Début avril 2012, France Télévisions a continué sa course en avant dans l’interactivité en lançant une application HbbTV dédiée à l’émission « C dans l’Air » d’Yves Calvi diffusée quotidiennement sur France 5. Cette application illustre bien le potentiel d’HbbTV pour compléter les programmes en direct. Dans cet article, nous allons rentrer dans le détail des fonctionnalités interactives de cette émission et lever le voile sur la manière dont elle est réalisée en faisant un petit tour dans son studio et sa régie. Nous traiterons au passage de quelques autres nouveautés dans l’interactivité autour de chaînes comme TF1 et Arte.
Comment ça marche ?
L’application HbbTV de l’émission « C dans l’air » se lance sur une TV connectée supportant HbbTV, donc un modèle de grande marque sorti en France après le printemps 2011. Lorsque l’émission est diffusée en direct en fin d’après-midi ou rediffusée en fin de soirée et que HbbTV est activé, sur la TV apparait une information en haut à droite de l’écran en « overlay » (superposition au signal TV) indiquant que l’on peut poser ses questions en direct. Il faut cliquer sur le bouton OK de la télécommande, contrairement à l’habituel bouton rouge qui est proposé pour accéder au portail HbbTV des principales chaines de la TNT.
Cette « pop-up » s’appuie sur la fonctionnalité prometteuse appelée « DSM-CC Stream Events » du protocole HbbTV. Elle est envoyée dans le flux du canal broadcast DVB et non via Internet. C’est la première fois qu’elle est utilisée en Europe. Elle est déclenchée par une commande envoyée à partir de la régie de l’émission et correspond à des moments bien précis dans l’émission ; ici, en retour plateau après diffusion d’un reportage et lorsque l’animateur invite les téléspectateurs à poser leurs questions.
NB : les écrans ci-dessous m’ont été fournis par France Télévisions et sont des montages Photoshop qui reflètent exactement l’interface proposée aux téléspectateurs. Il est malheureusement difficile d’obtenir des photos de qualité d’écrans de TV !
On accède alors au service interactif de cette émission. Mais cela prend quelques bonnes et longues secondes à se lancer (entre 10 et 15s) ! La raison est technique : l’ordre est envoyé aux serveurs d’injection des données vers le multiplex R1 de la TNT chez TDF qui le traite puis le transmet partout en France sur ce canal de France 5 avec deux flux HbbTV gérés simultanément autour du même canal de TNT : celui du portail de France Télévisions et celui contextuel à cette émission. La gestion de cette double diffusion HbbTV au sein d’un même canal a été mise au point par les équipes techniques de France Télévisions.
Le service propose alors cinq grandes fonctionnalités qui commencent par la question du jour à laquelle on peut répondre et visualiser en temps réel le résultat, ici portant sur la campagne d’Eva Joly :
On peut poser ses questions sachant que la saisie avec une télécommande est un peu laborieuse. Ces questions vont alimenter l’oreillette du journaliste Yves Calvi qui anime l’émission, ainsi que le fil de questions qui apparait en bandeau défilant à la fin de l’émission. Ce n’est pas le seul canal pour envoyer ses questions puisqu’on peut déjà le faire sur le site web de France 5 depuis pas mal de temps. On peut aussi le faire en SMS, sur le site de France 5 et via Twitter.
On peut également obtenir le sommaire de l’émission pour en connaitre le thème du jour, un plus du direct sous HbbTV et inhabituel dans les guides de programmes des FAI et autres services en ligne, qui n’accèdent pas à des données aussi précises.
Puis, une petite promo pour les livres récents publiés par les invités. Pour être invité dans cette émission, il vaut en effet mieux avoir sorti un livre, c’est une règle implicite de nombreuses émissions à la TV. Dans le cas de « C dans l’air », la promotion peut se faire à répétition car les invités reviennent souvent, et notamment Christophe Barbier, Roland Cayrol, ainsi que Brice Teinturier. Mais cela dépend du sujet.
Enfin, on peut accéder aux cinq dernières émissions de la série avec une particularité : la consommation en différé est, elle aussi, habillée avec les fonctionnalités HbbTV que nous venons de voir, à l’exception du vote en direct. Cependant, ces émissions ne sont pas accessibles à partir du portail HbbTV de France Télévisions, uniquement dans l’application HbbTV de l’émission lors de sa diffusion l’après-midi ou sa rediffusion en fin de soirée. Par comparaison, le portail HbbTV de la chaîne ARTE contient une belle offre de TV de rattrapage avec notamment une grande quantité de documentaires.
Enfin, on peut revoir les cinq dernières émissions de la série avec une autre innovation mise au point par France Télévisions : la consommation en différé habillée des fonctionnalités HbbTV que nous venons de voir, à l’exception des possibilités de votes et questions en direct. Ces émissions en mode rattrapage sont toutes accessibles depuis les directs de 17h45 et les deux rediffusions quotidiennes de l’émission, mais aussi à partir du portail HbbTV de France Télévisions de l’émission sur France 5, où un nouvel onglet « applications » est apparu récemment.
Mais les réseaux sociaux sont aussi là puisque l’on peut Twitter cette émission ainsi que la liker sur Facebook. Le logo « France télévisions » en bas à gauche permet d’accéder au portail généraliste du groupe France Télévisions.
On notera que cette expérience interactive n’est pas multi-écrans. Ainsi, la version iPad du portail de France Télévisions, Pluzz, permet certes de visualiser en différé l’émission « C’est dans l’air ». Mais aucune interactivité ou information telle que celle que l’on trouve sur HbbTV n’est disponible. Et pour cause, cela nécessiterait un autre développement spécifique, bien coûteux. On ne peut pas tout avoir et tout de suite !
Côté « replay », on peut aussi citer le cas de TweetReplay de TF1 dont l’expérimentation a été lancée en novembre 2011. Il s’agit d’une fonction d’intégration du flux Twitter d’une émission lors de sa consommation en TV de rattrapage, pour l’instant sur le site web de TF1 (MyTF1). Ces tweets sont éditorialisés par la chaîne : elle sélectionne les meilleurs d’entre eux. L’expérimentation a commencé avec « Danse avec les stars » et a consolidé les meilleurs des 9600 tweets émis pendant le direct. Elle s’est poursuivie notamment avec l’incontournable « The Voice », avec un player vidéo qui permet de se déplacer dans la vidéo avec sa timeline Twitter, présentée sous forme d’un graphe et d’un flux. Il faut dire que l’usage de Twitter s’est démultiplié par rapport à « Danse avec les stars » avec un pic de 75000 tweets par émission. A noter que TF1 publie aussi la timeline en vidéo de cette émission.
Behind the scene
L’application pour « C’est dans l’air » a été réalisée en interne chez France Télévisions et avec l’aide d’ATOS Worldline. Elle réutilise les données éditorialisées pour le site de l’émission de France 5. Ce qui est bien pratique dans la mesure où il s’agit d’une émission quotidienne dont le sujet est parfois décidé au dernier moment en raison de l’actualité (Fukushima, perte du AAA de la France, etc).
Le flux HbbTV s’appuie sur une machinerie en régie et en particulier sur un pupitre spécial qui contient une demi-douzaine de touches pour les besoins de l’émission et pour le lancement des différents événements de l’habillage écran traditionnel, ainsi que de l’habillage HbbTV au moment du lancement des questions. Ce pupitre a été mis au point par France Télévisions pour son propre usage.
Ce clavier est utilisé par l’opératrice synthé qui lance les habillages graphiques de l’émission à l’image et est assise à droite de l’assistant-réalisateur. Le clavier qui est un matériel standard de studio « off the shelf » est connecté en USB à un serveur installé dans la régie. Le retour antenne est assuré par une TV du commerce supportant HbbTV installée en régie. Son image est décalée de plusieurs secondes par rapport aux écrans de contrôle de la régie. C’est le « lag » entre la régie et la diffusion TNT lié à tout l’empilement de couches techniques entre studio et diffusion. Il est encore plus important dans le cas de la diffusion en IPTV.
L’émission est produite dans le privé, par la société Maximal Production, une filiale du groupe Lagardère, et est tournée dans les locaux d’Europe 1 à Paris, qui est une autre filiale de Lagardère. C’est sur une autre partie du plateau utilisé pour « C dans l’Air » qu’est aussi tournée l’émission « C’est-à-dire » également diffusée sur France 5, juste avant « C dans l’Air », mais sans l’habillage HbbTV de « C dans l’Air ». Le passage de la première à la seconde émission sur le plateau est d’ailleurs spectaculaire car les caméras et leur fixation sont déménagées d’un bout à l’autre du studio en moins de 5 minutes. Ci-dessous, on voit à l’avant-plan la partie « C’est-à-dire » du plateau et à l’arrière-plan, la partie « C dans l’air ». Le décor de l’avant-plan est écarté pour que la caméra puisse prendre une vue d’ensemble du plateau de « C dans l’air ».
Les questions qui sont envoyées par les utilisateurs de HbbTV sont consolidées dans une régie « Messages » en sous-sol dont les opérations sont assurées par la société FrenchTV. Pas moins de quatre personnes assurent la réception, la modération et la sélection des messages des téléspectateurs qui sont envoyés à l’antenne. Les quelques centaines de messages de chaque émission proviennent du site web de France 5, de SMS, de Twitter (sur le hashtag de l’émission, on voit un message Twitter dans l’écran ci-dessous) et de l’application HbbTV de l’émission. Ils sont réceptionnés dans un logiciel unique, réalisé par FrenchTV. Une première opératrice fait un premier tri, une seconde corrige les textes, une troisième fait la sélection qui sera envoyée à l’antenne. Le tout sur de simples laptops. L’équipe fonctionne de manière assez autonome et le plateau, Yves Calvi compris, découvre les questions affichées au fil de l’eau. Enfin, une quatrième personne envoie les messages à l’écran avec un logiciel PC qui génère le bandeau déroulant qui est envoyé en régie pour superposition sur l’image des caméras.
Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire sur ces studios mais cela sort un peu du cadre de cet article (rôle de l’ingénieur du son, du calibrage couleur des caméras, de la lumière en studio, envoi des reportages réalisés dans la journée en caméras Panasonic P2 et montés sous Avid à partir du siège de la société de production à Boulogne-Billancourt).
L’équipe de Maximal Productions était en tout cas fort sympathique et accueillante. Un grand merci à elle ! Vous pourrez en tout cas visualiser mon petit reportage photo de la visite sur Darqroom. J’en ai aussi profité pour faire le tour des nombreux studios de radio du groupe Europe 1 dans les étages, qui ont la particularité d’être tous équipés de systèmes de prise de vue vidéo avec des caméras Sony robotisées que l’on trouve maintenant partout. Le multicanal et la diffusion en mode webtv sont passés par là !
Le potentiel
On voit bien le potentiel d’un tel dispositif : notifier un service directement depuis la chaîne à son audience. C’est une méthode très puissante qui reste encore peu utilisée par les chaînes, puisqu’inaugurée en Europe et par France Télévisions en avril 2012.
Mais aussi pour des raisons de qualité éditoriale : cela coûte du temps et des moyens de créer de l’information pertinente autour des émissions. L’optimisation de la production peut s’appuyer sur la réutilisation des données éditorialisée du site web de l’émission, comme c’est le cas dans « C dans l’Air ». Une fois lancée, cette application HbbTV de « C dans l’Air » semble bien s’intégrer dans le workflow éditorial de l’émission et ne pas coûter trop cher, ce qui tombe bien car pour l’instant, les audiences HbbTV restent faibles au vu de la base installée très limitée de TV connectées supportant HbbTV et connectées, et utilisée pendant la diffusion de cette émission.
A ce jour, cela reste le pilote HbbTV autour de Roland Garros, toujours réalisé par France Télévisions et en mai 2011, qui reste le plus sophistiqué en termes de contenus proposés. Le sport est en effet un domaine riche en données et les chaînes TV en ont en stock.
On pourrait rêver d’avoir plus d’informations, d’être capables de creuser les thèmes abordés dans les émissions politiques comme « C dans l’Air ». On pourrait aussi avoir du « fact checking » en temps réel dans les émissions politiques, proposé à la fois par des spécialistes et des téléspectateurs, avec un minimum de modération ou de curation. Avec les tombereaux de bêtises, notamment économiques, proférées par la quasi-totalité des candidats à la présidentielle, il y aurait eu fort à faire.
Ces applications HbbTV bénéficient d’un placement sans commune mesure avec tous les autres imaginables : un « call to action » qui apparait sur l’écran. Cela bat à plates coutures toutes les autres formes de placement : application iPad, SEO/SEM sur le web, etc. A l’exception peut-être de l’application native que l’on peut activer en visualisant TF1, via la TNT sur les TV connectées du coréen Samsung, du fait d’un partenariat d’il y a quelques années entre les deux acteurs (et qui pour l’instant, n’affiche pas grand-chose : juste un teaser sur « The Voice »).
Est-ce que cet avantage concurrentiel donné aux chaînes par HbbTV est indu ? Cela pose la question de la notion même d’émission de TV. Est-ce juste la vidéo qui est diffusée via le canal broadcast ? Ou est-ce l’ensemble des contenus : vidéo, photo, textes, interactivités, associés à une émission ? Une émission est-elle maintenant obligée d’être « transmedia » comme nous l’avons vu après le MIP-Cube ?
Pour l’instant, HbbTV est déployé en Allemagne, le précurseur, puis en France depuis l’automne 2011 et aussi en Espagne. Mais pas mal d’autres pays ont décidé de l’adopter : la Suisse, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Belgique, la Pologne, l’Irlande, l’Autriche, la Tchéquie, la Turquie et les pays Nordiques qui l’on annoncé très récemment. Sans compter la Russie qui va bientôt se lancer et la Chine qui a l’air aussi séduite pour ses chaines nationales CCTV. Bon an mal an, cette initiative a tout de même l’air de bien monter en puissance malgré le scepticisme ambiant.
Notons au passage que quelques startups françaises sont impliquées dans les déploiements d’HbbTV : HttV en tête de réseau, Vianeos qui supporte HBBTV dans son middleware IPTV, Octopus destiné au marché de l’hopsitality, WizTivi (Roland Garros, portail FTV) et d’autres sociétés orientées services qui développent les portails HbbTV des chaînes telles que Altran, ATOS Worldline ou DotScreen. Et enfin, FrenchTV que nous avons déjà citée.
Le futur
La version actuellement déployée de HbbTV est la 1.1.1, adoptée en 2010. La prochaine sera la version 1.5 dont les spécifications ont été publiées le 4 avril 2012 et son adoption par l’ETSI est prévue d’ici l’automne 2012. La France a été l’un des principaux contributeurs à cette version, via le HD Forum, une association 1901 qui regroupe industriels et chaînes TV.
Elle qui va intégrer une standardisation de la diffusion de vidéos en MPEG-Dash qui utilise un stream adaptatif, permettant d’alléger les réseaux. Le Dash (Dynamic Adaptive Streaming over HTTP) est un standard ISO qui a été adopté dans HbbTV et vise à remplacer – en réduisant au passage les coûts des brevets associés – les technologies propriétaires actuelles (Smooth Streaming de Microsoft, HDS d’Adobe, et HLS d’Apple) sachant que ce format est agnostique vis à vis du codec vidéo utilisé, même s’il s’agira en majorité du H264. A noter que le HbbTV 1.5 intègre aussi le support de l’encapsulation de DRMs basé sur le MPEG-CENC qui est un autre standard ISO.
La version 1.5 sera uploadée dans les TV supportant HbbTV selon le bon vouloir des constructeurs, dépendant à la fois de leur politique commerciale et des capacités matérielles de leur TV à supporter ce streaming adaptatif. A noter que la France au travers du HD Forum a été l’un des principaux contributeurs au HbbTV 1.5.
Citons aussi deux initiatives complémentaires à HbbTV qui visent à le compléter par des outils spécifiques :
– OpenHbb, lancé par les pôles de compétitivité Cap Digital (Ile de France) et Images & Réseaux (Pays de Loire) qui planche notamment sur des outils de création et d’édition, ainsi que sur la capacité à enregistrer des services interactifs HbbTV pour leur « replay », avec les émissions associées (cf « Recording and delivery of HbbTV Applications« ).
– Hbb-Next piloté par des allemands, des hollandais et des tchèques qui vise à enrichir le standard avec des outils de personnalisation de l’expérience pour des groupes d’utilisateurs (recommandation de contenus) et à synchroniser l’expérience HbbTV avec d’autres écrans. Hbb-Next est un projet financé par l’Europe (FP7).
Quand on voit le chemin accompli par HbbTV qui n’est un standard officiel que depuis 2010, l’année de l’annonce de Google TV, on est en droit de se dire qu’il progresse finalement assez vite. C’est aussi une initiative qui a bénéficié du support, timide aux débuts mais plus affirmé ensuite, des géants de l’électronique grand public comme Samsung, Sony, Philips. Elle est maintenant supportée par pratiquement tous les fabricants de téléviseurs tels que LG Electronics, Toshiba, Panasonic et Loewe.
L’Europe a encore un peu de marge pour faire la différence face aux mastodontes américains qui font peur à tous les acteurs et dont le succès écrasant semble inéluctable pour certains. L’approche européenne semblait initialement assez défensive. Elle commence à prendre forme et à pencher du bon côté de l’innovation. Il faut donc probablement que les acteurs mettent la surmultipliée et se posent notamment la question de la standardisation du packaging des applications pour la création de portails de services type MesServices.tv.
En tout cas, la TV connectée reste un champs d’expérimentation infini passionnant à suivre.
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