Partout dans le monde, en toute saison, on pourra voir des dizaines ou même des centaines de satellites pendant au moins une heure avant le lever et après le coucher du soleil. À l’heure actuelle, il est relativement facile d’échapper à la pollution lumineuse urbaine pour bénéficier d’un ciel étoilé en faisant du camping ou en allant dans un chalet, mais, bientôt, on ne pourra échapper à cette nouvelle pollution lumineuse des satellites nulle part sur Terre, pas même au pôle Nord.
Je suis à l’extérieur, dans ma ferme de la province canadienne du Saskatchewan, en train de discuter avec mes voisins que j’ai invités à venir admirer le ciel nocturne avec mon télescope.
Après les exclamations et l’émerveillement devant les anneaux de Saturne et la lumière qui a traversé l’espace pendant plus de deux millions d’années depuis la galaxie d’Andromède pour atteindre notre regard, notre conversation dévie inévitablement vers la pandémie, notre organisation de télétravail et les plaintes sur Internet en région rurale. Mon voisin mentionne en passant qu’il vient de changer de fournisseur pour Starlink.
Je lève les yeux et remarque un satellite lumineux qui se déplace dans le ciel. Il s’agit fort probablement d’un Starlink, puisqu’ils représentent désormais près de la moitié des quelque 4 000 satellites opérationnels et qu’ils sont particulièrement brillants. Je prends une profonde inspiration et réfléchis à la manière de discuter du coût que nous allons tous devoir payer pour l’accès à Internet de Starlink.
Je ne reproche pas leur choix à mes voisins. Ici, comme dans de nombreuses régions rurales d’Amérique du Nord, il n’y a pas beaucoup de possibilités d’accès à Internet, et étant donné que beaucoup de personnes travaillent et suivent des cours à domicile pendant la pandémie, on veut tout faire pour se faciliter la vie.
Je sais toutefois combien le coût pourrait en être élevé. Mon article à paraître dans The Astronomical Journal présente des prévisions de ce à quoi ressemblera le ciel nocturne si les entreprises de satellites poursuivent leurs projets actuels. Je sais également qu’en raison de la géométrie de la lumière du soleil et des orbites choisies, le 50e parallèle nord, où je vis, sera la partie du monde la plus gravement touchée.
En l’absence de réglementation, je sais que dans un avenir proche,un point sur 15 visibles dans le ciel sera un satellite qui se déplace inexorablement, et non une étoile. Cela sera désastreux pour la recherche astronomique et changera complètement le ciel nocturne dans le monde entier.
Un avenir trop brillant
Afin de déterminer dans quelle mesure le ciel nocturne sera affecté par la lumière solaire réfléchie par les futures mégaconstellations de satellites, nous avons conçu un modèle informatique libre pour prédire la luminosité des satellites telle qu’elle est vue depuis divers endroits de la Terre, à différentes heures de la nuit et en différentes saisons. Nous avons également créé une application web simple basée sur cette simulation.
Notre modèle utilise 65 000 satellites sur les orbites des quatre entreprises de mégaconstellations : SpaceX Starlink et Amazon Kuiper (États-Unis), OneWeb (Royaume-Uni) et StarNet/GW (Chine). Nous avons calibré notre simulation pour qu’elle corresponde aux mesures télescopiques des satellites Starlink, car ils sont de loin les plus nombreux.
Starlink a fait quelques progrès pour atténuer l’éclat de ses satellites depuis leur premier lancement, mais la plupart sont encore visibles à l’œil nu.
Nos simulations montrent que de partout dans le monde, en toute saison, on pourra voir des dizaines ou même des centaines de satellites pendant au moins une heure avant le lever et après le coucher du soleil. À l’heure actuelle, il est relativement facile d’échapper à la pollution lumineuse urbaine pour bénéficier d’un ciel étoilé en faisant du camping ou en allant dans un chalet, mais, selon nos recherches, on ne pourra échapper à cette nouvelle pollution lumineuse des satellites nulle part sur Terre, pas même au pôle Nord.
Les endroits les plus touchés sur Terre se situeront à 50 degrés nord et sud, près de villes comme Londres, Amsterdam, Berlin, Prague, Kiev, Vancouver, Calgary et chez moi. Au solstice d’été, à ces latitudes, près de 200 satellites seront visibles à l’œil nu toute la nuit.
J’étudie la dynamique orbitale de la ceinture de Kuiper, composée de petits corps qui se trouvent au-delà de Neptune. Mes recherches s’appuient sur des images à grand champ et à longue durée d’exposition pour découvrir et suivre ces petits objets afin d’en apprendre davantage sur l’histoire de notre système solaire.
Les observations au télescope qui sont essentielles à la connaissance de notre univers sont sur le point de devenir immensément difficiles à réussir en raison du développement non réglementé de l’espace.
Les astronomes sont en train d’élaborer des stratégies de réduction, mais elles nécessiteront du temps et des efforts que les entreprises de mégaconstellations devraient assumer.
Coûts environnementaux
Internet par Starlink peut sembler moins cher que d’autres options en zone rurale, mais c’est parce qu’on se décharge de nombreux coûts. L’un d’eux est la pollution atmosphérique engendrée par les centaines de lancements de fusées nécessaires pour construire et entretenir ce système.
Chaque déploiement de satellites envoie des morceaux de fusée et d’autres débris sur une orbite terrestre basse déjà encombrée, ce qui augmente les risques de collision. Une partie de ces débris spatiaux finira par retomber sur Terre, et les régions de la planète où la densité de satellites est la plus élevée seront les plus à risque d’impact.
Starlink prévoit de remplacer chacun des 42 000 satellites après cinq ans de fonctionnement, ce qui nécessitera la désorbitation d’une moyenne de 25 satellites par jour, soit environ six tonnes de matériel. La masse de ces satellites ne disparaîtra pas — elle sera disséminée dans les hautes couches de l’atmosphère. Comme les satellites sont principalement composés d’alliages d’aluminium, ils risquent de former des particules d’alumine en se vaporisant dans la haute atmosphère, ce qui pourrait détruire l’ozone et provoquer des changements de température à l’échelle planétaire.
Cette question n’a pas encore été étudiée en profondeur étant donné que l’orbite terrestre basse n’est soumise à aucune réglementation environnementale.
Réglementer le ciel
Pour l’instant, l’orbite terrestre basse, où il est prévu que tous ces satellites évoluent, n’est presque pas réglementée. Il n’existe aucune norme concernant la pollution lumineuse, la pollution atmosphérique causée par les lancements, celle causée par la rentrée dans l’atmosphère ainsi que les collisions entre satellites.
Ces mégaconstellations pourraient ne pas être viables financièrement à long terme, et les vitesses d’accès à Internet risquent de diminuer considérablement lorsque de nombreux utilisateurs se connectent en même temps ou s’il pleut.
Pourtant, on lance actuellement des satellites à un rythme effréné, et les dommages qu’ils causent au ciel nocturne, à l’atmosphère et à la sécurité de l’orbite terrestre basse ne seront pas effacés, même si les entreprises font faillite.
Il ne fait aucun doute que, à bien des endroits, les habitants des zones rurales et reculées ont été laissés pour compte dans le développement de l’accès à Internet. Mais il existe de nombreuses autres options qui n’entraînent pas des coûts aussi élevés.
Nous ne pouvons pas accepter la perte mondiale de l’accès au ciel nocturne, que l’être humain a pu observer et avec lequel il a pu se connecter depuis les débuts de son existence.
Si les entreprises coopéraient au lieu de se faire concurrence, il pourrait y avoir beaucoup moins de satellites en orbite. En modifiant la conception des satellites, on pourrait les rendre beaucoup moins lumineux, ce qui diminuerait leur impact sur le ciel nocturne. On ne devrait pas avoir à choisir entre l’astronomie et Internet.
Cependant, sans une réglementation qui exige des changements, ou une forte pression des consommateurs qui démontre l’importance du ciel nocturne, notre vision des étoiles sera bientôt modifiée à jamais.
Samantha Lawler, Assistant professor of astronomy, University of Regina
Cet article est republié à partir de The Conversation partenaire éditorial de UP’ Magazine. Lire l’article original.
Première publication dans UP’ Magazine le 11/01/22