Tsunami, raz-de-marée, mur infranchissable… Les mots deviennent démesurés face à la vague Omicron. Le mutant Omicron, ultra-contagieux, fait grimper le nombre de cas à des sommets historiques et provoque le chaos, tandis qu’un monde épuisé lutte, une fois de plus, pour endiguer la propagation. Mais cette fois, ce variant pourrait-il signer la fin de la pandémie de Covid-19 en procurant à la planète une large part d’immunité collective ? Certains l’espèrent, toutefois une grande prudence reste de mise tant les scénarios à venir restent imprévisibles.
« Peut-être est-ce le dernier variant, peut-être est-ce la dernière vague, peut-être que cette vague nous permettra d’acquérir une forme d’immunité ». Devant les députés ce lundi 3 janvier, et après des propos similaires ce week-end, le ministre français de la Santé Olivier Véran a fait preuve d’un optimisme prudent, entrevoyant une possible sortie de crise.
Un scénario qui semble à ce stade partagé par un certain nombre d’experts. Avec un nouveau variant qui est « un peu plus transmissible que ses prédécesseurs, mais moins agressif, peut-être qu’on assiste à un début d’évolution vers un virus plus banal comme on en connaît d’autres », a ainsi lancé lundi sur BFMTV le Pr Alain Fischer, le « Monsieur vaccin » du gouvernement français. Autrement dit, un virus plus contagieux mais moins dangereux permettrait d’acquérir une immunité naturelle qui, conjuguée à une immunité vaccinale, marquerait l’entrée dans un stade moins sévère de la pandémie.
Des espoirs et des questions
« A terme, il y a de l’espoir » et « le Sars-CoV-2 rejoindra les autres coronavirus saisonniers humains qui nous donnent des rhumes et des angines chaque hiver », a aussi avancé ce week-end l’épidémiologiste Arnaud Fontanet. « Nous n’y sommes pas encore. On peut s’attendre à ce que de nouveaux variants émergent mais, notre immunité se renforçant avec le temps, soit par infection naturelle, soit avec des doses de rappel du vaccin, leur capacité à donner des formes sévères va diminuer », a-t-il prédit. Mais avant d’en arriver là, le prix à payer pourrait être « un nombre élevé d’infections parmi la population », comme l’a souligné dimanche le directeur du ministère de la Santé israélien, Nachman Ash, s’exprimant au sujet de son pays.
Le variant omicron, qui évolue rapidement, complique la question clé qui taraude tout le monde : comment la pandémie de Covid-19 se terminera-t-elle et comment le monde coexistera-t-il avec ce virus ? Les experts s’accordent à dire que le coronavirus est là pour rester, le monde devant alors apprendre à coexister avec un virus qui s’accroche.
Le dernier variant est un avertissement sur ce qui va continuer à se produire « à moins que nous ne prenions vraiment au sérieux la fin de la partie », affirme le Dr Albert Ko, spécialiste des maladies infectieuses à l’école de santé publique de Yale. « Il est certain que le Covid sera avec nous pour toujours », ajoute-t-il. « Nous ne serons jamais en mesure d’éradiquer ou d’éliminer le Covid, nous devons donc identifier nos objectifs. »
« Etat stable acceptable »
À un moment donné, l’Organisation mondiale de la santé déterminera quand suffisamment de pays auront maîtrisé leurs cas de Covid-19 – ou au moins les hospitalisations et les décès – pour déclarer la pandémie officiellement terminée. On ne sait pas exactement quel sera ce seuil. Même lorsque ce sera le cas, certaines régions du monde continueront de lutter – en particulier les pays à faible revenu qui ne disposent pas de suffisamment de vaccins ou de traitements – tandis que d’autres passeront plus facilement à ce que les scientifiques appellent un état « endémique ».
Il s’agit de distinctions floues, fait observer à l’Associated Press l’expert en maladies infectieuses Stephen Kissler de l’école de santé publique T.H. Chan de Harvard. Pour lui, la période endémique consiste à atteindre « une sorte d’état stable acceptable » pour faire face au Covid-19. La crise de l’Omicron montre que nous n’en sommes pas encore là, mais « je pense que nous arriverons à un point où le SRAS-CoV-2 sera endémique, un peu comme la grippe l’est », a-t-il déclaré.
Même avec un virus plus bénin, les conséquences pourraient être graves sur le plan collectif, le nombre de cas risquant d’entraîner mécaniquement une hausse du nombre de patients hospitalisés. Nul ne sait par ailleurs quand cette immunité collective espérée pourrait se matérialiser. « J’ai toujours l’espoir que le virus finira par ressembler davantage aux autres coronavirus du rhume – peut-être au cours des une ou deux prochaines années – en répétant les vaccins et en conservant le masque et la distanciation sociale pour les plus vulnérables, comme ce que nous faisons pour la grippe chaque année », a souligné récemment Julian Tang, virologue et professeur à l’université de Leicester, cité par l’organisme britannique Science Media Centre.
L’Inde offre un aperçu de ce qu’est l’atteinte d’un niveau stable de Covid-19. Jusqu’à récemment, le nombre quotidien de cas signalés était resté inférieur à 10 000 pendant six mois, mais seulement après un coût en vies humaines « trop traumatisant à calculer » causé par le variant Delta antérieur, a déclaré le Dr T. Jacob John, ancien chef du service de virologie du Christian Medical College dans le sud de l’Inde.
Aujourd’hui, le variant Omicron est à l’origine d’une nouvelle augmentation du nombre de cas et, en janvier, le pays va mettre en place des rappels de vaccin pour les travailleurs de première ligne. Mais M. John a déclaré que d’autres maladies endémiques, telles que la grippe et la rougeole, provoquent périodiquement des épidémies et que le coronavirus continuera à se manifester de temps à autre, même après le passage de l’Omicron.
« Nous ne sommes pas la même population qu’en 2019 »
Le virus Omicron a tellement muté qu’il échappe à certaines des protections offertes par les vaccins ou les infections antérieures. Mais le Dr William Moss, de l’école de santé publique Johns Hopkins Bloomberg, interrogé par l’AP, s’attend à ce que « ce virus atteigne son maximum » dans sa capacité à faire des sauts évolutifs aussi importants. « Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un cycle sans fin de nouvelles variantes ».
De nombreux experts envisagent un avenir possible : dans la période post-pandémique, le virus provoque des rhumes chez certains et des maladies plus graves chez d’autres, en fonction de leur état de santé général, de leur statut vaccinal et de leurs infections antérieures. Les mutations se poursuivront et pourraient nécessiter de temps à autre des rappels mis à jour pour mieux correspondre aux nouvelles variantes.
Mais les systèmes immunitaires humains continueront à s’améliorer pour reconnaître et combattre ces mutations. L’immunologiste Ali Ellebedy, de l’université Washington de Saint-Louis, trouve de l’espoir dans l’étonnante capacité du corps à se souvenir des germes qu’il a déjà vus et à créer des défenses à plusieurs niveaux.
Les cellules B à mémoire sont l’une de ces couches, des cellules qui vivent pendant des années dans la moelle osseuse, prêtes à entrer en action et à produire davantage d’anticorps en cas de besoin. Mais d’abord, ces cellules mémoire sont entraînées dans des camps d’entraînement du système immunitaire appelés centres germinaux, où elles apprennent à faire plus que de simples copies de leurs anticorps d’origine.
Dans une nouvelle étude, l’équipe d’Ellebedy a constaté que les vaccins Pfizer stimulent les « cellules T auxiliaires » qui jouent le rôle de sergent instructeur dans ces camps d’entraînement, favorisant la production d’anticorps plus diversifiés et plus puissants qui peuvent fonctionner même si le virus change à nouveau. Selon M. Ellebedy, l’immunité de base de la population s’est tellement améliorée que, même si les percées infectieuses se poursuivent inévitablement, il y aura une baisse des maladies graves, des hospitalisations et des décès, quelle que soit la prochaine variante. « Nous ne sommes pas la même population que nous étions en décembre 2019 », a-t-il déclaré. « C’est un terrain différent maintenant ». Il prévoit qu’un jour, une personne sera infectée par un coronavirus, restera à la maison deux ou trois jours « puis passera à autre chose ». J’espère que ce sera la fin du jeu. »
L’imprévisibilité reste de mise
Après deux ans de Covid-19, différents variants et des évolutions qui ont bien souvent déjoué toutes les prédictions, certains se refusent désormais à toute conjecture. « Si l’on veut commencer à retenir les leçons du passé récent de cette pandémie, rappelons-nous qu’elle est largement imprévisible », souligne auprès de l’AFP l’épidémiologiste Antoine Flahault. Selon lui, le concept d’immunité collective est « purement théorique ». « Il semble que l’immunité vaccinale protège efficacement contre les formes graves de la maladie mais pas tous les vaccinés non plus », développe-t-il. Par ailleurs, « l’immunité acquise naturellement, par des antécédents d’infection par le coronavirus, semble aussi apporter une forme de protection, notamment contre les formes graves, mais rien de tout cela n’est complètement clair », ajoute le Pr Flahault.
Pour le directeur de l’Institut de santé globale à Genève, tous les scénarios restent donc aujourd’hui sur la table : du plus optimiste, évoqué notamment par Olivier Véran, aux plus pessimistes, impliquant par exemple une grande difficulté à passer le pic d’Omicron, la saturation des systèmes de santé ou encore l’émergence d’un nouveau variant.
« Je suis persuadé que ce ne sera pas la dernière vague », a pour sa part estimé dimanche le Pr Eric Caumes, chef du service de maladies infectieuses à l’hôpital parisien de La Pitié Salpêtrière. « Mais ça sera peut-être la dernière de cette intensité ». Peut-être.
Avec AFP, Associated Press
BEAUCOUP DE CAS, mais en fait très peu de malades. 43 malades du Covid-19 en une semaine pour 100 000 habitants en France ont été détectés par le Réseau Sentinelles. En intégrant les données d’autres médecins généralistes de premiers recours (SOS Médecins), il passe à 46. Ce chiffre est supérieur à la valeur moyenne de 26 [21 ; 30] malades du Covid-19 par semaine pour 100 000 habitants en France depuis le début de l’épidémie en mars 2020. Selon des données de Santé Publique France, 2 individu(s) porteur(s) du virus sont décédées en une semaine pour 100 000 habitants en… Lire la suite »