
Cette vision d’un futur présenté comme idéal pour la planète est cependant contestable car elle ne tient pas compte d’autres enjeux, comme la surconsommation de protéines en Europe qui est assimilable à du gaspillage, les pollutions par les pesticides, et plus globalement le rôle de la biodiversité dans le fonctionnement des agroécosystèmes.
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De même, pour lever les déficiences en certains micronutriments de notre alimentation, il est souvent fait appel à la biofortification (sélection de variétés de plantes cultivées pour augmenter leur valeur valeur nutritionnelle) ou à l’enrichissement des aliments en certains micro-nutriments (vitamines, minéraux, oméga-3….), plutôt qu’à des modes de cultures ou des régimes alimentaires basés sur la diversité. Cette stratégie prive alors l’agriculture des multiples atouts fournis par la biodiversité, et n’est pas non plus pertinente pour notre santé.
Alimentation pour la santé humaine et l’environnement
Le régime alimentaire actuel en France correspond à une surconsommation de protéines : 1,4 g/kg de poids corporel alors que les recommandations sont de 1 g/kg de poids corporel. En outre, nous consommons plus de 60% de protéines animales alors qu’il est recommandé d’en consommer 50% ou moins. L’enjeu est donc bien plus de réduire notre consommation de protéines animales que de les remplacer par des substituts.
Si substitution il doit y avoir, c’est bien en remplaçant une partie des protéines animales par des légumineuses (lentilles, pois chiche…) qui apporte en plus des fibres et des anti-oxydants dont notre alimentation est déficitaire. Ce régime plus végétalisé permet aussi de réduire considérablement l’empreinte environnementale de notre alimentation : surface, énergie et eau nécessaires pour se nourrir et émissions de gaz à effet de serre et d’azote. Il doit être basé si possible sur des produits issus de l’agroécologie, l’agriculture biologique ou des formes d’agriculture qui utilisent moins de pesticides pour réduire notre exposition aux résidus dont il est démontré qu’ils sont néfastes pour notre santé.
Notre alimentation est aussi très riche en aliments ultra-transformés (actuellement 35% des calories), généralement de faible densité nutritionnelle, dont il importe de réduire la consommation compte tenu de leur effet néfaste sur notre santé. Sachant que le risque est grand de fabriquer des substituts aux protéines animales qui sont des aliments ultra-transformés, une vigilance extrême doit être apportée sur ce point.
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Par contre, notre alimentation ne comporte pas suffisamment de fruits, légumes, céréales complètes, légumineuses et fruits à coque, qui sont des atouts pour notre santé, notamment par les micro-nutriments qu’ils fournissent. La diversité des espèces et des couleurs permet de consommer une large gamme de polyphenols nécessaires au bon fonctionnement de notre microbiote intestinal, et d’en faire un allié de notre santé ; ainsi, il est conseillé de tendre vers la consommation de 25 fruits et légumes de natures et de couleurs différentes par semaine.
Cette alimentation pour la santé et la planète, basée sur une assiette végétalisée, diversifiée et peu transformée, interroge les acteurs de l’agriculture, des filières (y compris l’import-export) et de l’agro-industrie.
Agriculture pour la planète et la santé humaine
Le projet européen Farm to Fork ambitionne de diviser par deux les émissions d’azote et de pesticides dans l’environnement, et de promouvoir une agriculture bas carbone. Les recherches montrent qu’il faut à la fois réduire drastiquement les apports d’azote de synthèse et développer massivement les légumineuses, mais aussi mettre en œuvre les bonnes pratiques agricoles, le recyclage des déchets (dont une partie de nos urines), et de réduire l’élevage, en cohérence avec la réduction de consommation de produits animaux. C’est à ces conditions que les objectif ambitieux fixés pour l’environnement pourront être atteints, et auront aussi des retombées positives sur notre santé.
Une agriculture agroécologique visant à réduire drastiquement la dépendance aux intrants de synthèse nécessite de favoriser les synergies entre plantes (cultures associées), plantes et arbres (agroforesterie), plantes et animaux (pâturage d’interculture de céréales et d’inter rang de vigne ou d’arbre). Cela permet aussi de fournir des services à la société comme la séquestration de carbone dans les sols.
Une agriculture agroécologique pour diminuer la dépendance aux pesticides nécessite souvent plus de surfaces, par exemple en bio du fait de rendements moindres. Mais ces surfaces supplémentaires peuvent être trouvées en réduisant drastiquement les terres arables utilisées pour l’alimentation des animaux, de l’ordre de 4 à 6 millions d’ha par exemple.
Les élevages de ruminants nourris à l’herbe sont néanmoins à conserver. En effet, les prairies jouent un rôle clef pour le stock de carbone qu’elles contiennent (prairies permanentes) et les services qu’elles rendent (prairies temporaires) : réduction des intrants de synthèse pour les cultures, amélioration des cycles de l’eau, du carbone et de l’azote. Supprimer l’élevage de ruminants reviendrait à déstocker massivement du carbone ou se priver des services fournis par les prairies.
Système alimentaire pour la sécurité alimentaire
Notre souveraineté alimentaire est fragilisée par les importations massives de fruits et légumes (équivalent à 680 000 ha importés) que par ailleurs nous ne consommons pas assez pour notre santé. Elle l’est aussi de par les importations de soja pour l’élevage. Réduire l’élevage et la consommation de protéines animales est le moyen le plus simple pour diminuer notre dépendance à ces importations ; c’est aussi mieux pour l’environnement et la santé.
Développer l’économie circulaire par exemple en utilisant mieux les co-produits de l’industrie agroalimentaire et les déchets de l’alimentation humaine, notamment pour alimenter les porcs, permettrait de tendre vers un élevage bien moins impactant sur l’environnement.
De fausses-bonnes solutions pour l’alimentation du futur
Faute d’une approche holistique du système alimentaire, le risque est grand d’une fuite en avant pour résoudre la crise globale que nous traversons depuis la fin du 20ème siècle. Ainsi, le développement de protéines alternatives n’a de sens que si un élevage agroécologique ne permet pas de couvrir nos besoins en protéines animales. Or, l’offre en produits animaux provenant d’élevages durables où les animaux sont alimentés à l’herbe pour les ruminants et à partir de co-produits pour les porcs et les volailles pourrait être suffisante.
Autre exemple, le développement d’une agriculture basée sur un tout petit nombre d’espèces végétales à, partir desquelles sont élaborés un grand nombre de produits alimentaires ultra-transformés, souvent enrichis pour combler nos déficits en micro-nutriments (vitamines, minéraux, acides gras), n’est pas une priorité. D’une part la spécialisation poussée de l’agriculture est un frein au développement de systèmes agricoles basés sur la diversité des cultures qui est pourtant la clef d’une agriculture agroécologique. D’autre part les produits alimentaires ultra-transformés sont souvent élaborés à partir de produits agricoles standardisés provenant d’une agriculture industrielle faiblement diversifiée auxquels sont rajoutés des ingrédients basés sur des procédés physicochimiques agressifs nocifs à notre santé. Le développement de tels produits ne doit se faire qu’en dernier recours (par exemple en situation d’urgence alimentaire comme les famines ou suite à des catastrophes naturelles). Dans le cas contraire, il s’agit souvent d’une fausse bonne solution.
En fait, de nombreux acteurs du système alimentaire privilégient des innovations pour l’agriculture et l’alimentation qui s’inscrivent dans un « solutionnisme technologique » au détriment de choix fondés sur la biodiversité. Les technologies peuvent bien sûr être partie intégrante des transformations à opérer, mais elles doivent être envisagées en accompagnement de stratégies fondées sur la biodiversité, et non comme un choix premier.
Des règles simples pour éviter les fausses-bonnes solutions
Une alimentation 3V : plus Vraie (avec peu de produits ultra-transformés), plus Végétalisée et plus Variée est bonne pour la santé et l’environnement.
Une agriculture 3D : pour une triple diversité, Diversité dans les plantes cultivées qui, associées à la réduction du travail du sol et à l’usage raisonné des intrants de synthèse, permet d’augmenter la bioDiversité dans les sols et les paysages, une condition pour fournir une diversité d’aliments à forte densité nutritionnelle.
Un élevage 3R : Redimensionné à la baisse, Redistribué (en particulier dans les territoires où il est le plus dense causant pollutions et accroissant le risque de développement de maladies infectieuses) et Réorienté, à l’herbe pour les ruminants et avec plus de co-produits pour les monogastriques.
Une plus grande souveraineté alimentaire permise par l’arrêt de l’élevage industriel à faible autonomie protéique et sans lien au sol, la culture de plantes orphelines (légumineuses) ou insuffisamment cultivées (fruits et légumes) et le développement de systèmes alimentaires territorialisés.
Michel Duru, Agronomie, Directeur de recherche, actuellement chargé de mission à INRAE Toulouse
Et Anthony Fardet, Chargé de Recherches en alimentation préventive, durable et holistique, INRAE de Clermont-Ferrand/Theix, Unité de Nutrition Humaine
J’apprécie ce discours produit par des personnes de l’INRAE. On peut se poser la question du temps nécessaire pour que cette approche devienne la politique de cette institution?
Cet article sur UP Magazine soulève des points pertinents sur les défis auxquels est confronté notre système alimentaire actuel. Il met en évidence l’importance d’une approche holistique pour répondre efficacement à ces défis et pour construire un futur alimentaire durable. Des aspects tels que la biodiversité, la nutrition, l’équité et la résilience de nos systèmes alimentaires sont explorés en détail. C’est une lecture essentielle pour tous ceux intéressés par la sécurité alimentaire et l’avenir de l’alimentation. Il souligne que nous devons repenser notre approche de l’alimentation, non seulement en termes de production, mais aussi de consommation. Pour ceux qui cherchent… Lire la suite »