Au cœur de la méthode
Les chercheurs ont déterminé la séquence d’ADN, c’est-à-dire l’ordre d’enchaînement des nucléotides d’un fragment d’ADN donné, appliquant pour la première fois le séquençage ADN aléatoire et à haut débit (en anglais, shotgun high-throughput sequencing ou shotgun HTS) à des bois archéologiques et subfossiles de chênes blancs (Chêne pédonculé, Quercus robur et chêne sessile, Q. petraea).
Ce ne sont pas moins de 167 échantillons qui ont été analysés. Ils proviennent de 26 sites européens (Allemagne, Danemark, Espagne, France, Grande-Bretagne, Italie, Slovénie et Suisse) où ils ont été collectés à partir de structures archéologiques (piles de ponts, puits et autres barrages à poissons) ou de grumes quasi-fossiles, prélevées dans des terrains gorgés d’eau douce, d’eau salée ou encore qui étaient submergés dans les lacs ou les océans. Ces échantillons, dont l’âge a été déterminé par dendrochronologie et/ou datation carbone, couvrent des échelles temporelles vastes (de 550 à 9 800 ans).
De la détente à la production de bois en passant par de nombreux autres services écosystémiques, les forêts sont l’objet de nombreux enjeux notamment dans un contexte de changements globaux. Ouvrant de nouvelles perspectives pour comprendre l’évolution des peuplements forestiers et prédire leur devenir dans le cadre du changement climatique, une équipe scientifique internationale, impliquant des chercheurs de l’Inra et du CNRS, a isolé et séquencé avec succès de l’ADN de chêne dans des restes de bois anciens – certains datant de près de 10 000 ans. Une première mondiale !
En Europe, les forêts couvrent environ 1 milliard d’hectares, soit quelques 45 % de la superficie des terres émergées (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). En reconstruire la dynamique d’évolution représente non seulement un défi mais est essentiel pour comprendre comment ces écosystèmes si riches en biodiversité répondent aux changements environnementaux.
Dans le cadre d’un vaste projet international, des scientifiques de l’Inra et du CNRS ont choisi de relever le challenge, isolant et caractérisant avec succès l’ADN de bois de chêne anciens en s’appuyant sur les techniques de pointe de la génomique moléculaire.
Des conditions favorables à la conservation de l’ADN
Les chercheurs ont tout d’abord mis en lumière les conditions propices à la bonne conservation de l’ADN dans des restes de bois de chêne.
Ils ont montré que l’aubier – cette partie fonctionnellement active du bois située sous l’écorce – est plus favorable à la préservation de l’ADN végétal que les autres tissus, plus prompts à être contaminés par l’ADN des microorganismes de l’environnement.
Alors que la plupart des échantillons contiennent de l’ADN endogène en faible quantité, les grumes prélevées dans des environnements immergés et en particulier celles provenant de sédiments lacustres calcaires présentent un contenu plus élevé en ADN. A l’inverse, les restes de bois collectés dans des environnements exposés à l’oxygène de l’air ou acides montrent un ADN de bien moindre qualité, généralement impropre à l’analyse.
Les échantillons de bois de chêne hébergent diverses communautés microbiennes parmi lesquelles des microorganismes qui témoignent du milieu dans lequel le bois collecté a séjourné : des microorganismes unicellulaires (Archées) méthanogènes anaérobies du genre Methanosaetades milieux sédimentaires humides organiques, mais aussi des Gamaprotéobactéries des environnements maritimes, ou encore des Betaprotéobactéries et Pseudomonadales des sols limoneux. Les échantillons affichant les taux les plus élevés d’ADN endogène abritent essentiellement des Archées anaérobies méthanogènes du genre Methanomicrobia, suggérant que les milieux appauvris voire dépourvus d’oxygène sont favorables à la survie et la multiplication de ces microorganismes et à la préservation de l’ADN ancestral en milieux immergés.
l’inverse, la conservation des restes de bois dans un environnement chaud et oxygéné altère la composition des communautés microbiennes qui leur sont associées, peut-être parce que ces conditions favorisent l’action de bactéries impliquées dans la dégradation des constituants du bois – lignine et ses dérivés aromatiques ou encore cellulose – et donc la dégradation des restes de bois.
Un ADN susceptible de se dégrader
Les scientifiques ont également fourni les premières indications sur les processus de dégradation de l’ADN au fil du temps. Ils ont ainsi montré que, très rapidement, les fragments d’ADN collectés voient leur taille diminuer et qu’ils subissent un ensemble de modifications chimiques qui changent la nature de l’information génétique qu’ils contiennent (perte d’un groupement amine, rupture localisée de liaison…).
Ces travaux constituent une première mondiale, ils soulignent la valeur des bois immergés comme source d’ADN de bois anciens et ouvrent la voie à des études de paléogénomique de grande ampleur. Le séquençage de l’ADN préservé dans les bois anciens permettra d’ici peu d’accéder au génome des arbres qui survécurent aux dernières grandes glaciations et repeuplèrent ensuite l’Europe, il y a 12 000 ans environ, suite au réchauffement progressif du climat. A terme, cette approche ouvre des perspectives d’intérêt notamment pour mieux comprendre la réponse évolutive des écosystèmes forestiers face au changement climatique, et ainsi améliorer la gestion de nos forêts.
Ces résultats ont été publiés le 3 mars 2018, dans la revue Molecular Ecology.
Photo : Chêne « Angel Oak » de Charleston en Caroline du Sud dont l’âge est estimé à environ 1.500 ans. Il serait le plus vieux chêne toujours vivant aux États-Unis ( 20 mètres de haut et 8,5 mètres de circonférence).
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