Jean Gaumy ou photographier l'océan : des premiers clichés aux explorations contemporaines - UP' Magazine

Regardez le monde
avec les yeux ouverts

Inscrit ou abonné ?
CONNEXION

UP', média libre
grâce à ses lecteurs
Je rejoins

rejoignez gratuitement le cercle des lecteurs de UP’

Jean Gaumy ou photographier l’océan : des premiers clichés aux explorations contemporaines

Commencez

En mai, le musée national de la Marine révèle le travail d’une figure majeure de la photographie contemporaine : Jean Gaumy. À travers près de 150 photos, dont certaines jamais montrées au grand public, cette première grande exposition de photos maritimes de Jean Gaumy dévoile comment le photographe saisit, avec une intensité rare, des thématiques maritimes aussi diverses que la pêche, la pleine mer, le traumatisme des marées noires, le huis-clos des sous-marins ou encore l’exploration des pôles.

Photographier c’est comme pêcher ou écrire. C’est sortir de l’inconnu qui résiste et refuse de venir au jour. »
Jean Gaumy

© Jean Gaumy / Magnum Photos

Le musée national de la Marine à Paris propose une immersion fascinante dans l’univers de la photographie maritime de la seconde moitié du xixe siècle à nos jours.
L’exposition Jean Gaumy et la mer célèbre une figure majeure de la photographie contemporaine, membre de l’agence Magnum Photos, de l’Académie des beaux-arts et peintre officiel de la Marine. Première grande exposition dédiée aux photographies maritimes de Jean Gaumy, elle réunit près de 150 tirages issus des collections de la Médiathèque du patrimoine et de la photographie (MPP).

L’exposition La pêche au-delà du cliché, inédits de la collection, révèle la manière dont la mer et les communautés de pêcheurs ont été perçues par les photographes du milieu du XIXe siècle au début du XXIe siècle, à travers près de 130 pièces issues de la collection du musée, dont certaines sont présentées au public pour la première fois.
En faisant dialoguer deux collections photographiques aux univers complémentaires, cette double exposition porte un regard captivant sur la vie quotidienne des gens de mer du XIXe siècle à nos jours.

L’exposition Jean Gaumy et la mer, réalisée en partenariat avec la Médiathèque du patrimoine et de la photographie (MPP) où est aujourd’hui conservé ce fonds exceptionnel, met en lumière le travail d’une figure majeure de la photographie contemporaine. Membre de l’agence Magnum Photos, de l’Académie des beaux-arts et peintre officiel de la Marine, Jean Gaumy est un amoureux de la mer et de ses rivages, qu’il n’a de cesse de sillonner depuis le début de sa carrière dans les années 1970.

Le parcours dévoile comment le photographe saisit, avec une intensité rare, des thématiques maritimes aussi diverses que la pêche, la pleine mer, le traumatisme des marées noires, le huis clos des sous-marins ou encore l’exploration des pôles. De la Normandie au Groenland, en passant par l’Andalousie, Long Island ou la Gironde, du reportage documentaire à une poésie plus contemplative, le « style Gaumy » se dévoile aux yeux du public à travers des photographies emblématiques, mais aussi d’autres plus confidentielles, dont certaines sont présentées au public pour la première fois.
Imaginée comme une promenade dans la riche collection de photographies du musée national de la Marine, l’exposition La pêche au-delà du cliché, inédits de la collection documente, à travers près de 130 pièces, la manière dont la mer et les communautés de pêcheurs ont été perçues du milieu du XIXe jusqu’aux dernières années du XXe
siècle. Elle s’appuie sur les travaux de photographes dont la production est relativement bien connue, comme Anita Conti, Lucien Chauffard, Emmanuel Ortiz ou
Serge Lucas, et aspire à mettre aussi en lumière la production de photographes plus confidentiels, parfois anonymes, dont les travaux ont été moins diffusés.

La pluralité des supports exposés — tirages, albums, brochures imprimées, diapositives et négatifs — souligne la polyphonie des regards posés sur ce métier exigeant et invite les visiteurs à identifier ce qui caractérise la photographie de pêche. Le choix des sujets, l’évolution des techniques ainsi que le positionnement des photographes par rapport à leur sujet sont ainsi évoqués, à travers l’ambition qu’ils ont pu avoir de constituer un inventaire visuel de la pêche, de questionner les enjeux de la photographie de pêche en contexte colonial, mais aussi d’alimenter l’imaginaire collectif lié à l’ensemble de ces pratiques.

Parcours de l’exposition

Les photographies de Jean Gaumy jouent sur plusieurs registres. Le plus évident est celui de la photographie documentaire. Jean Gaumy fait ses débuts à l’agence Viva, où la figure de Claude Raimond-Dityvon (1937-2008) le marque. Puis, sur invitation de Raymond Depardon, il entre à l’agence Gamma en 1973, avant de rejoindre l’agence Magnum Photos en 1977. Le rythme imposé par l’actualité brûlante correspond peu au photographe, davantage sensible aux huis-clos humains, qu’il photographie lors d’enquêtes au long-cours.
Il s’intéresse ainsi tour-à-tour à l’hôpital (1975-1976), à la prison (1976-1979) puis à l’Iran des années 1980. C’est dans la même démarche qu’il photographie les communautés de pêcheurs aux quatre coins de la planète.

Jean Gaumy n’est ni un illustrateur, ni un ethnologue. Ses images immergent celui ou celle qui les regarde dans la vie de communautés dont les membres sont liés le temps
d’un embarquement, d’une expédition ou d’une plongée. Quand Jean Gaumy photographie, filme, prend des notes ou interroge, ses images témoignent d’un monde où des hommes et des femmes se confrontent aux forces de la nature. En reportage, le photographe croise souvent des personnes qui ont des choses à dire et qui ont envie de parler. Pour pouvoir intégrer leur témoignage aux images, le cinéma documentaire se fait peu à peu une place dans sa pratique.
Cette approche se double, ces dernières années, d’une vision photographique plus contemplative, où il capture aussi des paysages naturels comme les falaises de Normandie, les mers de l’Arctique et les terres d’Ellesmere. Ces photographies témoignent de « l’irrésistible accélération de la rupture qui s’opérait entre l’espèce humaine et son environnement originel ; entre civilisation et nature ».

L’ensemble des photographies exposées sont conservées à la Médiathèque du patrimoine et de la photographie (MPP). Les citations sont celles de Jean Gaumy.

Premières histoires de mer et de rivages

En 1972, Jean Gaumy vit à Rouen. Adepte de la pêche en mer dans son sud-ouest natal, il se rend à Fécamp pour embarquer sur le chalutier Wagram. Au gré de ses reportages ou de ses vacances familiales, il ne cesse de photographier les rivages ainsi que les communautés qui y vivent et travaillent de la mer. Qu’il s’intéresse aux almadrabas andalouses, aux pêcheurs de bars rayés de la côte est américaine ou aux filetières de Fécamp, il documente une atmosphère, des gestes et des techniques
traditionnels.

Au début des années 1980, parce que son ciré est toujours à portée de main et que ses appareils sont prêts, c’est vers lui que l’on se tourne. Dans chacune des histoires que le photographe a initiées ou que son agence lui a confiées, il est surtout question d’interactions, de relations humaines. Jean Gaumy ne surplombe pas son sujet. Son point de vue est à hauteur d’homme. Il aime saisir le monde de près, au contact des gens, mais avec la pudeur et une forme de retrait propre à la solitude de l’artiste. Jean Gaumy est aussi un auteur qui s’obstine à photographier la mer depuis la mer, plongé dans les éléments, balloté comme tous les marins malgré un mal de mer qui ne le quitte jamais et le met souvent à plat. Cependant il s’accroche toujours, et toujours, il repart.

Jean Gaumy, Usine de harengs fumés. Atelier de conditionnement. Avant d’être expédiés, les harengs fumés entiers sont emballés dans des caisses en bois, Fécamp, Seine-Maritime, 1977
© Jean Gaumy / Magnum Photos

La Boucane
En 1997, Jean Gaumy se rend à Fécamp, où il découvre La Boucane, une conserverie de poisson dont l’énergie sonore et visuelle le sidère. De cet univers dont il pressent la disparition, il cherche à fixer le réel : c’est un métier dur, fait de sel, de fumée et de cendres, de l’humidité des poissons gras ; mais aussi un monde dont il garde en mémoire, avec nostalgie et émotion, l’extraordinaire vitalité, la paradoxale liberté conquise, l’harmonie de cette communauté de femmes, « leur intimité chaleureuse faite de complicité, de coups de gueule, d’éclats de rire, de chants et de silences au labeur ». Il y réalise un premier reportage photographique.
Cinq ans plus tard, il revient muni d’un petit magnétophone à cassettes afin d’en enregistrer l’ambiance. En 1984, caméra à l’épaule, il tourne son tout premier court métrage, avec le soutien de Christian Zarifian et de l’Unité Cinéma de Normandie. Ainsi naît La Boucane, un film de 35 minutes où se tissent, à travers l’image et la parole, les liens puissants qui unissent ces femmes de tous âges, rassemblées autour d’une tâche exténuante. Dans l’intimité de l’objectif, elles se livrent, évoquant tour à tour leur labeur harassant, leurs espoirs et les contours de leur existence.
Son film, primé au festival des films ethnographiques, organisé sur une initiative de Jean Rouch au palais de Chaillot, est nominé aux Césars en 1986 dans la catégorie du court métrage documentaire. Cette même année, La Boucane quitte les quais du port de Fécamp pour être transférée dans la zone industrielle d’Épreville et l’atelier ferme définitivement un an plus tard.

Jean Gaumy, Almadraba, Zahara de los Atunes, Espagne, 1992 – © Jean Gaumy / Magnum Photos

La almadraba
En mai 1982, Jean Gaumy se rend dans la province de Cadix, en Andalousie, dans les villages de Barbate et de Zahara de los Atunes. Son intérêt se porte sur la almadraba,
une pêche saisonnière et ancestrale, pratiquée dans certains ports du sud de l’Espagne par les populations locales depuis bien avant l’époque romaine. C’est une pêche spectaculaire qui profite de la migration des thons à leur passage par le détroit de Gibraltar, entrel’Atlantique, où ils arrivent en provenance du cercle polaire Arctique, et les eaux chaudes de la Méditerranée. La forme la plus primitive consiste à positionner plusieurs bateaux à une certaine distance et à descendre un réseau de filets. Celui-ci constitue un labyrinthe, « la madrague », qui oriente les poissons vers un filet central, « la chambre de la mort », où ils se trouvent piégés. Quand les filets sont relevés, les poissons sont vivants. Les pêcheurs peuvent alors procéder à leur sélection. Ils descendent dans le filet et remontent les thons les plus gros, dont certains peuvent atteindre six cents kilogrammes. Les autres pièces, plus petites, sont hissées à bord avec une sorte de crochet, par quatre à cinq pêcheurs.
De son intérêt pour les pratiques de pêches traditionnelles, de sa « recherche d’une ambiance, d’une époque, d’un rapport au monde » et de ses propres interrogations sur
la préservation des ressources naturelles, Jean Gaumy tire un reportage tout à la fois précis dans sa narration documentaire et ethnographique, mais aussi plein de force et de fureur, au contact de l’homme comme du poisson, comme un prélude à la série Pleine mer (1984-1998).

Jean Gaumy, Pêcheur de bar rayé sur la plage, Long Island, États-Unis, 1983 – © Jean Gaumy / Magnum Photos

Long Island
En déplacement aux États-Unis en 1983, rejoint plus tard par la photographe Martine Franck (1938-2012), Jean Gaumy porte brièvement son objectif sur les compétitions
de pêche aux requins, mais aussi sur les pêcheurs qui travaillent au large des côtes de Long Island, dans l’État de New York. Pêche traditionnelle, transmise de génération en génération, encore largement pratiquée au moment où il la photographie, elle se déroule en deux lieux : sur le bateau où les marins étendent la senne, le filet de pêche, dans les eaux peu profondes de l’Atlantique nord, et sur la plage, là où les pêcheurs ramènent les poissons. Pendant quelques jours, il suit une famille de pêcheurs professionnels installée à Amagansett. De ces images ressort la nécessaire solidarité entre les hommes, où chacun, à la place qui lui est assignée, participe à la réussite commune.
Un livre, composé des clichés réalisés par plusieurs photographes, est publié en 1988 sous le titre Men’s lives. Il vise à soutenir les pêcheurs de Long Island, menacés de
disparition à cause de la pression grandissante du tourisme et la concurrence d’une pêche de loisir compétitive, aux retombées économiques plus lucratives.

Mars 1984 – Voici quinze ans que je photographie. Parfois des photos dures, des moments difficiles. Un jour les mélanger avec d’autres photos : des moments de rivières, de vents et de rivages. Ils sont du même monde. Cela viendra de soi. Je ne sais pas comment. Je veux partir en mer et cette envie déjà porte en elle ce germe. Il ne peut pas s’agir de faire un reportage.
Il s’agit d’autre chose. Je ne sais pas vraiment. Il faudra raconter. Raconter simplement. Éviter l’imposture, le registre héroïque. Rester à hauteur d’hommes. »

Pleine mer

Le regret de ne pas avoir photographié les derniers terre-neuvas portugais habite Jean Gaumy. Il pressent la disparition prochaine des chalutiers classiques à pont découvert et de leur équipage, qui « travaille au plein milieu des éléments, quasiment dans la vague ». Cette fin annoncée, ce « plus jamais » l’obsède. C’est ce qui le pousse à embarquer au printemps et à la fin de l’année 1984 sur le Koros, chalutier de haute mer armé à La Rochelle, et, en 1992 et en 1998, sur le Rowanlea, armé à La Corogne.
De ces « marées », Jean Gaumy rapporte plusieurs reportages. Malgré le mal de mer lancinant et les embruns qui brouillent son objectif, il s’attache à tout photographier :
les manœuvres du navire, les dangers et le gros-temps, les fous de Bassan qui tournoient et plongent en rafale lorsque le filet émerge, les hommes d’équipage et la palette de leurs émotions, la vie à bord lorsqu’ils ne pêchent pas, mais aussi les techniques de pêche et le matériel employé, le coup de main pour défaire d’un coup sec le nœud de la maille dégoulinante sans risquer de se retrouver englouti sous les poissons, la variété de ces derniers et leur peau luisante, les hommes en cirés clairs qui travaillent sur le pont dans la lumière des projecteurs : autant de photographies qui fixent, dans une forme d’urgence existentielle, la mémoire de ces chalutiers pour ne pas les voir sombrer dans l’oubli.
Le livre Pleine mer, publié en 2001 sous la direction de Xavier Barral aux Éditions de La Martinière, est le fruit de ces reportages et des carnets qu’il a écrits à bord.

De haut en bas :
Jean Gaumy, À bord du chalutier espagnol Rowanlea, Atlantique Nord, 1998
Jean Gaumy, Les thons sont capturés à l’aide de cannes à pêche en fibre ou en bambou de plus de 5 à 6 mètres de long et rapidement décrochés par un assistant. L’eau pulvérisée à la surface de la mer imite le mouvement des petits poissons que les thons capturent en surface. Des appâts sont jetés dans l’eau pour attirer les thons, Espagne, 1996 – © Jean Gaumy / Magnum Photos

De par le monde
Au cours de sa carrière, parce que la mer l’a toujours fascinée et attirée, Jean Gaumy s’est souvent vu confier des sujets relatifs à la pêche par l’agence Magnum et la presse. Des années 1970 à aujourd’hui, ces histoires l’ont amené à parcourir le monde.
Ainsi, en 1979, sur l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, il photographie les souvenirs des pêches baleinières des siècles derniers et les lieux où faisaient aussi escale les marins fécampois lors des campagnes de pêche à la morue. La même année, à la Martinique, le photographe fait étape dans le village de Grand-Rivière où s’élancent, depuis la plage, les gommiers, petites embarcations traditionnelles de pêcheurs. Tout le village, hommes, femmes et enfants, est associé à l’activité.
Plus tard, en 2004, il capture le contraste saisissant entre les pêcheurs installés sur les plages de Mauritanie et les immenses bateaux échoués, attendant leur démantèlement. Puis, poursuivant ce même reportage, tandis qu’il embarque sur un navire-usine russe au large de l’Afrique, Jean Gaumy pointe les dérives de la pêche industrielle menée par des équipages internationaux.
Encore en 2012, il prend sur le vif les pêcheurs de Fukushima, au Japon, alors qu’il couvre les effets de la catastrophe nucléaire.

Dans le huis-clos des sous-marins

En 2004, Jean Gaumy est autorisé par la Marine nationale à passer trois cents heures à bord du sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) Améthyste, pour l’opération Red Shark entre Djibouti et la Crète. Des missions au quotidien des soixante-dix hommes d’équipage, le photographe porte son regard sur les 90 m2 dédiés à l’espace de vie, en s’interrogeant sur la promiscuité, l’accommodation des marins à ce huis-clos et aux fraternités qui s’y développent. Jean Gaumy, que ses travaux sur la prison et les hôpitaux ont fait connaître au milieu des années 1970, est familier des mondes fermés sur eux-mêmes, des hommes et femmes qui partagent une même communauté de destins.

En 2006, il prend part à une expédition classée Secret-défense à bord du nouveau SNA Perle, dont l’objectif est de mener une mission de présence au-delà du Cercle Arctique et de participer à des manœuvres de l’OTAN au large de l’Écosse. C’est la première fois dans l’histoire maritime mondiale qu’un réalisateur est autorisé à filmer aussi longtemps et dans de telles conditions à bord d’un sous-marin nucléaire en activité. Jean Gaumy s’immerge quatre mois et suit le quotidien des quatre-vingts hommes d’équipage.
De cette nouvelle expérience à bord, il rapporte de nombreuses images qu’il monte pour produire, en 2006, avec Marie Gaumy et Françoise Bernard, le feuilleton documentaire Sous-marin, diffusé par ARTE en cinq épisodes de 26 minutes.
En 2010, il embarque de nouveau sur le plus récent des sous-marins nucléaires lanceur d’engins (SNLE) Le Terrible afin de documenter la mise au point de ce fleuron de la dissuasion nucléaire française.

L’Abeille Flandre et les marées noires

Jean Gaumy couvre, comme Guy Le Querrec et Ferdinando Scianna, tous trois photographes à l’agence Magnum, le naufrage du pétrolier Amoco Cadiz, échoué le 16 mars 1978 au large du Finistère. Le retentissement médiatique de cet événement est à l’image du choc et de l’immense désarroi que provoque la plus grande marée noire
par échouement jamais enregistrée : 223 000 tonnes de pétrole brut libérées, un large secteur pollué en Manche occidentale, près de 350 kilomètres de côtes dévastées et
260 000 tonnes d’animaux marins tués. Jean Gaumy fixe dans son objectif tout à la fois le naufrage du pétrolier et le nettoyage titanesque du rivage.
Cette même année, il se rend également sur la plage de Mimizan dans les Landes, où gît échoué, depuis le 2 décembre 1976, le pétrolier Apollonian Wave qui faisait route
vers Bilbao pour y être démantelé.
Les 12 et 13 décembre 1999, il est le seul photographe à bord de l’Abeille Flandre pour documenter la disparition du pétrolier Erika au large de Penmarc’h, dans le sud Finistère. Jean Gaumy a déjà embarqué à bord du remorqueur pour donner à voir la mission de surveillance de l’équipage spécialisé dans le sauvetage des navires en détresse en mer d’Iroise ou dans le Rail d’Ouessant, autoroute maritime jugée parmi les plus dangereuses au monde. Il capture les derniers instants de l’Erika, brisé en deux par une tempête et englouti par les flots malgré une tentative de remorquage. À mesure que l’épave sombre, elle répand une marée noire dévastatrice, souillant la surface de l’océan et contaminant les fonds marins, provoquant une nouvelle catastrophe écologique.
Ces expériences traumatiques aiguisent la conscience du photographe pour la protection de la nature et le conduise à diriger son regard sur les plateformes pétrolières
ou les éoliennes en mer.

Après la prise de conscience qu’avait déclenchée les ravages d’El Niño, mes images de mer et de tourmente recoupaient de plus en plus la sensibilité du public des grands magazines internationaux. En 1996, à bord du remorqueur Flandre, j’avais commencé à fréquenter les eaux tumultueuses du Rail d’Ouessant. Sur le même navire, plus tard, j’allais assister au naufrage de l’Erika. Déjà, en 1978, j’avais photographié le traumatisme maritime fondateur : le désastre de l’Amoco Cadiz. Et là, justement, ce fut l’événement qui permit de constater l’émergence de nouveaux dangers, de nouvelles responsabilités.
Nous prenions acte de l’avènement d’un nouveau monde maritime. Tout du moins, nous aurions dû. Il faut du temps. »

Les plateformes pétrolières
En 1979, Jean Gaumy photographie le gisement gazier Frigg en mer du Nord. Exploité par les groupes français Elf et Total, il appartient à un ensemble de six plateformes
extrayant plus de 230 millions de mètres cube de gaz naturel chaque année, ce qui en fait l’un des gisements les plus importants d’Europe. Il fournit jusqu’à 40 % du gaz utilisé par le Royaume-Uni entre 1980 et 1986. Implanté aux confins des eaux territoriales britanniques et norvégiennes, ces atolls artificiel sont le lieu de vie d’une centaine de personnes, qui assurent l’étude et le pompage du gaz naturel. Ancrées à une centaine de mètres de profondeur, les plateformes sont liées au fond des océans par vingt-quatre pipe-lines chacune. Dans les lumières crépusculaires de la mer du Nord battue par les vents, Jean Gaumy observe le quotidien d’une communauté internationale de 350 travailleurs au sein d’une ville aux allures futuristes.

Les éoliennes en mer
Après avoir photographié les ramasseurs de galets dans les années 1970 et les dernières heures des filetières de La Boucane dans les années 1980, Jean Gaumy s’installe en 1995 à Fécamp, où il habite toujours. La ville, parcourue parfois avec son épouse, Michelle, connue sous le nom d’artiste de Camille Doligez, constitue un sujet régulier de
reportage. Il photographie ainsi, de 2010 à 2015, une série plus contemplative de paysages, en s’intéressant à l’imposante matérialité des falaises de craie qui dominent la mer et offrent un des plus beaux panoramas sur la côte d’Albâtre.
En photographe-reporter, amoureux de la mer, des rivages et des paysages, conscient de la crise climatique et des enjeux économiques qui traversent le territoire, Jean Gaumy ne peut rester insensible à l’installation du parc éolien offshore de Fécamp. Il photographie donc avec vigilance, en 2022, la construction des cinquante premiers mâts blancs et de leurs gigantesques pales, avant leur acheminement et leur installation sur près de 60 km2,  à seulement treize kilomètres du sémaphore et de la sortie du port.

Jean Gaumy, Expédition scientifique internationale à bord du brise-glace de la garde côtière canadienne, Amundsen, Golfe d’Amundsen, Canada, 2008 – © Jean Gaumy / Magnum Photos

Jusqu’aux pôles

Entre 2008 et 2018, Jean Gaumy accompagne plusieurs expéditions internationales dans les pôles. Chacune d’entre elles lui donne l’occasion de couvrir le quotidien et les
recherches scientifiques de différentes équipes. Mais à ses photographies documentaires se mêlent aussi des recherches plus plasticiennes. Depuis ses premières prises de vue du Piémont en Italie ou des falaises de Fécamp, Jean Gaumy est à la recherche de paysages originels, bruts, immémoriaux. Il incite ici à faire l’expérience de l’immersion dans les pôles, partant du réel pour convier le regard à une lecture renouvelée du paysage, à d’autres visions. Ses photographies deviennent ainsi parfois contemplatives, parfois aussi plus suggestives, à la recherche d’une forme de déréalisation flirtant avec l’abstraction. Elles tendent à rendre visible l’invisible, altérant notre perception et notre expérience de la réalité, brouillant les pistes de notre regard entre les jeux d’échelle, l’attention portée au détail, la perte de repères dans l’immensité du vide et la recherche obsessionnelle de la matérialité des choses.
En noir et blanc ou en couleurs, elles injectent « une dose salutaire de réel et de poésie », invitant au questionnement, à l’évasion ou à la rêverie.

Jean Gaumy, Expédition scientifique internationale à bord du brise-glace de la garde côtière canadienne Amundsen. Vérification des stocks de pétrole et de gaz, vol en hélicoptère à deux heures du bateau, sur la péninsule de Parry, Golf d’Amundsen, Canada, 2008 – © Jean Gaumy / Magnum Photos

Expéditions polaires
En avril 2008, Jean Gaumy se rend dans le golfe d’Amundsen, à bord du brise-glace des garde-côtes canadiens Amundsen. En 2012, il partage le quotidien d’Éric Brossier, de France Pinczon du Sel et de leurs deux filles à bord du voilier Vagabond, dans les îles Ellesmere au Nunavut (Canada), où ils mènent des études glaciologiques et hydrographiques.
En octobre 2013, il voyage au Spitzberg (Norvège) avec l’équipe de chercheurs du projet BB Polar, chargée de la mise en place d’un observatoire de la faune arctique. Il l’accompagne de nouveau au Groenland en août 2014 et en août 2016. Enfin, au printemps 2018, Jean Gaumy rejoint le laboratoire international BeBest dans sa dernière mission scientifique en Arctique, sur la station danoise de recherche de Daneborg au nord-est du Groenland. L’équipe scientifique est chargée d’étudier, dans un
contexte de changements climatiques, les réponses des invertébrés des fonds marins aux modifications de leur environnement.

Cordouan

En 2012, la recherche de paysages – entre mer, rivage et ciel –, conduit Jean Gaumy à commencer une série de photographies sur le phare de Cordouan (Gironde) qui, depuis Royan (Charente-Maritime), a habité l’horizon de son enfance. Battu par les vagues à marée haute et lessivé par les tempêtes, accessible uniquement à marée basse en bateau depuis les ports de Royan ou du Verdon-sur-mer, ce phare emblématique porte en ses murs cinq cents ans d’histoire. Il reste aujourd’hui encore une vigie à l’entrée de l’estuaire de la Gironde. Voilà un terrain propice pour le photographe.
Il offre un précipité de ses goûts, propre à nourrir son travail et son imaginaire. Il s’y immerge à plusieurs reprises, pendant de longs jours. Le phare est un topos classique de la photographie et des arts en général, de la littérature à la poésie, de la peinture au cinéma.
Pour Jean Gaumy, il s’agit cependant de s’affranchir de ces références, de prendre le temps, en silence, de se laisser « envahir par le terrain, de remodeler l’imaginaire ancien, de faire éclore autre chose de soi ». Alors, avec son objectif, il joue des lumières et des brumes, des transparences et des matières, des reflets et de l’illusion, entre focale sur le détail et grand angle, pour dire le majestueux, pour « coller au réel et le rendre simplement étrange, sans artifice aucun ».
Cette série de paysages se conjugue au pluriel avec ceux du jardin de Monet à Giverny (Eure), où Jean Gaumy mène des recherches similaires depuis 2017 qui sont présentées, en ce mois de juillet, au musée des impressionnismes.

Une passion sans fin.

Une exposition organisée avec la Médiathèque du patrimoine et de la photographie.

Exposition Jean Gaumy et la mer, du 14 mai au 17 août 2025 – Musée national de la Marine, Place du Trocadéro – 75016 – Paris

Photo d’en-tête : Jean Gaumy, Vagues au Havre, Seine-Maritime, France, 1984 © Jean Gaumy / Magnum Photos

S’abonner
Notifier de


0 Commentaires
Les plus anciens
Les plus récents Le plus de votes
Inline Feedbacks
View all comments
Article précédent

André Ostier « Un photographe et des artistes »

Prochain article

Offensive de Trump contre la culture américaine - L'art en état de siège

Derniers articles de ARTS & CULTURES