Le MAMAC – Musée d’art moderne et contemporain de Nice présente la première grande exposition muséale en France de l’artiste Thu-Van Tran. Première grande monographie après sa participation à l’exposition collective du MAMAC « Cosmogonies, au gré des éléments » en 2018. Sur plus de 1.000 mètres carrés, le musée met en lumière son univers artistique singulier, imprégné de sa double culture franco-vietnamienne, et évoque la transformation durable des paysages et les enjeux soulevés autour du vivant.
Grande artiste de la scène française, ThuVan Tran jouit aujourd’hui d’une reconnaissance internationale. Elle a notamment présenté une installation magistrale en 2017 lors de la Biennale de Venise ; elle a été nominée pour le prix Marcel Duchamp en 2018 et vient de réaliser une grande commande in situ au Carnegie Museum of Art de Pittsburgh et à la Bourse de commerce – Pinault Collection.
Sur plus de 1.000 mètres carrés, l’exposition met en lumière les principaux aspects de son travail : un univers artistique imprégné de sa double culture franco-vietnamienne ; l’histoire commune des deux pays et l’héritage visible ou invisible encore inscrit dans le langage, les corps au Vietnam ; la transformation durable des paysages et les enjeux soulevés autour du vivant. L’exposition entremêlera récits historiques et mythologies personnelles, œuvres existantes et nouvelles productions.
« Le projet que je souhaite concevoir au MAMAC permettra d’aborder la question de notre écosystème naturel et environnemental devenu instable et mutant depuis les bouleversements causés par les enjeux économiques et politiques de notre monde moderne. Tout en opérant un glissement vers des considérations d’ordre poétique : les pouvoirs intrinsèques d’une nature souveraine, enchanteresse, qui d’une ressource matérielle bascule vers une ressource spirituelle et mystique, lieu de mythes et d’imaginaires possibles. Ceux-là sont nécessaires à la construction de sa propre mythologie individuelle. » explique l’artiste.
« Nous vivons dans l’éclat »
« La mémoire est notre médium et nous vivons dans la matière » évoque ThuVan Tran. À travers peinture, photographie, sculpture, film, installation, elle explore l’Histoire commune des deux pays et son héritage visible ou invisible encore inscrit dans le langage, les corps, les imaginaires. Elle évoque aussi la transformation durable des paysages et les enjeux soulevés autour du vivant.
L’exposition entremêle récits historiques et mythologies personnelles en trois phases d’un voyage qui nous mène de l’aube au crépuscule, des tourments du passé à la puissance du rêve.
À propos de l’exposition, l’artiste exprime son souhait « d’aborder la question de notre écosystème naturel et environnemental devenu instable et mutant depuis les bouleversements causés par les enjeux économiques et politiques de notre monde moderne. Tout en opérant un glissement vers des considérations d’ordre poétique : les pouvoirs intrinsèques d’une nature souveraine, enchanteresse, qui d’une ressource matérielle bascule vers une ressource spirituelle et mystique, lieu de mythes et d’imaginaires possibles. Ceux-là sont nécessaires à la construction de sa propre mythologie individuelle. »
Le titre, « Nous vivons dans l’éclat » est emprunté à une série d’œuvres éponymes de Thu-Van Tran dans lesquelles elle a insolé des phrases issues du livre Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad (1899-1902) sur une surface photosensible. Le mot éclat a été choisi par l’artiste dans la traduction subjective qu’elle a entreprise du livre, en lieu et place du mot « éblouissement ». Il renvoie à la fois à l’idée de ravissement, d’aveuglement mais aussi de brisure et à deux médiums chers à l’artiste : le langage et la lumière.
Grande artiste de la scène française, Thu-Van Tran jouit aujourd’hui d’une reconnaissance internationale. Elle a notamment présenté une installation magistrale en 2017 lors de la Biennale internationale d’art de Venise ; elle a fait partie en 2018 des nominés pour le prix Marcel Duchamp, qui distingue chaque année quatre artistes français majeurs. Elle vient de réaliser une grande commande in situ au Carnegie Museum of Art de Pittsburgh (États-Unis) ainsi qu’à la Bourse de Commerce – Pinault Collection. En 2018, le MAMAC l’avait conviée à faire dialoguer son travail avec l’œuvre d’Yves Klein dans « Cosmogonies, au gré des éléments ».
« (…) le mieux serait de changer de lumière, de vivre dans l’œil de deux grains de sables qui s’écartent, d’être un seul banc vert dans plutôt le désert printemps central à toujours cinq heures du matin (…) »
Jacques Roubaud, poèmes, 1967.
Parcours de l’exposition
Chapitre 1 : A l’aube, semer
Des fulgurances, des sensations, des émotions. C’est par ce prisme subjectif – celui d’une mémoire traversée par l’émoi, la mélancolie et l’enchantement – que Thu-Van Tran investit l’histoire de son pays d’origine, le Vietnam. Elle convoque de manière poétique la complexité des héritages matériels et leur entrelacement avec l’histoire. Le « bois qui pleure » ou hévéa – et notamment les larmes qu’il produit, le caoutchouc – est au cœur de sa pratique et de ses expérimentations. Qu’il apparaisse sous la forme précieuse de moulages de troncs, dans la trace fantomatique de ses feuilles, dans les gestes de la récolte ou dans la pure matérialité du latex, ce caoutchouc permet de convoquer une histoire : celle de la transformation d’un paysage sous l’influence grandissante d’un autre pays. Originaire du Brésil, la graine d’hévéa a été importée et exploitée de manière intensive au Vietnam – notamment par l’entreprise Michelin à partir de 1925.
Incarnation d’un processus d’acclimatation, d’infiltration mais aussi de métamorphose, l’hévéa est investi par l’artiste dans sa dimension plastique, historique et économique. Il résonne avec les enjeux actuels autour de l’exploitation et extraction à outrance des ressources naturelles.
Ce récit d’implantation artificielle, de récolte et de révolte, est mis en dialogue avec de somptueuses fresques abstraites qui évoquent des paysages lyriques et de manière allégorique la guerre du Vietnam* et les épandages chimiques perpétrés par l’armée américaine. Obtenues par la juxtaposition d’un arc-en-ciel de couleurs, ces œuvres monumentales génèrent une tumultueuse beauté, infusée par les troubles de l’Histoire.
* La guerre du Vietnam (1955-1975) fait suite à la Guerre d’Indochine (1946-1954) qui opposa dans une lutte de décolonisation les Viêt Minh à la France – soutenue militairement par les États-Unis à partir de 1949. À partir de 1955, la guerre civile oppose le bloc de l’Est et le Front national de libération du Sud Vietnam incarnant le communisme de pensée né des plantations d’hévéa et de l’occupation française -, et soutenus par la Chine Communiste, à la République du Vietnam, quant à elle, soutenue par les États-Unis. Elle est l’expression de conflits idéologiques internes alimentés par les tensions géopolitiques internationales de la guerre froide.
Chapitre 2 : A midi, s’exposer et brûler
« (…) Je suis un homme qu’on entame avec la hache du soleil – Je suis un homme sous les flammes – Dans les pièges pris dans les deuils j’étouffe sous les nuits brouillées – Je m’écorche aux heures rouillées (…) »
Jacques Roubaud, poèmes, 1967
Un paysage fragmenté, comme surexposé à la brûlure du soleil se déploie devant nous : images délavées de jardins occidentaux, forêt tropicale embrasée de couleurs saturées, lumière crue… Des moulages de corps, fantomatiques, surgissent d’une longue tache de couleur qui a pénétré le sol tandis que des palmiers émergent de l’obscurité de denses nuées.
À travers cet ensemble d’œuvres, Thu-Van Tran revient de manière allégorique sur les liens entre la France, l’Occident et le Vietnam. Des liens « transactionnels », asymétriques, faits d’un accès à des ressources naturelles et à une main d’œuvre dans la première moitié du 20ème siècle ; des liens culturels, par une imprégnation durable des imaginaires ; des héritages de destruction avec les épandages toxiques menés par l’armée américaine entre 1962 et 1971.
Thu-Van Tran aborde dans son ampleur la complexité et les ambiguïtés du passé en recourant à l’onirisme : des rêves d’Occident qui s’effacent sous l’effet du temps, de la lumière et des intempéries, déployés dans les rues de Hô Chi Minh ; des statues à la gloire d’un empire passé, abandonnées à l’oubli dans les parcs de France ; des œuvres produites grâce aux larmes d’hévéa, l’or noir du Vietnam, que l’arbre produit lors de l’incision pour guérir ses cicatrices… Le sentiment d’un déclin surgit de ces paysages et de ces corps pétrifiés dans leur chute, l’éclat du soleil les ayant révélés au grand jour. « Nous sommes faits de nuances, de mélanges et c’est donc bien sur un paysage maculé de taches et indéniablement imparfait que notre présent s’écrit. Réfléchir le présent sans ignorer le passé. » évoque Thu-Van Tran, qui investit cette histoire de sa subjectivité et de formes d’une troublante beauté, traversées d’une sourde violence.
Chapitre 3 : Au crépuscule, oublier, oublier et conter
« S’il y a toujours des voyages dont on ne revient pas semblable une fontaine non de sagesse mais de signes – Peut-être est-ce le lieu seulement où je tends (…) – Tu trouveras ton bien dans les plus éloignés des mots trésor protégé »
Jacques Roubaud, poèmes, 1967.
Thu-Van Tran nous invite à franchir le seuil d’un lourd rideau de caoutchouc, sorte de mue végétale et de grande peinture organique qui nous fait entrer dans un monde du crépuscule et des rêves, un monde du deuil et de la consolation. Cette salle est traversée de mots, de mythes et de légendes, nourris par le souvenir de récits traditionnels et enrichis, amplifiés par l’imaginaire de l’artiste. Le langage est une composante majeure du travail de Thu-Van Tran qui affirme le pouvoir transformateur et émancipateur des mots, la capacité de l’écriture à créer de nouvelles appréhensions du réel.
Le rapport à l’oralité traverse ses œuvres, que ce soit dans les narrations scandées de ses films ou les récits qui s’incarnent dans ses sculptures chimériques. Il y est question de réminiscences, d’enchantements, de consolation, de « mots lumières », selon l’expression de l’artiste, mais aussi de la reconstruction d’un lien subjectif avec cet ailleurs intime et étranger que représente pour elle le Vietnam, quitté avec sa famille alors qu’elle avait deux ans.
Dans ce paysage de feuilles et d’ailes d’oiseaux pétrifiées ; de vagues saisies dans leur ressac ; d’aubes, de forêts et d’éclipses prise dans les larmes de l’hévéa et de dérives oniriques dans Hanoï, Thu-Van Tran affirme le pouvoir de l’imaginaire et de la beauté comme autant de voies de réappropriation.
Thu-Van Tran écrit ainsi : « Le passé évoqué dans l’exposition sera aussi celui des mythes et des légendes, car nous sommes façonnés par les récits au même titre que l’histoire réelle. S’installera dans l’exposition une tradition narrative de la fable, où la nature et les animaux, les allégories viendront nous conter notre passé enfoui, rêvé, sublimé, imaginé qui s’immisce sans détour dans notre présent. »
Biographie de l’artiste
Née en 1979 à Hô Chi Minh (Vietnam), Thu-Van Tran vit et travaille à Paris (France). Sa famille s’installe en France alors qu’elle a deux ans. Diplômée de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris en 2004, elle s’est également formée en fonderie d’art auprès des Compagnons de Devoir en 2001 (Fonderie de Coubertin). Elle a été nominée pour le prix Marcel Duchamp en 2018.
Elle a réalisé différentes expositions personnelles en France et à l’étranger, notamment : Novel Without a Title, Kunsthaus Baselland, Bâle, (Suisse), 2020 ; 24h à Hanoi, Le CREDAC, Ivry-sur-Seine, (France), 2019 ; A novel without a title, VCCA-Vincom Center for Contemporary Art, Hanoï, (Vietnam), 2018 ; Échange de présents, n.b.k.-Neuer Berliner Kunstverein, Berlin, (Allemagne) 2016.
Son travail a également été présenté à l’occasion d’expositions collectives, telles que : Avant l’orage, La Bourse du commerce – Pinault Collection, Paris (France), 2023 ; Is it morning for you yet?, Carnegie Museum of Art, Pittsburgh – The 58th Carnegie International, (Etats-Unis), 2022 ; A Century in Color, Bundeskunsthalle Bonn, Bonn (Allemagne), 2022 ; Réclamer la terre, Palais de Tokyo, Paris, (France), 2022 ; Global(e) Resistance, MNAM Centre Pompidou, Paris, (France), 2020 ; Words at an Exhibition – an exhibition in ten chapters and five poems, Busan Biennale, Museum of Contemporary Art Busan (MOCA), Busan, (Corée), 2020 ; Cosmogonies, au gré des éléments, MAMAC, Nice (France), 2018 ; Viva Arte Viva, 57° biennale de Venise, Arsenale, Venise (Italie), 2017 ; Jardin Infini. De Giverny à l’Amazonie, Centre Pompidou-Metz, Metz, (France), 2017.
Ses œuvres ont intégré d’importantes collections publiques et privées, notamment : MAC VAL, Vitry-sur-Seine, France ; FRAC Aquitaine, Bordeaux, France ; MNAM, Musée National d’Art Moderne – Centre George Pompidou, Paris, France Fondation Kadist, France/USA ; Lidice Memorial, Lidice, République tchèque FRAC Midi-Pyrénées, Toulouse, France ; The Strauss Collection, San Diego, USA ; Vehbi Koc Foundation, Istanbul, Turquie ; Pierluigi and Natalina Remotti Foundation, Camogli, Italie ; FRAC Ile-de-France, France ; Musée Départemental d’Art Contemporain, Rochechouart, France Louvre Abu-Dhabi, Abu Dhabu, UAE ; Fonds Municipal d’Art Contemporain de la Ville de Paris, Paris, France ; Fondation Louis Vuitton, Paris, France. Thu-Van Tran est représentée par les galeries Almine Rech (Paris), Meessen De Clercq (Bruxelles) et Rüdiger Schöttle (Munich).
Commissariat : Hélène Guenin, directrice du MAMAC
Chef de projet : Olivier Bergesi
Exposition jusqu’au 8 janvier 2024 – MAMAC, Place Yves Klein – 06364 Nice Cedex 4 – https://www.mamac-nice.org/
L’exposition fait l’objet d’un catalogue monographique édité par Dilecta, comprenant un entretien de Thu-Van Tran et Hélène Guenin ; des essais de l’historienne de l’art Hélène Meisel et du directeur du Sculpture Center de New York, Sohrab Mohebbi. L’artiste est représentée par Almine Rech, Paris ; Meessen De Clercq, Bruxelles et Rüdiger Schöttle, Munic
Photo d’en-tête : Thu-Van Tran, Bleu Saigon, 2017 – Impression livide sur bâche plastique 270 x 410 cm / Courtesy de l’artiste, Meessen De Clercq, Bruxelles, Belgique. © Thu-Van Tran / ADAGP – Paris, 2023. Photo : Philippe De Gobert.