Après 2024, la Russie aura abandonné la Station spatiale internationale (ISS). Lancée en 1998 comme un symbole de la coopération post-guerre froide entre les superpuissances spatiales du monde, l’ISS va désormais se passer des Russes. Depuis le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine, l’avenir de la coopération russe était compromis. Quelles sont les conséquences pour l’ISS ? En quittant la station spatiale, les Russes ne font-ils pas un grand saut dans le vide en matière de programmes spatiaux ?
Le nouveau chef de l’agence spatiale russe a annoncé ce mardi 26 juillet que la Russie quittera la Station spatiale internationale après l’expiration de son engagement actuel, fin 2024. « La décision de quitter la station après 2024 a été prise », a déclaré Iouri Borisov, nommé ce mois-ci à la tête de Roscosmos, société contrôlée par l’État en charge du programme spatial du pays. Cette déclaration a été faite lors d’une réunion entre M. Borisov et le président Poutine. M. Borisov a déclaré à M. Poutine que la Russie respecterait ses engagements jusqu’en 2024. « Je pense que d’ici là, nous commencerons à former la station orbitale russe », a-t-il déclaré. Le maître du Kremlin s’est contenté d’une réponse laconique : « Bien. »
Interdépendance spatiale
Le premier module de la Station spatiale internationale a été lancé en 1998, et des astronautes y vivent depuis 2002. Construit comme un symbole de la coopération de l’après-guerre froide entre les deux superpuissances spatiales du monde, le partenariat a traversé de nombreux hauts et bas dans les relations bilatérales entre les États-Unis et la Russie.
Cette décision est-elle une fanfaronnade des Russes ? La défection des cosmonautes russes compromet-elle l’avenir de la station ? Au-delà des implications géopolitiques, plus techniquement, Il n’est pas certain que la station puisse fonctionner sans la participation de la Russie après 2024. L’avant-poste en orbite se compose de deux sections, l’une dirigée par la NASA, l’autre par la Russie. Les deux sont interconnectées. Une grande partie de l’énergie du côté russe provient des panneaux solaires de la NASA, tandis que les Russes fournissent la propulsion pour élever périodiquement l’orbite.
Une interdépendance totale devenue au fil du temps, une arme géopolitique. Au début de la guerre en Ukraine et face aux sanctions occidentales contre la Russie, Dmitri Rogozine, le fantasque prédécesseur de Borrisov, menaçait : « Si vous bloquez la coopération avec nous, qui sauvera l’ISS d’une désorbitation incontrôlée et d’une chute sur les Etats-Unis ou l’Europe ? Il y a aussi la possibilité qu’une structure de 500 tonnes tombe sur l’Inde et la Chine. Voulez-vous les menacer d’une telle perspective ? L’ISS ne survole pas la Russie, donc tous les risques vous incombent. Êtes-vous prêts à les assumer ?» En 2014 déjà il avait avancé des menaces similaires lors de l’invasion de la Crimée.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie en février a fait monter de plusieurs crans les tensions entre Washington et Moscou faisant craindre définitivement pour l’avenir de la coopération dans l’espace entre les deux puissances. Des responsables de l’espace russe, dont Dmitry Rogozin, le prédécesseur de M. Borisov, ont déclaré ces derniers mois que la Russie envisageait de se retirer. Mais ils ont laissé planer l’ambiguïté sur le moment où une décision finale pourrait être prise ou non. Les responsables de la NASA, qui souhaitent prolonger l’exploitation de la station spatiale jusqu’en 2030, avaient jusqu’à aujourd’hui exprimé leur confiance dans le maintien de la Russie.
Projets réels ou grand saut dans le vide ?
Depuis le déclenchement de la guerre, dans l’ensemble, les opérations sur la station spatiale se sont poursuivies sans interruption. En mars, Mark Vande Hei, un astronaute de la NASA, est revenu sur Terre à bord d’une capsule Soyouz russe, comme prévu. La NASA et Roscosmos viennent de conclure un accord selon lequel les astronautes russes auraient des places à bord de vaisseaux spatiaux de fabrication américaine en échange de la mise en orbite des astronautes de la NASA à bord de fusées Soyouz russes.
Toutefois, la NASA a vivement critiqué la Russie ce mois-ci après que Roscosmos a diffusé des photos des trois astronautes russes de la station spatiale tenant les drapeaux des séparatistes soutenus par la Russie dans deux provinces d’Ukraine.
La Russie a des projets pour élaborer sa propre station spatiale, mais Roscosmos est en difficulté financière depuis des années. Après le retrait des navettes spatiales américaines en 2011, la NASA a dû acheter des sièges sur les fusées Soyouz, fournissant un flux d’argent régulier aux Russes. Ces revenus se sont taris lorsque SpaceX, la compagnie d’Elon Musk, a commencé à assurer le transport des astronautes de la NASA il y a deux ans. De ce fait, la Russie a perdu le monopole des envois dans l’espace, avec ses lanceurs et vaisseaux Soyouz rustiques mais fiables.
La Russie a de surcroît perdu des sources de revenus supplémentaires en raison des sanctions économiques qui ont empêché les entreprises européennes et celles d’autres nations de lancer des satellites sur ses fusées. « Sans coopération avec l’Occident, le programme spatial russe est impossible dans toutes ses composantes, y compris la composante militaire », a déclaré au New York Times Pavel Luzin, analyste militaire et spatial russe.
La Russie cherche également à se tourner vers la Chine et brûle de coopérer davantage avec son programme spatial. Les Chinois ont lancé ce dimanche 24 juillet un module de laboratoire pour compléter leur station spatiale, Tiangong. Mais Tiangong ne se trouve pas sur une orbite qui peut être atteinte depuis les rampes de lancement russes. « La perspective de coopérer avec la Chine est une fiction », affirme M. Luzin. « Les Chinois ont considéré la Russie comme un partenaire potentiel jusqu’en 2012 et ont arrêté depuis. Aujourd’hui, la Russie ne peut rien offrir à la Chine en matière d’espace. »
Face à ces inconnues, les Russes fanfaronnent en affirmant pouvoir se débrouiller seuls. « Nous commencerons à créer la station orbitale russe », qui sera « la principale priorité » du programme spatial national, a annoncé M. Borissov lors de son intervention mardi. « Le domaine spatial est dans une situation difficile, et je pense que ma tâche principale (…) est de ne pas faire tomber la barre, mais de la placer plus haut, en fournissant avant tout les services spatiaux nécessaires pour l’économie russe », a-t-il souligné.
Pour ce qui est de l’ISS, son destin est tracé : de 2026 jusqu’à juin 2030, elle va commencer à perdre de l’altitude. Trois vaisseaux cargos la pousseront le moment venu dans une grande chute incandescente vers la Terre. En janvier 2031 au plus tard, les modules de l’ISS se disloqueront en entrant dans l’atmosphère et les débris tomberont dans le Pacifique Sud, loin de tout lieu habité. La Station spatiale ne sera pas remplacée à l’identique. La coopération entre les agences spatiales publiques des Etats-Unis, de l’Europe, du Canada et du Japon devrait donner naissance à la station qui va succéder à l’ISS, mais cette fois-ci en orbite autour de la Lune, le «Lunar Gateway».