L’application des propositions de la Convention citoyenne pour le climat crée déjà des remous, entre « consultations » contestées pour les traduire dans la loi et déclarations d’Emmanuel Macron renvoyant à la « lampe à huile » les inquiétudes sur la 5G. Le doute est donc désormais de mise sur une proposition qui ne fait pas consensus et demande un peu de réflexion, alors que pour d’autres propositions, les délais sont jugés trop longs …
Le président de la République a déclenché un tollé en ironisant ce lundi soir sur « le modèle Amish » des 68 élus signataires d’une tribune réclamant un moratoire sur le déploiement de la 5G : « La France est le pays des Lumières, c’est le pays de l’innovation […] On va tordre le cou à toutes les fausses idées. Oui, la France va prendre le tournant de la 5G parce que c’est le tournant de l’innovation. J’entends beaucoup de voix qui s’élèvent pour nous expliquer qu’il faudrait relever la complexité des problèmes contemporains en revenant à la lampe à huile ! Je ne crois pas que le modèle Amish permette de régler les défis de l’écologie contemporaine« , a-t-il déclaré.
La veille, 68 élus ont publié une tribune dans le Journal du dimanche réclamant un « débat démocratique » sur l’installation de cette nouvelle technologie ainsi qu’un « moratoire immédiat », courant jusqu’à l’été 2021, ainsi que « la priorité soit donnée à la réduction de la fracture numérique, à travers le développement de la fibre en zone rurale et en finalisant le déploiement de la 4G. »
Par ailleurs, les 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat, voulue par Emmanuel Macron, avaient déjà demandé un moratoire sur la 5G lors du rapport des 149 propositions remises en juin au président. Les éléments du rapport final concernant le numérique stipulait « Développer progressivement la mutualisation de services du numérique lorsque c’est pertinent pour une sobriété efficace du numérique et ainsi limiter la prolifération des appareils connectés et d’un stockage exponentiel de données. Plus largement, nous devons retrouver une capacité à s’interroger individuellement et collectivement sur nos besoins : avons-nous besoin d’autant d’équipements électroniques et d’en changer si souvent ? Avons-nous besoin de la 5G ? » (Thématique « Produire et travailler / Objectif 12 » – Page 154 du rapport définitif).
Emmanuel Macron s’était alors engagé à reprendre 146 des propositions, sans dire lesquelles seraient retenues ou pas. Les membres de la CCC avaient pourtant réclamé cette mesure dans les propositions remises : Leur proposition PT12.1 (Page 156 du rapport) en témoigne : « Dans une logique d’écoconception des services, nous proposons d’évaluer les avantages et les inconvénients de la 5G par rapport à la fibre avant et non après avoir accordé les licences pour son développement mais aussi d’initier/conseiller à l’utilisation de la solution la moins impactante pour l’environnement. Instaurer un moratoire sur la mise en place de la 5G en attendant les résultats de l’évaluation de la 5G sur la santé et le climat. »
« On se désole un petit peu de ces petites phrases qui tendent la situation« , déclare Grégoire Fraty, co-président de l’association de participants à la CCC « Les 150 ». « On ne veut pas entrer dans un débat stérile, mais on continue à demander un moratoire » en l’attente d’une expertise « indépendante« .
Même si le gouvernement a publié mardi une étude réalisée par l’administration concluant à l’absence d’impact sanitaire. « Mais pas environnemental ! », souligne la CCC.
Parmi les autres propositions de la Convention, certaines doivent trouver leur place dans le plan de relance (comme la rénovation énergétique des bâtiments), d’autres dans un projet de loi spécifique. Initialement annoncé pour la fin de l’été, il l’est maintenant « d’ici à la fin de l’année », selon le ministère de la Transition écologique, qui a lancé en fin de semaine dernière une série de « concertations » pour le préparer.
« Processus biaisé »
Sur huit thèmes – des transports à l’agriculture en passant par la publicité – elles réunissent administration, acteurs des secteurs, ONG et représentants des « citoyens » qui ont planché neuf mois pour proposer des solutions visant à réduire « d’au moins 40% les émissions de gaz à effet de serre dans un esprit de justice sociale ».
Mais alors que la pandémie de Covid a plongé la France et le monde dans la récession, certains thèmes sont particulièrement clivants. Comme les transports routier et aérien, gros pollueurs mais aussi gros employeurs très fragilisés par la crise. Le gouvernement a d’ailleurs mis des milliards sur la table pour les constructeurs automobiles et Air France. Les organisations professionnelles du transport routier de marchandises ont ainsi dénoncé après une rencontre samedi « des mesures inadaptées pour un enjeu pourtant crucial pour la profession », en « décalage avec les exigences de compétitivité ». Et mercredi matin, la réunion sur le transport aérien, repoussée de plusieurs jours, a vu un pilonnage des propositions de la CCC par la plupart des intervenants, représentants du secteur comme syndicats.
Les ONG environnementales, ultra-minoritaires parmi les invités, avaient, elles, décidé de boycotter « un processus biaisé », dénonçant notamment une étude d’impact « à charge » qui insiste principalement sur l’estimation de 70.000 emplois et 3 milliards de PIB que coûterait l’interdiction des vols intérieurs s’il existe une alternative en moins de quatre heures, une des propositions phares de la CCC.
Impression renforcée par la sortie lundi sur Europe 1 du ministre délégué aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, estimant que ces mesures allaient « achever un secteur déjà à terre ».
Le gouvernement décide
Le Réseau Action Climat, fédération d’associations, a rappelé l’engagement d’Emmanuel Macron à transmettre « sans filtre » les propositions de la CCC, et réclamé que la concertation « mette en débat les modalités de mise en œuvre des mesures, y compris de leur accompagnement socio-économique, plutôt que leur mise en coupe réglée ».
Le ministère de la Transition écologique répond que les concertations doivent permettre « d’associer les Citoyens jusqu’au bout ». Mais pas question de s’engager sur la transposition telle quelle des propositions de la CCC dans le futur projet de loi.
« Le président avait dit d’emblée qu’il y aurait des travaux d’ajustement. Au final c’est le gouvernement qui décidera, » assume l’entourage de Barbara Pompili.
« On n’est pas là pour écrire la loi, on est là pour expliquer et défendre nos propositions, » reconnait Grégoire Fraty. « Mais s’il y a des difficultés ou des blocages, on le dira clairement« .
Lui aussi insiste sur la nécessité de travailler les mesures d’accompagnement des entreprises et personnels affectés. « On voit bien les difficultés, on n’est pas là pour détruire un secteur. On comprend les divergences, mais il faudra trouver un consensus« .
La CCC, tout en regrettant dans un tweet mercredi « des rapports de force qui n’ont pas lieu d’être », attend donc de juger la loi sur pièces. Puis se réunira pour évaluer publiquement la réponse des autorités à ses propositions.
Source : AFP
Photo d’en-tête : Emmanuel Macron s’adressant aux 150 citoyens de la CCC le 29 juin 2020. ©Christian Hartmann/Pool/AFP