Il y a quelques semaines, début juin, le rapport annuel sur l’évolution des énergies renouvelables dans Le monde (voir le rapport) nous apprenait que, pour la première fois, la puissance renouvelable installée en 2016 avait dépassé les nouvelles capacités de production d’énergie fossile, avec 161 GW installés. Au total, le monde dispose à présent d’un parc renouvelable de plus de 2000 GW, ce qui représente pratiquement le quart de la production électrique de la planète.
Bloomberg New Energy Finance (BNEF) prévoit pour sa part une diminution des coûts de l’énergie solaire de 66%, de l’éolien terrestre de 47% et de l’éolien offshore de 71% d’ici 2040. Cet institut très sérieux souligne également que le coût moyen de production de l’électricité photovoltaïque a été divisé par quatre depuis 10 ans.
L’IRENA, l’Institut International pour les Energies Renouvelables, confirme ce basculement et estime que, d’ici 2025, les coûts moyens de l’électricité pourraient diminuer de 59 % pour l’énergie solaire photovoltaïque, de 35 % pour l’éolien marin, et de 26 % pour l’éolien terrestre, par rapport à 2015. Le prix de l’électricité issue de l’énergie solaire concentrée pourrait, quant à lui, également diminuer jusqu’à 43 %, selon la technologie utilisée. Résultat de cette évolution technologique et financière : le coût moyen de l’électricité issue du solaire photovoltaïque et de l’éolien terrestre devrait tomber à moins de 6 cents (dollar américain) par kilowatt-heure en 2025, un niveau plus compétitif que celui des énergies fossiles.
L’une des conséquences positives de cette transition énergétique est que les émissions de Co2 liées au système électrique mondial devraient plafonner en 2025, avant de commencer à décroître régulièrement. Une baisse qui participera à une baisse du réchauffement climatique. Mais cet effort indéniable restera malheureusement insuffisant car, selon la plupart des experts, il faudrait installer 3.900 gigawatts supplémentaires d’énergies renouvelables d’ici 2040 pour avoir de bonnes chances de contenir le réchauffement climatique à moins de deux degrés d’ici 2100.
Cette progression toujours plus forte des énergies renouvelables ne suffira pas à permettre une baisse suffisamment forte et rapide des émissions humaines de CO2 si, dans le même temps, de nouveaux et puissants moyens de stockage de l’énergie ne sont pas mis en œuvre pour palier à la nature intermittente de ces énergies propres. Parmi ceux-ci, il faut bien sûr évoquer la production propre d’hydrogène, qui peut ensuite être reconvertie en électricité pour limiter les trop fortes tensions entre l’offre et la demande d’énergie. Mais de nombreuses études prévoient également un fort développement des batteries lithium-ion spécifiquement dédiées au stockage énergétique de l’électricité d’origine solaire ou éolienne. Toujours selon le dernier rapport de Bloomberg New Energy Finance, cette technologie pourrait assurer jusqu’à 57 % du stockage d’électricité dans le monde d’ici 2040.
Mais, ce que l’on sait moins, c’est que les batteries des véhicules électriques vont très probablement jouer un rôle décisif pour assurer l’équilibre des réseaux de distribution d’énergie. La recharge intelligente des véhicules électriques grâce à l’électricité excédentaire produite par les énergies vertes peut en effet permettre, à terme, de contribuer de manière puissante à la régulation en temps réel des fluctuations de la production et de la consommation électrique globale. Et cela d’autant plus que l’essor du véhicule électrique devrait entraîner une baisse des coûts des batteries lithium-ion de 73% d’ici 2030.
Parmi les facteurs-clés qui vont transformer les véhicules électriques en autant d’unités de stockage et de lissage de l’énergie on trouve notamment la durée de vie, bien plus longue que prévue, des nouvelles générations de batteries lithium-ion. Des tests, réalisés entre Los Angeles et Las Vegas pendant deux ans par l’entreprise Tesloop, qui utilise exclusivement des voitures électriques Tesla très performantes, ont en effet permis d’effectuer 450.000 kilomètres, soit environ 730 kilomètres par jour en moyenne (l’aller-retour LA/LV fait 860 kilomètres). Résultat : après 320 000 km parcourus, il restait encore à la batterie de ce véhicule Tesloop 94% de sa capacité de stockage initiale, alors que les études théoriques avaient prévu que cette perte de 6% de la capacité de charge serait atteinte dès 200.000 kilomètres…
Ces résultats impressionnants démontrent que la fameuse croyance selon laquelle la voiture électrique ne serait adaptée qu’aux petits déplacements urbains doit sans doute être remise en cause. Ces performances permettent également de prévoir que le coût kilométrique global des A-EV (voitures électriques autonomes), sera 10 fois inférieur à celui des voitures thermiques classiques d’ici 5 ans. Il faut d’ailleurs rappeler qu’une étude réalisée par RethinkX montre que le prix de revient kilométrique d’une Renault Twingo thermique est actuellement de 56 c€, contre seulement 13 c€ par kilomètre pour une Tesla S !
Certes, pour l’instant, l’ensemble des véhicules propres ne représente qu’environ 2 % du parc mondial mais le marché des voitures électriques a progressé de 70 % par an en moyenne dans le monde, sur les trois dernières années. A ce rythme, qui devrait encore s’accélérer dans les années à venir, le parc mondial des voitures électriques pourrait se développer bien plus vite que prévu et atteindre 70 millions d’unités à l’horizon 2025.
Rappelons que l’objectif défini par la Conférence à Paris (COP 21) fin 2015 table sur 600 millions de voitures électriques sur les routes en 2040 (soit une voiture sur trois), pour limiter le réchauffement climatique sous la barre des 2°C par rapport à 1990. Pour gérer la recharge simultanée de ces millions de véhicules électriques, une innovation de rupture est nécessaire et elle est déjà à l’œuvre. Il s’agit de la technologie dite « V2G » (Vehicle to Grid). L’idée est assez simple en apparence : un véhicule électrique reste inutilisé pendant 95 % de sa durée de vie et il utilise très rarement plus de 80 % de la capacité de sa batterie. Dès lors, pourquoi ne pas exploiter et restituer au réseau cette énergie non utilisée ?
Dans cette gestion bidirectionnelle, interactive et intelligente de l’énergie, un véhicule électrique peut successivement passer du rôle d’unité consommatrice d’énergie (lorsqu’elle se recharge) au rôle d’unité productrice (Lorsqu’elle injecte dans le réseau une partie de l’énergie dont elle dispose dans ces batteries). Bien entendu, ce basculement permanent se fait de manière totalement transparente pour l’utilisateur et ne nécessite aucune intervention de sa part.
Ce concept qui va bouleverser le marché de l’énergie et accélérer le basculement en cours vers les énergies renouvelables est déjà expérimenté dans plusieurs pays développés par les principaux constructeurs automobiles qui ont compris l’enjeu technologique, industriel et social que représente l’intégration de ce système « Vehicle to Grid » dans les batteries de leurs modèles électriques.
Le géant nippon Nissan vient ainsi de conclure un accord de partenariat avec le fournisseur d’énergie italien ENEL portant sur cette technologie. Dans le cadre de cette coopération, des expérimentations sont prévues en Europe du Nord pour évaluer la faisabilité de la réinjection dans le réseau, via une borne bi-directionnelle, de l’énergie stockée dans les batteries des dernières Nissan Leaf.
Pour Paul Willcox, Président de Nissan Europe, le véhicule électrique ne doit plus être considéré comme un simple moyen de transport mais vu également comme un véritable outil au service des systèmes électriques nationaux en Europe. Ernesto Ciorra, Directeur Innovation et développement durable du groupe ENEL souligne, pour sa part, que le véhicule électrique est appelé à devenir la clef de voute du marché de l’énergie. Il se dit absolument persuadé que dans quelques années, chaque propriétaire d’un véhicule électrique prendra l’habitude de se faire rémunérer pour la vente de son énergie et réalisera également de substantielles économies en utilisant directement l’énergie stockée dans ses batteries à très longue durée de vie pour alimenter sa maison.
Au Japon, le système V2H existe déjà depuis 5 ans et permet aux particuliers de réinjecter de l’électricité sur le réseau électrique ou d’alimenter leur maison par le système vehicle-to-home (V2H). Aux Pays-Bas, une initiative a été lancée dans la ville d’Utrecht et selon Nissan Europe, le V2G pourrait rapporter jusqu’à 1400 euros aux propriétaires de véhicules équipés.
Il y a quelques semaines, Renault, en association avec Powervault, a par ailleurs annoncé une expérimentation qui commencera début juillet en Grande Bretagne, visant à généraliser les systèmes domestiques de stockage d’énergie. Le constructeur français poursuit ainsi le développement de sa stratégie globale visant à proposer à ses clients une offre de déplacement totalement repensée et « écoresponsable ».
Concrètement, Renault et Powervault vont proposer gratuitement, pendant un an, 50 unités constituées de batteries de seconde vie à des résidences de clients déjà équipés de panneaux solaires. Les systèmes de stockage proposés peuvent à la fois emmagasiner l’électricité produite par des panneaux solaires et stocker l’électricité à partir du réseau classique pendant les heures creuses. Cette expérimentation va permettre d’évaluer les performances réelles de ces batteries recyclées et d’observer l’attitude des utilisateurs dans la gestion de leur énergie domestique.
Reste que ce concept extrêmement prometteur du V2G (Vehicle-To-Grid) se heurte à plusieurs difficultés techniques de taille et n’est pas simple à mettre en œuvre à grande échelle, pourquoi ? D’abord, parce que ce prélèvement, s’il n’est pas planifié de manière judicieuse, peut réduire la durée de vie des batteries. Ensuite, parce qu’il n’existe, pour le moment, aucun système permettant de réguler le prélèvement d’électricité sur les batteries des voitures électriques.
Une équipe de l’université britannique de Warwick a peut-être trouvé la solution pour lever ces obstacles. Ces chercheurs ont mis au point un algorithme capable à la fois d’augmenter de 10 % la durée de vie d’une batterie Li-ion et de déterminer la quantité d’énergie à prélever, en fonction des besoins pour le trajet à venir. Ces scientifiques anglais ont testé leur système sur le campus de leur université. Ils ont pu montrer qu’il était possible, avec seulement 120 véhicules électriques, d’alimenter en énergie un bâtiment accueillant 360 chercheurs, comprenant laboratoires, bureaux, ainsi qu’un auditorium de 100 places. Les chercheurs de Warwick estiment que leur algorithme pourrait accélérer le déploiement des énergies renouvelables, tout en augmentant encore la longévité, déjà remarquable, des nouvelles générations de batteries présentes dans les véhicules électriques.
Alors que, pendant plus d’un siècle, les besoins en énergie liés au développement des transports et de ceux liés au fonctionnement des immeubles d’habitation et de bureaux ont relevé des problèmes énergétiques distinctes, cette frontière technologique et économique est en train de voler en éclats. D’ici moins de 20 ans, voitures, habitations et immeubles de bureaux seront intégrés dans un seul et même continuum énergétique et informationnel qui comptera et mettra en réseau, via l’Internet des objets, des dizaines de milliards d’unités énergétiques, à la fois productrices, consommatrices et transformatrices d’énergie.
Cette révolution majeure permettra un gain sans précédent dans l’efficacité de nos systèmes énergétiques, une réduction considérable des pertes entre énergie produite et énergie finale consommée. Cette rupture technologique permettra également de basculer plus vite que prévu dans un monde enfin décarboné, qui n’aura plus besoin de recourir aux énergies fossiles pour répondre aux besoins légitimes de ses 10 milliards d’habitants. Il appartient à présent à nos responsables politiques de prendre toute la mesure de cette extraordinaire révolution technologique, économique et sociale qui s’annonce et de faire preuve d’un volontarisme sans faille pour préparer cet avenir dans lequel utilisation de l’énergie ne s’opposera plus à la nature, s’inscrira définitivement dans un cadre écologique et retrouvera son échelle humaine.
René TREGOUET, Sénateur honoraire – Fondateur du groupe de Prospective du Sénat
Avec l’aimable autorisation de l’auteur – Article initialement publié dans RT Flash
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