Le créateur de la ville de Brasilia est mort, mercredi, dans sa ville natale de Rio, à l’âge de 104 ans. Ce « magicien de la courbe » était devenu un mythe à travers le monde, le symbole de l’architecture moderne du XXè siècle. Il avait fait sienne la phrase de Le Corbusier « l’architecture, c’est de l’invention ».
Non seulement le Brésil, mais le monde vient de perdre l’un de ses architectes les plus brillants. Au cours de 76 années de production, Oscar Niemeyer a conçu plus de 600 bâtiments dans le monde entier, notamment en Italie, en France, en Allemagne, en Espagne, en Algérie et au Liban. Une vingtaine de ses travaux sont encore en cours de réalisation dans divers pays. Il a remporté dix récompenses, dont le Prix Pritzker en 1988. Il est mort à Rio de Janeiro et laisse un héritage immense à l’architecture.
Le dôme de la cathédrale Nossa Senhora Aparecida / Brasilia vu de l’intérieur
Parce qu’il avait fait la rencontre décisive avec Le Corbusier à Rio en 1936, dont il se disait le disciple, Oscar Niemeyer a ensuite évolué vers un style plus en rondeurs, inspiré disait-il par les courbes des Cariocas, des plages où elles prennent le soleil et des pains de sucre qui les entourent. Ses bâtiments tout en courbes lui ont valu d’être surnommé « l’architecte de la sensualité ».
Œuvre atypique en effet que celle d’Oscar Niemeyer. Qui ne s’inscrit dans aucune école, mais s’ingénie à multiplier les formes : bâtiments en vasque, en coupole, en déferlante, en fleur, en cratère ; toits en dos de cuillère, en boomerang, en page de livre ouvert, en paysage montagneux ; rampes d’accès en spirale, en copeau, en ruban ; ouvertures en boutonnière, clocher en fourche… tout un vocabulaire qu’il déroule à l’infini. Associant parfois des formes opposées dans un même ensemble.
Pour le Premier ministre socialiste Jean-Marc Ayrault, Oscar Niemeyer était « architecte du rêve devenu réel, a traversé le XXe siècle avec audace, fulgurance et constance ».
« Courbes libres et sensuelles, malléabilité et poésie du béton armé, refus du fonctionnalisme comme du rationalisme : sa signature reconnaissable entre toutes est gravée dans le paysage institutionnel des grandes capitales et particulièrement en France, où il avait choisi de vivre dans les années 1970 », rappelle la ministre de la culture, Aurélie Filippetti. « Partout dans le monde, il laisse une oeuvre à la fois prestigieuse, grandiose et populaire, qui compte parmi les plus belles expressions artistiques de notre temps », ajoute-t-elle.
Brasilia
Une ville submergée par la population en 1950. Quoi qu’il en soit, une ville construite à partir de rien, avec des lignes courbes et des bâtiments, des fresques. Le paradigme de l’architecture est contesté, pulvérisé, avec un succès retentissant. Ces photographies de Marcel Gautherot ont capturé quelques-uns des bâtiments les plus emblématiques de Brasilia en construction.
C’est en 1940 que Niemeyer fait la connaissance du futur président Juscelino Kubitschek, qui lui donnera la « joie » de construire ex-nihilo Brasilia, l’actuelle capitale du Brésil, avec l’urbaniste Lucio Costa et le paysagiste Roberto Burle Marx.
« On voulait faire des immeubles qui créent une certaine stupeur parce qu’ils étaient différents », avait déclaré ce pionnier de l’utilisation du béton. Inaugurée le 21 avril 1960, Brasilia lui a fait remporter d’innombrables prix, comme le prix Pritzker (le Nobel d’architecture) en 1988.
Son premier grand travail sera le «Complexe de la Pampulha» (à Belo Horizonte) achevé en 1943 et «l’un de ses préférés». L’architecte brésilien a participé notamment à la conception du siège des Nations unies (1952), à New York, et a dessiné le Musée d’art contemporain de Niteroi (1996), près de Rio, célèbre pour sa forme de soucoupe volante.
La France, qui l’a accueilli pendant ses années d’exil alors qu’il fuyait la dictature, compte près d’une vingtaine d’oeuvres, dont le siège du Parti communiste à Paris (1965) où il imagine un bâtiment ostensiblement fermé par les couleurs de l’édifice de bureaux en même temps que signalé par la singulière coupole qui coiffe l’ancienne salle du comité central. La désinvolture de l’ensemble, indifférent à la topographie parisienne, est aujourd’hui saluée. La Maison de la Culture du Havre (1972) : là, il adopte une position opposée, évitant toute confrontation avec la ville reconstruite par Auguste Perret : en enterrant la Maison de la culture, il lui donne l’espace et la vie qu’elle n’aurait pas trouvés à l’ombre des tours du vieux maître français.
« Le Volcan », la Maison de la culture du Havre photographiée en juillet 2005. | AFP/MYCHELE DANIAU
Un homme engagé
L’homme est resté athée et militant communiste jusqu’à la fin dans un pays marqué par les inégalités sociales. «Il ne reste que deux communistes dans le monde, Oscar et moi», avait dit en 1995 le dirigeant cubain de l’époque, Fidel Castro, lors d’une visite à l’architecte dans son atelier. Le jour de ses 102 ans, Niemeyer confiait que sa seule consolation était de «voir que le Brésil était devenu plus égalitaire depuis l’arrivée au pouvoir d’un ancien ouvrier», l’ex-président Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010).
Le Sambodrome, ici en mars 2011. | AP/FELIPE DANA
En 1928, Niemeyer s’était marié avec Annita Bildo avec qui il eut une fille. Leur union durera 76 ans, jusqu’au décès d’Annita fin 2004. Sa fille, Anna, était décédée en juin d’un emphysème pulmonaire. A l’âge de 98 ans, il s’était remarié avec sa secrétaire, Vera Lucia Cabrera, alors âgée de 60 ans.
Lors du dernier carnaval de Rio, Niemeyer avait encore visité les travaux de rénovation du Sambodrome, qu’il avait construit il y a trente ans et où se dérouleront certaines des compétitions des Jeux olympiques de 2016 à Rio.
L’une des dernières constructions d’Oscar Niemeyer, le Théâtre populaire de Nireroi, au Brésil. © Marcelo Sayao/EPA/MAXPPP
Le musée de la République à Brasilia. © Joedson Alves/DPA/MAXPPP
Pour aller plus loin
– Livre « Les courbes du temps » Mémoires d’Oscar Niemeyer (Gallimard 1999)
– Film de Marc-Henri Wajnberg pour Arte, « Un architecte engagé dans le siècle (1999-2000) »
– Entretiens « Niemeyer par lui même. L’ Architecture de Brasilia parle à Edouard Bailby »
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