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Voiture électrique : Chronique d’une résurgence annoncée – Partie 4/4

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Quatrième résurgence – années 2010

La voiture électrique connaît une nouvelle résurgence à partir des années 2010. Si plusieurs raisons expliquent ce retour, la grande motivation de cette renaissance est, plus que jamais, la lutte contre le réchauffement climatique.
Ce dernier s’accompagne de mesures logiques de réduction de la production de CO2 avec, en point d’orgue au niveau mondial, à l’issue de la COP 21 qui se tenait à Paris à l’automne 2015, un objectif de limitation du réchauffement climatique entre 1,5°C et 2°C d’ici 2100, accord signé par tous les pays du monde à l’exception de sept. Cet accord contraignant doit permettre de « lutter efficacement contre le dérèglement climatique et d’impulser/d’accélérer la transition vers des sociétés et des économies résilientes et sobres en carbone ».
Après l’alerte des années 90 – le protocole de Kyoto ou COP3 de 1997 et l’instauration de mesures en conséquence pour la réduction des gaz à effet de serre, les émissions de particules baissent, mais les concentrations sont stables. Or à l’analyse rendue possible avec le recul historique, la première conférence dite de Stockholm sur le climat a eu lieu il y quarante-cinq années (1972), soit déjà près de deux générations, il apparaît que les concentrations des polluants sont plus importantes que les émissions. La circulation routière et le nombre de véhicules motorisés ne cessent de croître partout dans le monde, l’industrie des principaux producteurs s’ajoutant à celle de pays émergents (Chine, Inde et Brésil) pour engendrer un incontestable fléau. Les concentrations d’oxydes d’azote, de particules et de composés organiques volatils ne diminuent pas malgré les réductions unitaires d’émissions des nouveaux véhicules à essence et diesel dotés des technologies de la troisième résurgence (1990), moteurs à injection, pots catalytiques et indicateurs de contrôle de rejets embarqués.
 
Malgré quatre obstacles identifiés – prix, autonomie (distance parcourue) et temps de chargement, enfin disponibilité des bornes de recharge – qui continuent en même temps de pénaliser la VE à l’heure actuelle, son évolution semble irréversible. La réalité écologique est incontournable, obligeant la mobilisation de tous les constructeurs, appelant dans l’urgence des progrès technologiques considérables et les initiatives combinées des services publics.
La voiture thermique pourrait devenir le symbole archaïque d’une pollution inconsciente. Car, si l’écologie arbitre du meilleur équilibre entre homme et environnement, les gaz à effet de serre sont le cancer planétaire contre lequel il faut se prémunir.
 
Associée aux techniques marketing récentes de la nouvelle économie numérique consistant à mettre le consommateur au centre des processus de décision et d’action, l’effort de participation à la protection de l’environnement a forcément des effets stimulants sur les choix entrepris par les automobilistes. Mais cette révolution de la VE ne peut se faire du jour au lendemain. Elle dépasse le simple fait de conduire et de se déplacer car plus globalement, il s’agit d’un changement profond des mentalités et des comportements, quasi générationnel, et de la capacité à pratiquer une éco-conduite responsable.
 
Dans un souci stratégique d’adaptation aux nouvelles modalités, les constructeurs se tournent parallèlement vers des solutions intermédiaires de résiliences, parmi lesquelles, la motorisation hybrides des véhicules qui permettra au fil des années une transition en douceur vers le tout électrique en assurant en même temps un faible taux d’émission carbonique.
Différentes mécanisations sont proposées, le véhicule hybride rechargeable (VHR) ou, en anglais, le Plug-in Hybrid Electric Vehicle (PHEV) lorsque les deux motorisations agissent ensembles pour propulser le véhicule – version Mild (Stop and Go) et Full, ou l’Extended Range Electric Vehicles (EREV) lorsque seul le moteur électrique alimente les roues, le moteur thermique ne faisant office que de générateur pour recharger la batterie.
Si Toyota s’est lancée dès la fin des années 90  sur le marché des hybrides avec sa « Prius » (1997), voiture européenne de l’année en 2005, le constructeur en est aujourd’hui à son quatrième modèle intégrant des batteries rechargeables pour un chiffre record de ventes hybrides de dix millions en vingt ans. Sa fiabilité hors norme en fait le meilleur véhicule d’occasion aujourd’hui. D’après Toyota (2016), l’utilisation de ces millions de véhicules aurait permis d’émettre quelque soixante-sept millions de tonnes de CO2 de moins qu’avec des voitures classiques de même taille. Pour Toyota, l’usage de la « Prius » a ainsi permis l’économie de « 25 millions de kilolitres de carburant par rapport à la quantité qu’auraient utilisé des véhicules à essence de même segment ». En clair, un très bon modèle écosystémique.
 
Conjointement à la motorisation hybride, les constructeurs de véhicules conventionnels répondent également à la crise de l’environnement en proposant diverses solutions.
Mercedes-Benz, conscient que villes et agglomérations recevront les deux tiers du trafic mondial, conçoit (2006) la deuxième génération de sa très petite VE, la « Smart » (2009) et propose de louer son parc à des entreprises dans plusieurs villes d’Europe dont Londres, Berlin, Berne, Rome et Milan avec des arguments incitatifs, exonération du péage de stationnement et recharge gratuite de batterie, et, dès 2010, lance son prototype électrifié « BlueZero », dont le design relevé et aérodynamique permet de concurrencer celui, jugé plus esthétique et par conséquent plus désirable, des véhicules conventionnels.
 
Concept BlueZero de Mercedes
 
Mitsubishi lance l’iMiEV (Mitsubishi Innovative Electric Vehicle) la même année. Son design ingénieux libère l’habitacle intérieur et stabilise le véhicule grâce au positionnement des batteries à l’arrière, sous le compartiment bagage.
 
L’alliance franco-italienne Bolloré Pininfarina conçoit, elle, une voiture design avec des innovations (B.O Blue Odour), le super-condensateur qui assure à la fois un meilleur stockage et restitution d’énergie et une batterie placée entre les essieux pour abaisser son centre de gravité. Mais l’association Bolloré Pininfarina est surtout connue pour le lancement de « l’Autolib’ », concept initié par le maire de Paris de l’époque B. Delanoé en 2008 et mis en service en 2011. Le service public « Autolib’ » qui désignait l’auto partage en libre-service utilisait la « Bluecar », VE construite par la société italienne Cecomp. Equipée de batteries lithium-métal-polymère et de moteurs synchrones à aimants, son autonomie était de deux-cent-cinquante km en ville, pour une recharge moyenne effectuée en quatre heures (abonnement par carte de 10€/mois+0,23/minute, soit 4,66€ pour vingt minutes). Ce concept révolutionnaire a été repris par de nombreuses villes, témoignant du caractère urbain de la VE, l’usage de ses débuts.
 
Modèle « S » de Tesla
 
Mais d’autres constructeurs concourent à relever l’image de la VE, avec des prototypes séduisants, bien que destinés à un segment limité, le sport et le luxe, Piffaretti, Fisher Karma et bien entendu Tesla. Son « modèle S » est irréprochable à bien des égards, à l’exception de son prix. Son patron, Elon Musk, très engagé dans le VE, s’attaque à la problématique des coûts de production avec un projet de fabrication de cinq-cents mille batteries en 2018, soit autant que la production mondiale en 2013.
Dans ce registre sélectif, notons enfin les performances de la firme Venturi (record de vitesse de la VE avec la « VBB » : 495,526 km/h en 2010), et la conception de « l’Astrolab » (2006), véhicule électro solaire constitué de panneaux solaires sur toute sa surface, premier véhicule construit et fonctionnant sans énergie fossile.
 
L’Astrolab
 
Le marché des véhicules grand public est, lui, assuré par BYD (Build Your Dream), le constructeur chinois, deuxième constructeur de VE au niveau mondial depuis l’alliance Nissan-Renault (octobre 2016), les constructeurs japonais déjà mentionnés, notamment Nissan avec la « Leaf » (VE la plus vendue), quelques américains (GM avec la « Volt » et son système performant de recharge de batterie sur freinage) et les français avec des initiatives chez PSA qui compte électrifier 80 % de ses modèles d’ici 2023 et Renault avec la « Zoe » qui rivalise avec la « Clio » conventionnelle et propose dès maintenant la « Zoe » d’occasion à moins de dix-mille euros.
 

Convergence – années 2020

La fluctuation du marché actuel de la VE dépend encore étroitement du prix du pétrole. En 2015, en raison du prix modique du baril, la vente des véhicules thermiques a fait un bond de 10 % alors que celle des VE a baissé de 4 %, augurant de cette fragilité du marché de la VE.
Mais la transition énergétique est bien réelle. Et fort heureusement, les énergies renouvelables contribuent beaucoup plus à la croissance mondiale de la production d’électricité que les combustibles fossiles. BNEF (Bloomberg New Energy Finance) a dès lors prévu qu’environ 70 % de la nouvelle production d’électricité en 2030 proviendra de l’énergie éolienne, du solaire et d’autres sources d’énergies propres hors énergie nucléaire.
 
Certains pays Européens annoncent des mesures radicales en faveur de cette évolution afin d’accélérer l’émergence du modèle électrique. L’Allemagne vise ainsi une production de 100 % de nouvelles voitures électriques en 2030, et milite pour l’interdiction des véhicules à carburant fossile au sein de l’Union Européenne. D’expériences en expériences, au fil des années, innovations techniques, infrastructures routières et compétitivité auront raison des différents freins de la VE. Elle finira par s’imposer comme le véhicule allant de soi dans un environnement suffoquant, où les pics de pollution sont de plus en plus fréquents, associés à l’accroissement des catastrophes naturelles aux conséquences dramatiques.
 
Economie de partage et responsabilité collective sont des notions pratiquement inverses de celles des débuts de l’automobile. A la fin du XIXème siècle, il s’agissait de disposer d’autonomie et de mobilité peu importe les moyens. A la suite de la révolution industrielle, le XXème siècle est effectivement celui du capitalisme souverain, de la consommation excessive, peu importe les effets sur l’environnement. La dépense d’énergie est motivée par la croissance continue de la production alors largement relayée par les nouveaux pays producteurs au niveau mondial. La fin du XXème siècle est aussi celle des rejets atmosphériques nocifs, des déchets organiques nuisibles, du gâchis énergétique, finalement d‘une pollution généralisée entraînant la lente destruction de l’écosystème garant du principe de vie inhérent à toute espèce sur la planète.
Le XXIème siècle doit tout d’abord corriger cette évolution – transition énergétique oblige – et adapter conjointement sa production énergétique aux alternatives durables. La VE reste le défi important de cette période.
 
La convergence des couts thermique/électrique durant la prochaine décennie signifie l’équivalence des tarifs entre VE et véhicule thermique. A technologie égale, la voiture électrique doit offrir les mêmes avantages économiques que la voiture conventionnelle, c’est-à-dire, au-delà de la fiabilité mécanique, une autonomie matérielle et une conjoncture économique favorable.
En valeur absolue, sur quinze ans, l’écart de deux mille euros en 2015 se réduirait à une centaine d’euros en 2030. Le premier facteur de cette convergence est la chute prévue des prix des batteries. Or le coût unitaire des accumulateurs électriques ne peut être abaissé qu’en fonction d’une production à grande échelle, ce qui entraîne un effort considérable des pouvoirs publics. Aussi, d’ici à 2030, cent-mille bornes de recharge de différentes puissances seront implantées en France, une participation pour moitié financée par l’état. L’infrastructure nécessaire d’une telle implantation exige cependant l’adaptation du réseau électrique pour des recharges ultra rapides, mais également sa capacité à supporter la surcharge.
D’autre part, sachant qu’actuellement en France, 75 % de la production électrique est nucléaire, cette augmentation impose la transition du modèle énergétique conventionnel en énergie alternative, afin d’être en conformité avec la réglementation énergétique. Au niveau international, les exigences sont identiques pour tous les pays. En Chine par exemple, principal pays responsable des émissions carboniques au niveau international avec plus de 70 % de son électricité en provenance du charbon, la transition énergétique s’accélère compte-tenu de la situation critique des agglomérations urbaines, elle est devenue depuis 2015 le premier pays producteur d’énergie éolienne. 
En règle générale, toute innovation technique requiert une garantie d’autonomie énergétique, au niveau du fonctionnement mais également de la fabrication, sinon l’innovation est inopérante et ne peut trouver d’application.
 
Si les abandons successifs de la VE au cours de son épopée s’expliquent économiquement, le marché de la VE n’ayant pu s’imposer face au business as usual, les rebonds de la VE sont tous liés à des crises, politiques d’abord, écologiques ensuite. L’histoire automobile montre la priorité des choix économiques aux différentes époques et leur impact sur l’évolution de la VE. Alors que la production du véhicule thermique a pratiquement toujours suivi une courbe ascensionnelle, le véhicule électrique n’est resté qu’expérimental jusqu’à sa dernière résurgence, sa technologie sans carbone avant toute réglementation ne lui a pas permis de bénéficier d’un modèle énergétique stable, fiable et rentable. Le développement de la mécanisation électrique largement tributaire d‘innovations électro techniques et chimiques est resté en marge des préoccupations industrielles des pays producteurs d’automobiles favorisant les énergies fossiles réputées en phase avec le marché des inventions.
 
L’entreprise automobile française est toujours en tête des dépôts de brevets d’invention en France. En misant sur la technologie pour se distinguer les uns des autres, les constructeurs automobiles dépensent beaucoup d’argent sur un nouveau concept de la VE, voiture connectée et conduite autonome. Ajoutée à une pression réglementaire de plus en plus sévère pour limiter les émissions polluantes, l’industrie optimise sa motorisation thermique, le développement des propulsions hybrides et électriques, mais aussi le rendement énergétique en allégeant le poids des véhicules.
 
Le modèle « Link and go » de Renault, qui sera commercialisé dans les années 2020, constitue sans doute une réponse à cette convergence projetée à l’horizon de la nouvelle décennie : une VE propre, avec une motorisation électrique et autonome pour parcourir de long trajet, mais également autonome parce que sans conducteur, connectée à l’environnement, intelligente.
L’automobile connectée c’est toujours un peu plus d’autonomie, et des déplacements intelligents. La transition énergétique marque un nouveau rapport entre l’homme et la machine, la voiture influençant largement cette transition – zen et sereine, la nouvelle VE est branchée, connectée, telle serait la tendance de beaucoup d’objets à l’heure actuelle.
Et les titans de l’économie numérique (Google et Apple notamment) se sont déjà lancés dans ce marché de la VE connectée afin de relever ce nouveau défi. Peut-on cependant, dès aujourd’hui, faire confiance au cerveau électronique de ce type de VE ? En tous cas, ce ne sera pas un argument pour ne pas séduire et perdurer, et cette fois régner dans la résilience face à sa rivale thermique qui amorce sans nul doute un cycle inédit de diabolisation.
 
Finalement, le tout récent gouvernement Macron fait la part belle à la VE en ayant nommé Nicolas Hulot au nouveau ministère de la « Transition écologique et solidaire ». Ce dernier arrivait ainsi au tout premier conseil des ministres en VE, une fois n’est pas coutume, son homologue du précédent gouvernement Ségolène Royal utilisait également une VE, mais quarante-trois après A. Jarrot. Faut-il y voir le signe d’un changement durable, après deux générations d’incertitude ?
 
Frank Pecquet, Maitre de Conférence : art numérique – Chercheur : Esthétique/Création et Design sonore – Université Paris I Panthéon Sorbonne
 
Photo d’entête : Petite voiture électrique suédoise Uniti commercialisée en 2019
 

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