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Space X

La course à l’espace est ouverte aux sociétés privées. Et ça change tout.

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La course spatiale entre les Etats-Unis et la Russie a débuté il y a exactement soixante ans (le 4 octobre 1957) avec un bip du satellite Spoutnik et s’est terminée dix-huit ans plus tard avec une poignée de main dans l’espace. Cette image a marqué le début de plusieurs décennies de collaboration internationale dans le domaine spatial. Mais au cours des dix dernières années, apparaît un énorme changement : l’espace n’est désormais plus le domaine réservé exclusif des agences gouvernementales. Les sociétés privées sont entrées dans l’aventure de l’exploration et propulsent le secteur vers l’avant, avec plus de vigueur et de rapidité que s’il était laissé aux seuls gouvernements.
 
Il n’est pas exagéré de dire qu’une nouvelle course à l’espace a commencé, dans laquelle les entreprises privées se font concurrence et entrent en compétition avec les organisations gouvernementales. Mais l’on observe une grande différence avec la période précédente, celle où les agences gouvernementales avaient l’exclusivité de la conquête spatiale. La concurrence se joue désormais pour conquérir des clients et non plus montrer sa domination en étant le premier à atteindre un certain objectif. Alors, qui sont les principaux acteurs et comment vont-ils changer la science, la technologie et la politique de l’exploration spatiale ?
 
Si vous mettez l’expression « exploration spatiale privée » dans un moteur de recherche vous obtiendrez une liste considérable de liens. Plusieurs d’entre eux portent des titres tels que : « Six entreprises privées qui pourraient lancer des êtres humains dans l’espace », « Les 10 premières entreprises les plus innovantes du monde dans l’espace » ou « 10 acteurs majeurs de la course spatiale du secteur privé ». Ce qui apparaît immédiatement, c’est que la quasi-totalité de ces sociétés sont basées aux États-Unis.
 
Il y a une grande différence entre la construction et le lancement de satellites en orbite terrestre basse pour les télécommunications d’une part, et l’envoi d’équipages et de cargaisons à la Station spatiale internationale (ISS) et au-delà, d’autre part. Les entreprises privées de plusieurs pays sont actives sur le marché des satellites depuis de nombreuses années. Leur contribution au développement de l’exploration spatiale non gouvernementale a aidé à ouvrir la voie à quelques entrepreneurs qui ont une vision et disposent des ressources nécessaires pour développer leurs propres ambitions vers l’espace.
 
Aujourd’hui, plusieurs entreprises américaines se penchent tout particulièrement sur les vols spatiaux habités. Les trois les plus avancées sont SpaceX, Blue Origin et Virgin Galactic. Ces trois entreprises ont pour objectif principal de réduire le coût d’accès à l’espace – essentiellement par la réutilisation des lanceurs et des engins spatiaux – en rendant l’espace accessible aux personnes qui ne sont pas des astronautes spécialement formés. Il y a une caractéristique que ces entreprises ont en commun, c’est la passion dévorante de leurs chefs d’entreprise.
 
SpaceX a été fondé en 2002 par Elon Musk, l’entrepreneur charismatique, ingénieur, inventeur et investisseur bien connu. L’ambition de SpaceX est de « révolutionner les technologies spatiales, avec pour objectif ultime de permettre aux gens de vivre sur d’autres planètes ». À cette fin, la société s’est spécialisée dans la conception, la fabrication et le lancement de fusées, ce qui constitue une concurrence directe pour United Launch Alliance (l’alliance entre Boeing et Lockheed Martin), qui avait été le maître d’œuvre du lancement des fusées de la NASA et du Département de la Défense.
 
Le succès d’Elon Musk a été spectaculaire. Après avoir développé le lanceur Falcon 9 et l’engin spatial Dragon, Space X est devenue la première société commerciale à arrimer un engin spatial à l’ISS en 2012. La firme y est maintenant régulièrement présente, y transportant des marchandises. Mais pour l’instant, elle n’embarque pas d’astronautes à bord de ses vaisseaux. Cependant, le Falcon Heavy est comparable à la fusée Saturn 5 qui a lancé les astronautes d’Apollo, et SpaceX a conçu son véhicule en vue d’envoyer des astronautes sur la Lune d’ici 2018, et sur Mars dès 2023.
 
Le 29 septembre, Musk affine ses plans en annonçant le projet BFR (qui, selon la légende, serait l’acronyme de Big F**king Rocket). Cette nouvelle fusée remplacerait le Falcon et le Dragon. Non seulement elle transporterait des cargaisons et des explorateurs vers la Lune et Mars, mais pourrait aussi réduire le temps de déplacement entre les villes de la Terre. Musk a annoncé aux médias qu’il pourrait prendre moins de 29 minutes pour voler à l’aide de cette fusée entre Londres et New York.
 
Reste à savoir si l’entreprise réussira à envoyer des astronautes sur la Lune en 2018. Quoi qu’il en soit, il faut s’attendre à ce que l’année 2018 soit très chargée en annonces spatiales. En effet, c’est l’année prochaine où Blue Origin, fondée en 2000 par Jeff Bezos, le célèbre fondateur d’Amazon, s’apprêterait à lancer des passagers dans l’espace. Mais l’ambition de Bezos est différente de celle de SpaceX. Blue Origin se concentre sur la mise sur le marché de vols spatiaux suborbitaux humains, en ciblant l’industrie du tourisme spatial. L’entreprise a mis au point un lanceur vertical (New Shepard, du nom du premier astronaute américain dans l’espace, Alan Shepard) qui peut atteindre l’altitude de 100 km, distance où l’on considère que commence l’espace. La fusée redescend ensuite vers la Terre, les moteurs s’allumant vers la fin de la descente, pour permettre à l’engin spatial d’atterrir verticalement. Des vols d’essai sans passager ont permis de faire des démonstrations réussies de la technologie. Le trajet aller-retour dans l’espace prendra environ 10 minutes.
 
Mais Blue Origin voit poindre un concurrent : Virgin Galactic, qui se décrit comme « la première ligne spatiale commerciale du monde ». Fondée en 2004 par Richard Branson, également un entrepreneur en technologie et en commerce de détail, fondateur notamment des magasins Virgin, la compagnie spatiale prévoit de transporter six passagers à la fois dans l’espace sous-orbital et leur offrir environ six minutes d’apesanteur au cours d’un vol de deux heures et demie.
 
La technologie choisie par Branson diffère de celle de SpaceX et de Blue Origin en ce sens que le lancement dans l’espace ne se fait pas à partir du sol, mais à partir d’un avion à réaction. Ce vaisseau-mère vole à une altitude d’environ 18 km (environ deux fois plus haut que les avions réguliers) et lâche un engin spatial plus petit propulsé par fusée (SpaceShip Two) qui le place à une altitude d’environ 100 km. Le programme a été retardé par des difficultés techniques, puis par la perte tragique du pilote Mike Alsbury, lorsque le SpaceShip Two a explosé en vol d’essai en 2014. Aucune date n’a encore été fixée pour l’embarquement des premiers passagers.
 
 
 
Dans cette liste de projets, il faut aussi citer le concours Google Lunar X Prize, annoncé en 2007, avec le slogan : « Bienvenue dans la nouvelle course de l’espace ». L’objectif du prix est de lancer une mission robotique sur la Lune, de placer un atterrisseur à la surface de notre satellite naturel et de rouler sur 50 mètres, en renvoyant des images et des vidéos de haute qualité. Le concours est toujours en cours. Cinq équipes financées par des fonds privés doivent lancer leur engin spatial sur la Lune d’ici la fin de 2017.
 

Des liens internationaux forts

 
Ces changements s’inscrivent dans un contexte de collaboration internationale éprouvée dans le domaine spatial. Tout au long des années 1980 et 1990, les programmes spatiaux américain et russe se sont particulièrement bien complétés. Après l’arrêt d’Apollo en 1975, le programme spatial américain a concentré ses efforts sur l’exploration robotique du système solaire.
Les sondes Voyager nous ont donné des images stupéfiantes de Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. Les missions Mariner et Viking sur Mars ont été les précurseurs des Pathfinder, Spirit, Opportunity et Curiosity. Messager a tourné en orbite autour de Mercure et Magellan, autour de Vénus. Quand la mission New Horizons s’est lancée vers Pluton en 2006, l’objectif était de visiter la dernière planète encore inexplorée du système solaire.
 
Pluton photographié par New Horizons. NASA
 
La Russie, quant à elle, a poursuivi un autre objectif : celui du vol spatial habité, avec sa station spatiale en orbite Mir, qui a connu un succès incroyable, et son programme de vols destinés à transférer les cosmonautes et la cargaison vers Mir. Le vol spatial humain aux États-Unis a été relancé avec la navette spatiale et sa mission de construction et d’occupation de la Station spatiale internationale (ISS). La liste des pays qui contribuent à l’ISS ne cesse de s’allonger. Le programme de la navette a pris fin en 2011 et, puisque son successeur Orion (construit en collaboration avec l’Agence spatiale européenne, l’ESA) ne devrait pas entrer en service avant au moins 2023, la communauté internationale a dû compter sur la Russie pour maintenir l’ISS en état de ravitaillement et d’occupation.
 
Aujourd’hui, à côté des États-Unis et de la Russie, il existe des programmes spatiaux forts, dynamiques et couronnés de succès en Europe, au Japon, en Inde et en Chine. L’Agence spatiale européenne a été créée deux mois à peine avant la poignée de main historique de 1975 entre astronautes et cosmonautes, après de nombreuses années de recherche indépendante en ingénierie aéronautique menée par des nations européennes. De même, les agences spatiales chinoises, japonaises et indiennes peuvent remonter aux années 1960. Un certain nombre de petits pays, dont les Émirats arabes unis, ont également des projets ambitieux.
 
Bien entendu, ces pays se font également concurrence. On a largement émis l’hypothèse que l’entrée en lice de la Chine suffirait à stimuler le programme spatial américain. La Chine a un programme spatial bien développé et s’emploie actuellement à mettre en orbite une station spatiale autour de la Terre vers 2020. Un prototype, Tiangong-2, est dans l’espace depuis près d’un an et a été occupé par deux astronautes (ou « taikonautes ») pendant un mois.
 
La Chine a également mené trois missions réussies sur la Lune. Et sa prochaine mission, Chang’ e 5, dont la mise à feu est prévue pour fin 2017, est destinée à ramener des échantillons de la Lune sur la Terre. La Chine a également l’intention déclarée de déposer des hommes sur la Lune d’ici 2025, date à laquelle les États-Unis testeront leur nouveau satellite Orion en orbite autour de notre satellite naturel.
 
L’histoire montre que, même s’il y a compétition, le succès des dernières décennies prouve certainement qu’il est possible de collaborer dans l’espace, même lorsque des tensions existent sur la terre ferme. À cet égard, l’exploration spatiale peut même jouer le rôle de zone tampon par rapport à la politique internationale, ce qui vaut certainement la peine de l’entreprendre. Il sera intéressant de voir comment un rôle plus important des entreprises privées dans l’exploration spatiale influera sur ces collaborations internationales, d’autant plus qu’une grande partie de l’effort est situé aux États-Unis.
 

Saine compétition ou jeu dangereux ?

 
L’entrée d’acteurs privés dans la course à l’espace a eu pour conséquence la reconnaissance par les milieux financiers de la viabilité de ce type d’investissements. En effet, une récente présentation à une banque d’investissement internationale – sous le titre « Espace, la prochaine frontière d’investissement » – a conclu que « Ce type d’investissements a contribué à réduire les coûts de lancement et à stimuler l’innovation dans les industries connexes, ouvrant ainsi un nouveau chapitre dans l’histoire de l’économie spatiale ».
 
L’un des derniers engagements de Barack Obama a été de présider la Conférence de la Maison Blanche sur les frontières, où l’exploration spatiale a été discutée autant dans le contexte de l’industrie américaine que dans la volonté d’explorer de nouveaux mondes. La NASA a participé à la réunion, mais la grande majorité des conférenciers provenaient de sociétés privées de technologie et d’investissement.
 
C’est peut-être cynique à dire, mais une fois que les investissements commenceront à affluer, les avocats ne tarderont pas trop. Et c’est là un autre aspect de l’explosion de l’intérêt pour le commerce spatial et le tourisme. Les lois, les statuts et autres règlements sont nécessaires pour régir le caractère international de l’exploration spatiale. A l’heure actuelle, l’Organisation des Nations Unies, par l’intermédiaire de son Bureau des affaires spatiales, est chargée de promouvoir la coopération internationale dans le domaine des utilisations pacifiques de l’espace. Ce Bureau supervise également le fonctionnement du Traité sur l’espace extra-atmosphérique, qui fournit un cadre pour la gouvernance de l’espace et des activités qui pourraient y être menées. Bien que l’absence évidente de « police de l’espace » pourrait laisser entendre que ces dispositions ne puissent jamais être appliquées dans la pratique, il faut reconnaître que ce Traité n’a jamais été violé.
 
Le texte est conçu dans le même esprit que les traités internationaux qui régissent les activités maritimes et l’exploration de l’Antarctique. Depuis son entrée en vigueur en 1967 avec les trois premiers signataires (les États-Unis, le Royaume-Uni et l’URSS), le traité a été signé par 106 pays (dont la Chine et la Corée du Nord). Tout le monde a reconnu qu’il était nécessaire d’avoir un tel cadre légal car, bien que les risques qui entourent l’exploration spatiale soient élevés, les avantages potentiels sont encore plus grands.
 
Si l’on considère la façon dont opèrent les entreprises plus conventionnelles, comme les supermarchés par exemple, on observe que la concurrence fait baisser les prix, et il y a peu de raisons de croire que la concurrence entre les entreprises spatiales suivrait un modèle différent. Dans ce cas, des risques plus importants pourraient être pris afin d’augmenter la rentabilité. Jusqu’ à présent, rien ne prouve que ceci soit le cas, mais à mesure que le domaine se développera et que d’autres sociétés privées se lanceront dans l’exploration spatiale, la probabilité d’accident ou de risques nouveaux augmentera.
 
Le traité stipule qu’un État qui lance une sonde ou un satellite est tenu de payer des dommages-intérêts en cas d’accident. Mais qu’en est-il si une entreprise privée lance un objet qui cause ensuite des dommages dans l’espace. Qui devra payer la facture ? Le traité pourrait donc devoir être mis à jour pour rendre les entreprises privées plus responsables. La sécurité des astronautes, qui ont légalement droit à une existence en toute sécurité dans l’espace extra-atmosphérique, pose également de graves problèmes. Mais les juristes ne sont pas certains que la loi actuelle puisse s’appliquer aux astronautes privés.
 
Pour l’avenir, il faudra une version élargie d’une autorité de l’aviation civile, qui dirigera et contrôlera les routes, les lancements et les atterrissages sur la Terre, ainsi que les atterrissages entre et sur les corps planétaires. Toutes les considérations de sécurité et de sûreté liées aux voyages aériens et maritimes concerneront les voyages spatiaux à un niveau nettement plus élevé, car les coûts et les risques sont proportionnellement beaucoup plus hauts. Il faudra des dispositions précises pour envisager les cas d’écrasement d’un vaisseau spatial ou de collision entre deux engins spatiaux. Sans parler de la piraterie ou de la possibilité d’un détournement. Évoquer cela peut sembler un peu sinistre alors que l’exploration spatiale devrait faire rêver, mais ce sera un développement nécessaire quand s’ouvrira l’ère des voyages spatiaux offerts aux citoyens ou tout au moins aux plus fortunés d’entre eux.
 
La course spatiale originale est née des idées et des compétences d’ingénieurs théoriciens visionnaires, des Robert H Goddard, Wernher von Braun, Konstantin E. Tsiolkovsky… Allons-nous trop loin en disant que la deuxième course spatiale sera propulsée par une nouvelle génération d’entrepreneurs, des Bezos, Branson et Musk ? Si tel est le cas, il faut espérer que le principal facteur qui permettra de poursuivre les activités spatiales ne sera pas uniquement la possession de grandes fortunes, mais que la vision, l’ingéniosité et le désir d’améliorer la condition humaine seront encore les principales forces motrices.
 
Monica Grady, Professor of Planetary and Space Sciences, The Open University
 
Cet article a été publié initialement par The Conversation USA – Traduction UP’ Magazine
Image d’en-tête : Amarrage du Dragon SpaceX Crew Dragon à la Station spatiale internationale. SpaceX
 

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