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Le monde selon l’IA

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Le Jeu de Paume présente, du 11 avril au 21 septembre 2025, une exposition explorant les liens entre intelligence artificielle et l’art contemporain, qui sera la première au monde de cette ampleur. Car elle est la première exposition collective de cette ampleur à explorer de manière aussi approfondie les interactions entre l’intelligence artificielle et la création artistique, en embrassant une variété de médiums comme la photographie, le cinéma, les installations vidéo, la sculpture, la littérature, la musique. L’exposition ne se limite pas à présenter des œuvres générées par l’IA, elle invite les visiteurs à une réflexion sur les enjeux sociétaux, politiques et environnementaux liés à ces technologies. Elle interroge, entre autres, l’impact de l’IA sur les images et la culture visuelle, la question de la surveillance et les inégalités liées à sa
production.

Dans des espaces latents de matrices mathématiques immenses, des réseaux de neurones artificiels comprennent le monde comme un code et se mettent à apprendre par eux-mêmes à produire des images et des sons, à écrire, à traduire, à parler.

Développées à vitesse accélérée dans tous les champs de la société, les intelligences artificielles suscitent aujourd’hui étonnement, frayeur, enthousiasme ou scepticisme.  Le monde selon l’IA présente une sélection d’œuvres d’artistes qui, au cours de ces dix dernières années, se sont emparés de ces questions en art, photographie, cinéma, sculpture, littérature… Elle dévoile des œuvres – en grande partie inédites – d’artistes de la scène française et internationale tels Julian Charrière, Grégory Chatonsky, Agnieszka Kurant, Christian Marclay, Trevor Paglen, Hito Steyerl, Sasha Stiles,… 

La quatrième mémoire, 2025 de Gregory Chatonsky

De l’« IA analytique », sur laquelle se fondent les systèmes de vision artificielle et de reconnaissance faciale, à l’« IA générative », capable de produire de nouvelles images, sons et textes, l’exposition traite de la manière dont ces technologies bouleversent les processus créatifs, redéfinissent les frontières de l’art, sans oublier d’en interroger les enjeux sociaux, politiques et environnementaux. Des capsules temporelles jalonnent par ailleurs le parcours, sous forme de vitrines suggérant des liens historiques et généalogiques entre ces phénomènes contemporains et différents objets issus du passé. Au-delà de toute fascination technophile ou de rejet technophobe, le Jeu de Paume propose, à travers cette exposition, une réflexion sur la manière dont l’IA transforme notre rapport visuel et sensible au monde, comme nos sociétés.

À travers l’ensemble de ces œuvres, les visiteurs sont invités à vivre dans un monde selon l’IA ou à travers l’IA (« through AI ») et à interroger ce que cela signifie percevoir, imaginer, comprendre, transformer, se souvenir d’un monde de plus en plus traversé par les technologies de l’IA.

L’exposition propose plusieurs œuvres inédites, créées par des artistes de renommée internationale tels que Julian Charrière, Grégory Chatonsky, Agnieszka Kurant, Trevor Paglen, Hito Steyerl, Sasha Stiles, Kate Crawford et Christian Marclay. Ces pièces offrent un panorama riche et diversifié des pratiques artistiques qui exploitent l’IA.

Calculating Empires 2023, de Kate Crawford & Vladan Joler

L’intelligence artificielle, notion introduite en 1955, désigne de nos jours l’apprentissage automatique qui transforme tous les domaines de la société, avec des applications remplaçant l’action humaine sur la détection, la prise de décision ou la création de contenus textuels et visuels. Ces avancées soulèvent des enjeux éthiques, économiques, politiques et sociaux, entre autres en matière de vie privée et de discrimination, tout en bouleversant notre rapport aux images et aux textes. Dans le domaine artistique, l’IA redéfinit les processus de création, de production et de réception, mettant en crise les notions de créativité, d’originalité et de droits d’auteur.

Les artistes de l’exposition mobilisent ces technologies aussi bien pour interroger leurs conséquences sur l’art et la société que pour expérimenter de nouvelles formes possibles d’expression. Le parcours thématique de l’exposition s’ouvre sur la dimension matérielle et environnementale de l’IA, trop souvent passée sous silence.
Il s’agit, avec cette introduction, d’en dresser une cartographie dans le temps comme dans l’espace et de comprendre l’enchevêtrement complexe que recouvre l’appellation, difficile à définir, d’IA. Les œuvres de Julian Charrière, telles que Buried Sunshines Burn, soulèvent la question des ressources matérielles nécessaires aux industries numériques et de leur impact environnemental tandis que Metamorphism met en scène la dimension matérielle des technologies numériques, trop souvent présentées comme « dématérialisées » alors qu’elles dépendent de phénomènes géologiques et physiques spécifiques.
Le diagramme géant Calculating Empires de Kate Crawford et Vladan Joler retrace quant à lui cinq siècles d’inventions et d’expérimentations techniques, scientifiques et culturelles ayant permis de donner naissance aux IA actuelles.

Metamorphism, 2016 de Julian Charriere

L’exposition se poursuit avec la thématique de l’IA analytique, abordant la vision par ordinateur et la reconnaissance faciale, centrées sur la classification et la catégorisation des données et des objets. Différents artistes interrogent les effets de ces processus sur notre perception du monde et leurs conséquences économiques, politiques et sociales. Parmi les œuvres phares de cette section, Faces of ImageNet de Trevor Paglen met en scène la manière dont les systèmes de reconnaissance faciale apprennent à identifier des visages à travers des catégories humaines simplifiées, qui nient la complexité et la diversité du monde réel. Une nouvelle œuvre de Hito Steyerl, créée spécialement pour l’exposition, examine comment les systèmes d’IA transforment la perception visuelle en outils de contrôle et de standardisation. 

De Beauvoir, 2019 de Trevor Paglen

Dans une même visée critique, le parcours aborde la question de l’exploitation humaine que nécessite l’IA. Agnieszka Kurant ou Meta Office mettent en lumière les contributions invisibles des “travailleurs du clic” – personnes qui effectuent des tâches en ligne sur Internet de manière invisible et sous-rémunérée, via des portraits collectifs ou la documentation de leurs conditions de travail. Ces œuvres révèlent le fossé entre l’idéologie de la dématérialisation du cloud et les ressources réelles qui sont nécessaires au bon fonctionnement des IA. 

Le second grand chapitre de l’exposition concerne l’IA générative, qui explore la capacité de l’intelligence artificielle à créer de nouvelles données, textes ou images, à partir de vastes quantités de données trouvées sur internet et utilisées pour l’entraînement des modèles.
Cette section met en lumière les œuvres qui illustrent les multiples possibilités ainsi offertes, de la génération d’images à la création de textes et de sons. Nombreux sont les artistes à s’emparer de ce sujet pour combler des manques dans l’histoire (Egor Kraft, Theopisti Stylianou Lambert et Alexia Achilleos), pour questionner les biais de l’IA (Nora AlBadri, Nouf Aljowaysir) ou pour écrire des histoires alternatives (Grégory Chatonsky, Justine Emard et Gwenola Wagon). 

Centrale est la question des nouveaux liens qui peuvent s’établir entre mots et images à l’heure de l’IA, comme le démontrent les travaux du collectif Estampa ou d’Erik Bullot.
Dans cette section, le cinéma offre également une porte d’entrée pour réfléchir aux transformations amenées par l’IA sur la perception et la narration visuelle, comme
l’illustrent les œuvres d’Inès Sieulle, d’Andrea Khôra ou encore de Jacques Perconte. Toute une section est également consacrée à la littérature générative, à la production de textes à l’aide d’algorithmes, qu’il s’agisse de poèmes, de romans ou encore d’alphabets inédits. L’exposition s’achève sur le thème de la musique, un volet illustré magistralement par The Organ de Christian Marclay où un piano connecté active des combinaisons de vidéos circulant sur l’application Snapchat en vertu
exclusivement de leur fréquence sonore.

The-Organ de Christian-Marclay

Tout au long de l’exposition, des “capsules temporelles” inspirées des cabinets de curiosités offrent un contrepoint historique aux œuvres contemporaines. Elles abordent des sujets tels que l’histoire des dispositifs d’automatisation du calcul et de la production, les relations entre les systèmes actuels de vision artificielle et les tentatives passées d’automatiser la perception visuelle, les origines des systèmes de reconnaissance faciale comme des émotions, ou encore la généalogie des prompts. Ces vitrines se proposent ainsi comme des incursions généalogiques permettant d’inscrire des phénomènes contemporains dans une histoire culturelle, artistique et scientifique élargie.

Pour accompagner l’exposition, le Jeu de Paume propose un riche programme d’événements autour de l’intelligence artificielle, comprenant un cycle de cinéma, des
conférences animées par des artistes et spécialistes du sujet, des colloques scientifiques, mais également une mise en scène théâtrale d’un « procès » fictif de l’IA. Enfin,
un catalogue en français et en anglais, comprenant des contributions de spécialistes des liens entre IA, culture visuelle et art contemporain vient compléter cette exploration.

Après l’exposition Supermarché des images (2020) qui avait interrogé la profusion d’images dans notre société, Le monde selon l’IA prolonge cette réflexion en mettant en lumière un nouveau paradigme, celui de l’intelligence artificielle, qui révolutionne en profondeur la création, la diffusion et la réception des images, bouleversant ainsi notre rapport visuel au monde.

Théorie des espaces latents

Par Antonio Somaini, commissaire de l’exposition

«La réflexion sur les images et la culture visuelle ne saurait de nos jours faire l’économie d’une théorie des espaces latents. Alors que les images sont de plus en plus générées, modifiées, mises en circulation, vues et décrites au moyen de différents types de modèles d’intelligence artificielle (IA), il est nécessaire de comprendre le rôle crucial joué par les « espaces latents », ces constructions abstraites et mathématiques dont les implications culturelles et politiques sont telles qu’on ne peut les sous-estimer.
Espace latent : cette locution aux connotations métaphoriques importantes — nous y reviendrons — renferme un concept fondamental dans le domaine de l’apprentissage automatique et de l’intelligence artificielle. Elle fait référence à l’espace abstrait au sein duquel des objets numériques complexes, caractérisés par un grand nombre de dimensions (comme les images, fixes ou en mouvement, et les textes), sont restitués sous une forme simplifiée, en un nombre réduit de dimensions, afin d’être traités lors d’opérations mathématiques. »

Exposition Le monde selon l’IA, du 11 avril au 21 septembre 2025 – Jeu de Paume, 1, place de la Concorde, Jardin des Tuileries – 75001 – Paris 

www.jeudepaume.org

Photo d’en-tête : « The Oasis I Deserve » de Inès Sieulle, 2024 ©Inès Sieulle

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