La confiance, croire en ce que l’on connaît ou reconnaît, ne serait-ce pas le point de départ du lien entre les consommateurs et les entreprises, entre les citoyens et les institutions, pour bâtir un futur commun ? Cette tribune collective explique pourquoi la traçabilité et la transparence doivent être des piliers pour une relance économique durable. Les renforcer à tous les niveaux de consommation rétablira non seulement la confiance des citoyens dans leur acte d’achat, mais aussi obligera les entreprises à être plus vertueuses. Un pari gagnant-gagnant en faveur de la proximité et de l’environnement.
Les crises économiques successives, les scandales autour des marques déployant un arsenal d’arguments pour convaincre le grand public de leur vertu sociale et écologique, le désengagement politique des français… et si l’un des dénominateurs communs était la perte de confiance ? Et si chaque acteur économique s’engageait avec sincérité dans une démarche de transparence et de traçabilité de ce qu’il vend comme produits ou comme promesse, la manière dont il gère son modèle économique, pour créer l’adhésion à ses valeurs ?
La traçabilité à la croisée des mondes
Cet automne 2020, décidément mi-figue mi-raisin, met à mal la capacité de résilience collective si chère au cœur de Boris Cyrulnik. Les nouvelles certitudes tirées du confinement vacillent entre sauver l’emploi et ré-enchanter le monde de façon durable. Il nous faut conserver le cap de nos convictions en conciliant les deux.
En avril dernier, la France voyait émerger des initiatives solidaires afin de faire front commun à la crise sanitaire et économique. La demande d’un retour au local et l’envolée de la mise en place de circuits courts n’avaient jamais été aussi forts. L’enthousiasme, exprimé pour certains du bout des lèvres ou pour d’autres à grand renfort de convictions, venait soutenir le fait de donner du sens à des actions de consommations devenues presque un acte militant.
C’est pourquoi chacune ou chacun, dans le rôle qu’il occupe au sein de la société (citoyens, consommateurs, investisseurs responsables, monde associatif, donateurs, politiques, etc.), doit connaître en permanence le niveau d’engagement des acteurs économiques dont il ou elle est client, usager, ou simple soutien : d’où proviennent les aliments, les vêtements, le maquillage, l’énergie que nous consommons, quel est le circuit de production, quelle est leur capacité de recyclage, etc.
Cette exigence de traçabilité peut et doit s’étendre à tous les domaines de la consommation et du don. La banque et l’assurance, les opérateurs numériques, et toute les entreprises et les associations, ne font pas exception. Elles doivent dire ce qu’elles font de l’argent qui leur est confié, être évaluées et alertées, lorsque son activité économique porte atteinte aux droits humains, à l’environnement, aux communautés autochtones, aux cultures, etc.
Grâce à une prise de conscience montante, un écosystème de solutions se construit autour de ce besoin de traçabilité. Il s’appuie sur des convictions de longue date, heureusement toujours actives (comme le secteur du commerce équitable qui a développé son modèle sur une exigence de contrôle de ses pratiques), mais aussi d’autres plus récentes (avec l’émergence d’entreprises sociales innovantes, de projets à impact).
La transparence, élément de preuve
A l’inverse, l’opacité nourrit le déploiement de modèles d’organisations qui nuisent à l’équité sociale et qui nuisent à l’environnement. La transparence, sœur d’une démarche de traçabilité sincère et efficace, c’est expliquer son modèle économique et démontrer sa capacité à avoir anticipé les conséquences humaines, sociales et environnementales de son activité : comment se font les revenus, à quels coûts, quels sont les circuits de production, et comment sont utilisés et répartis les bénéfices de l’entreprise ou les dons reçus ? Car la juste répartition de la richesse est un élément essentiel pour bâtir le modèle d’un monde durable, protecteur du vivant, inclusif pour tous.
La présentation des modèles d’affaires des entreprises est un premier pas vers l’explication de cette mécanique. L’évaluation de l’impact de l’organisation sur son écosystème (ses collaborateurs, ses clients, ses donateurs, ses adhérents, ses prestataires) est incontournable.
On ne le rappellera jamais assez : la démarche éthique en faveur du respect des droits humains et de la planète doit être évaluée. Non seulement il faudra de plus en plus démontrer aux clients et aux donateurs l’utilité économique, sociale et environnementale de l’entreprise ou de l’association dans la société, mais aussi leur suggérer d’être associés sous diverses formes, à la définition des critères d’évaluation : quels choix éthiques ? Quel type de produits et circuits de fabrications à valoriser ? etc.
Autant de questions pour des consomm’acteurs souhaitant devenir parties prenantes de leurs entreprises fournisseuses de biens et de services. Ainsi mises en œuvre, la traçabilité et la transparence peuvent devenir des repères cardinaux pour l’émergence d’entités réellement responsables et durables. Et c’est grâce à des mesures d’impact réel que ces dernières pourront notamment afficher démontrer leur engagement par des preuves vérifiées et vérifiables.
La traçabilité et la transparence, les voies d’une exigence ?
Engager le monde économique dans cette démarche, de traçabilité et de transparence c’est donner le ton, le sens des transitions dont tout le monde se revendique aujourd’hui sans jamais être plus précis sur le contenu de ce qui est, déjà, en train de devenir potentiellement un simple mantra. Certains pourront y voir un lot de contraintes, d’autres y verront des opportunités pour le passage vers une société plus solidaire formée de citoyens plus engagés.
La juste rémunération des producteurs et des collaborateurs, l’impact écologique des activités, la création de valeur économique locale, le respect de la dignité et du bien-être humain et animal sont autant de questionnements que les entreprises, leurs actionnaires ou leurs sociétaires mettront de plus en plus sur la table, voire érigeront en exigences. Les entreprises ou les ONG pourront contribuer activement à ce nouveau contrat social et économique avec de leurs clients et donateurs.
Depuis des décennies, les valeurs défendues par l’économie sociale et solidaire rappellent la nécessité d’union de nos convictions pour un monde soutenable, comme le défend Claude Alphandéry (ancien résistant, banquier et économiste français), mais aussi de sobriété. En tant que clients ou fournisseurs d’entreprises, acceptons, sur la base d’informations transparentes et de produits tracés, de payer un prix responsable. Parfois plus élevé, un prix est socialement accepté quand il est compris comme rémunérant des efforts de production responsables et garantissant une vie économique et matérielle digne pour tous au travers d’une transparence sur les salaires.
Acceptons d’acheter moins, en connaissance de cause, et pour des biens réellement nécessaires. Enfin, intéressons-nous davantage à l’usage de l’argent que nous dépensons, que nous plaçons, que nous donnons, pour que son utilisation corresponde aux convictions des citoyens. Il est temps que, cette voie ouverte par les réseaux de l’économie sociale et solidaire et du commerce équitable depuis 30 ans, devienne la pratique normale de toute une économie engagée pour un monde enfin réellement soutenable.
A nous, entreprises du secteur marchand et organisations non gouvernementales déjà engagées sur cette voie, de continuer et d’embarquer celles et ceux qui veulent exercer des responsabilités en ce sens.
Signataires :
Amandine Albizzati, présidente directrice générale d’Enercoop, Ludovic Billard, président de Biolait, Benoît Catel, directeur général du Crédit Coopératif , Pierrick De Ronne, président de Biocoop, Blaise Desbordes, directeur général de Max Havelaar France, Bernard Devert, président-fondateur d’Habitat et Humanisme, Louise Fourquet, présidente de Baluchon , Florence Gilbert, directrice générale de Wimoov, Marion Graeffly et Pierre Paquot, co-fondateurs de TeleCoop, Arthur Havis, directeur général de Visaudio – réseau Ecouter Voir, Charles Kloboukoff, président-fondateur de Compagnie Léa Nature, Florent Marcoux, directeur Surfrider Foundation Europe, Jean Moreau, président-Fondateur de Phenix, Rémi Pulvérail, président-fondateur de l’atelier français des matières, Jean-Paul Raillard, président de la Fédération Envie, Rémi Roux, gérant et co-fondateur d’Ethiquable, Julie Stoll, déléguée générale de Commerce Equitable France, Isabelle Susini, directrice générale de 1% for the planet, Michel Vampouille, président Fédération Terre de liens.