J’assistais le 27 novembre 2012 à un TEDx Salon à la Gaité Lyrique dont la ligne directrice était « la maitrise du temps ». Cette édition légère de TEDx était organisée par la même équipe à l’origine de TEDx Concorde (à l’Espace Cardin, en janvier 2012) et TEDx Paris (à l’Olympia, en octobre 2012).
Illustration : « Les montres molles » de Salvador Dali (1931)
Le temps à TEDx Salon
Parmi les nombreux intervenants de qualité, il y en avait deux qui traitaient spécifiquement du temps : Noël Dimarc et Virginie Van Wassenhove. Je vais ici revenir sur ces interventions et élargir le sujet sur l’impact du numérique dans la perception et la gestion du temps. Si le numérique a transformé la société dans tous ses étages, son impact sur le temps est extrêmement profond et a tout un tas d’implications sociologiques, managériales et physiologiques.
Noël Dimarc est chercheur au CNRS et plus précisément le directeur du SYRTE (acronyme de « Systèmes de Référence Temps-Espace »), l’organisme officiel qui définit le temps légal pour notre pays et qui est installé à l’Observatoire de Paris près de Denfert Rochereau. Il nous expliquait comment on mesure le temps avec précision et à quoi cela sert. En gros, on compte des oscillations. Aux débuts de la mesure du temps, on s’appuyait sur les cycles longs de la journée, puis ceux des battements des horloges et on en est maintenant aux horloges atomiques qui mesurent le temps avec une précision inégalée. A savoir que la marge d’erreur est d’une seconde toutes les quelques milliards d’années. Pas de quoi manquer un rendez-vous. Noël Dimarc a à son actif la création d’horloges atomiques embarquées dans des sondes spatiales. Il finalise une horloge à « atomes froids » qui sera embarquée en 2013 dans la station spatiale internationale (ISS).
En faisant un tout sur le site du SYRTE, on peut disposer d’informations sur les serveurs Internet de référence du temps légal français. Ces serveurs diffusent le temps légal à l’aide d’un protocole standard de l’Internet : le NTP (Network Time Protocol). Celui-ci est couramment exploitable par les systèmes d’exploitation. J’en ai profité pour synchroniser mon poste de travail avec l’un de ces serveurs car mon PC sous Windows n’était pas toujours bien à l’heure.
La seconde intervenante sur le temps était Virginie Van Wassenhove. Elle est directrice du NeuroSpin MEG au CEA à Saclay. MEG ? Il s’agit de « magnétoencéphalographie », la technique exploratoire non invasive qui permet de capter le fonctionnement du cerveau. Elle mesure les très faibles champs magnétiques qui sont produits par l’activité électromagnétique des neurones. Pas au niveau de chaque neurone, bien entendu, mais au niveau de zones différentes du cerveau dont on sait grosso-modo à quoi elles servent, avec des magnétomètres qui mesure le champ magnétique périphérique de la tête dans trois directions (de manière perpendiculaire à la tête, et dans la latitude et la longitude). Le tout s’appuie sur une grosse centaine de capteurs que l’on place sur un casque autour de la tête.
Utilisant la MEG, Virginie explore le fonctionnement du cerveau au regard de la perception du temps, ce que l’on appelle le temps subjectif, temps perçu, voire temps physiologique par opposition au temps objectif ou physique. Et ses expériences ont permis de découvrir la manière dont le cerveau gère le temps. Il dispose d’une sorte d’horloge interne qui lui permet par exemple de synchroniser les stimuli auditifs et visuels. Et le temps est géré de manière très élastique par notre cerveau. Ainsi, la perception du temps est paradoxale : il passe très vite dans une journée bien remplie et plus lentement si elle est mal remplie ou comprenant de longs temps d’attente à ne rien faire. De même, comme le souligne Etienne Klein dans ce débat de Virginie Van Wassenhove avec Etienne Klein produit par Universcience en 2010, le temps s’écoule plus rapidement quand on parle que lorsque l’on écoute. Ce qui explique pourquoi je m’ennuie tant dans les conférences… lorsque je suis dans l’audience !
Autre perception physiologique : les journées paraissent plus rapides avec l’âge car la durée d’une journée est perçue relativement au temps passé depuis sa naissance. Et plus on vieillit, plus on perçoit le temps de la mort qui est plus proche. Le temps s’accélère et on peut avoir envie de mieux en profiter.
Le temps chez Orange
Ce TEDx Salon était comme les précédents TEDx Concorde et Paris organisé grâce au partenariat d’Orange dont les équipes étaient venues en force avec notamment Delphine Ernotte-Cunci, DG d’Orange France (ci-dessous). Et cette fois-ci, Orange était plus qu’un sponsor car investi dans la question du temps. L’opérateur a ainsi lancé une réflexion de fond sur la maitrise du temps dans un projet intitulé « Le Collectif du temps ».
Compte-tenu de ce qui va suivre, on peut considérer que c’est une dimension de l’action RSE (Responsabilité Sociale et Environnementale) de l’opérateur. En effet, le numérique bouleverse notre relation au temps, pour le meilleur et pour le pire. La RSE consiste souvent à montrer que l’entreprise est consciente des problèmes que l’usage de ses produits et services peut engendrer et ensuite, d’apporter des solutions. L’engagement d’Orange est donc logique autour de ce sujet de société.
Delphine Ernotte-Cunci l’explique dans cette interview dans Les Echos, « Les technologies nous font gagner du temps » : « Les nouvelles technologies changent notre rapport au temps. Nous sommes dans une bipolarisation entre le temps court, celui que nous passons à répondre nos courriels en une minute, et le temps long, nécessaire pour se projeter dans le futur. Nous avons besoin de nous réapproprier notre temps. Nous sommes au début de l’histoire. ». Plus prosaïquement, le site d’Orange propose des contenus sur la maitrise du temps, sur la manière d’apprendre à se déconnecter et même un Top 10 des applications pour perdre et gagner du temps.
Le numérique et le temps
C’est en fait un thème que j’observe depuis des années et qui fait d’ailleurs l’objet de conférences que je donne chez certains clients qui se posent la question de l’impact du numérique sur la gestion de la relation client. Celle-ci est notamment profondément affectée par la transformation de la perception du temps générée par les nouveaux usages numériques.
D’un manière générale, ces usages ont eu comme conséquence d’accélérer la perception du temps. En gros, tout va plus vite. On fait de plus en plus de choses plus rapidement, on attend moins et on supporte de moins en moins d’attendre, et aussi, on remplit le temps plus facilement. Le business va plus vite. La publication de contenus est bien plus rapide qu’avant. L’information circule beaucoup plus vite.
Faisons un petit tour de ces phénomènes :
La messagerie électronique a été l’un des premiers outils changeant profondément notre relation au temps. On est passé du mémo papier envoyé par courrier interne à aux mails internes et externes. Malgré son asynchronisme, l’usage développé du mail a tendance à rendre les tâches plus synchrones qu’avant. La messagerie électronique a déclenché plusieurs phénomènes tels que le multitasking, les interruptions permanentes tout comme le mélange entre vie privée et vie professionnelle. Le mail, c’est l’assurance d’avoir l’impression de n’avoir rien fait alors que l’on a pourtant tant fait par rapport à ce que l’on faisait « avant le mail ».
L’asynchronisme du mail est une forme de protection contre l’urgence. Mais on ne tolère pas d’attendre trop longtemps une réponse. D’où l’émergence des outils dits de messagerie instantanée et autres chat. Ils sont maintenant omniprésents : qu’ils soient intégrés dans les réseaux sociaux tels que Facebook, dans la fonction SMS de nos mobiles ou comme outil à part comme avec Google Talk ou Skype et le Messenger de Microsoft. Chez les plus jeunes utilisateurs, ces outils de communication instantanée ont tendance à éclipser les outils de communication synchrone. Cela a même conduit certains tels que Thierry Breton chez ATOS à vouloir se débarrasser de la messagerie électronique.
La messagerie électronique a aussi entrainé une évolution des pratiques managériales. En plein, cela décloisonne les équipes et permet une communication plus large et directe dans les organisations et entre elles. En creux, cela créé une pression permanente qui génère son lot de stress. Le mail rend tout urgent. Combien de fois ne reçoit-on pas de mails avec le titre « URGENT » pour des choses bien futiles ?
Le mail permet certes d’aller plus vite mais comme tout déversoir d’informations, il génère sa propre pollution : le spam. Mais dans les entreprises, le vrai spam ne vient pas de l’extérieur. Il vient de l’interne ! Entre le flot de spam commerciaux que l’on efface rapidement et le flot de mails internes déclencheurs d’actions en tout genre, il n’y a pas photo ! Cela a même généré de nouvelles formes de harcèlement moral. On ne compte plus les témoignages au sujet de managers qui arrosent leurs équipes de mails et sollicitations permanentes y compris à des heures et jours indus. La disponibilité des uns et des autres devient permanente.
Le mail a généré son phénomène d’accoutumance : rares sont ceux qui échappent à la consultation compulsive de son mail à tout bout de champs, y compris dans les tables rondes de conférences (ci-contre, Bruno Patino et Nathalie Kosciusko-Morizet pendant un débat aux Universités d’Eté du MEDEF en 2009). Les vraies vacances physiologiques deviennent ainsi des périodes où l’on se coupe du numérique et en particulier de la pression permanente du mail.
Les moteurs de recherche ont apporté une seconde transformation : la capacité à trouver quelque chose très rapidement. Même si ces moteurs sont encore imparfaits, ils ont tout de même complètement transformé notre relation à l’information. L’instantanéité d’une réponse de Google Search a aussi transformé notre relation au temps. Elle a raccourci notre temps d’attente de référence à la milliseconde.
La conséquence est qu’en tant que citoyens, consommateurs ou actifs, nous sommes maintenant pressés et exigeants. On sait par la mesure que les internautes ne supportent pas d’attendre l’affichage d’une page d’un site web et que plus l’attente est longue, moins il achètera s’il s’agit d’un site de vente en ligne ! Une grande partie des améliorations de la relation client passent par l’optimisation du temps et sa prédictibilité. Il en va ainsi de l’indication du temps d’attente dans les transports en commun ou dans les files d’attente. Les bureaux de poste ont été transformés avec de nombreux endroits spécialisés (pour timbrer une lettre, récupérer un recommandé, etc) qui ont servi à réduire le temps d’attente. La banque en ligne relève de la même démarche. Dans le métro à Tokyo (ci-contre), l’indication principale sur les lignes est le temps de parcours jusqu’à chaque station. Le temps importe plus que la distance !
Le commerce en ligne est un cas intéressant et un peu paradoxal de notre relation au temps au regard des exemples précédents. …
D’un côté, on est prêt à attendre un peu plus pour disposer d’un produit dont on a envie. En échange de quoi ? D’un prix en général plus attractif et surtout d’un choix plus large que ce que l’on trouve habituellement dans le commerce de détail. C’est moins de temps passé au prix d’un peu plus de temps à attendre. Mais les e-commerçants se font fort de nous vendre du gain de temps dans l’attente, avec des frais de livraison qui augmentent avec sa rapidité. On peut maintenant être livré en 24 heures dans certains cas si on est prêt à en payer le prix. Et si l’on est vraiment très pressé, on va chercher son produit directement en magasin, comme avec les Auchan Drive ou le retrait de produits dans les stocks chez Grosbill.
Les réseaux sociaux ont transformé la relation entre personnes mais aussi au temps. Une timeline Facebook ou Twitter ne sert pas à quelque chose de précis et prédéterminé puisque l’on ne sait pas à l’avance ce que l’on va y trouver. Les réseaux sociaux sont devenus des outils à remplir le temps. On s’en sert dans les transports, chez soi … et aussi au travail. Vous vous ennuyez dans une réunion et la 3G ou le Wi-Fi sont disponibles, hop, un tour dans Facebook ou Twitter et le temps passe plus vite. Au lieu de lire un livre…
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Photos d’Olivier de la conférence
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