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Climat : technosolutionnisme et géoingénierie dans le collimateur de l’Europe

Climat : technosolutionnisme et géoingénierie dans le collimateur de l’Europe

Nous n’avons pas besoin de ces idées pour lutter contre les dérèglements climatiques.

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Ensemencer les nuages pour augmenter les chutes de neige, pulvériser des particules dans l’atmosphère pour bloquer les rayons du soleil, envoyer des écrans solaires dans l’espace, capturer le CO2 dans l’air, disperser de la poussière de Lune dans l’espace, autant d’idées sorties de films de science-fiction qui sont pourtant des réalités dans les labos. L’Union européenne s’en inquiète, car ces pistes technosolutionnistes sont de nature à accroître les déséquilibres de pouvoir entre les nations, déclencher des conflits et soulever une myriade de questions éthiques, juridiques, politiques et de gouvernance. Sans compter les effets désastreux pour la planète et l’environnement. Les technologies miracles proposées ad nauseam seront au cœur de la prochaine COP28 à Dubaï. Souvent vendues par les opérateurs d’énergies fossiles, elles sont destinées à surtout ne pas changer de modèle, à reculer les vraies échéances, celles qui demandent une vraie volonté politique.

Face à l’ampleur de la crise climatique, tous les spécialistes s’accordent à dire que nous devons collectivement opérer des efforts considérables pour changer le modèle qui a jusqu’ici dicté nos sociétés : dogme de la croissance, recours insatiables aux énergies fossiles émettrices de CO2 dans l’atmosphère, modes de vie incompatibles avec l’empreinte carbone qu’ils génèrent. Ces efforts ne sont pas faciles à mettre en œuvre, si bien que l’inaction généralisée, camouflée par quelques initiatives sur les franges, semblent dominer les choix du monde. Cette année sera un millésime record pour la production de pétrole alors que les températures atteignent des sommets jamais vus.

Certains sont gagnés par l’éco-anxiété et sont désemparés par l’avenir qui s’annonce, alors que d’autres font preuve d’un optimisme à toute épreuve : ils sont persuadés que la technologie nous sauvera. Nous sommes bien capables d’aller sur Mars, de manipuler le vivant, de communiquer à la vitesse de la lumière, alors régler quelques problèmes de météo, nous devrions savoir faire, pensent-ils. C’est ainsi que depuis quelques années on assiste à une course aux technologies du climat (« géoingénierie »). Des labos à travers le monde font preuve d’une imagination débordante pour créer des miroirs spatiaux, injecter des particules de soufre dans l’atmosphère pour modifier les nuages, renvoyer le rayonnement solaire et ainsi refroidir la Terre ; la liste est longue de leurs projets dantesques.

« L’intervention intentionnelle à grande échelle dans les systèmes naturels suscite une attention croissante, mais les risques et conséquences inattendues sont mal compris » faute d’évaluations scientifiques complètes, et « les règles nécessaires » pour les encadrer n’existent pas, avertit la semaine dernière dans une communication la Commission européenne. « Ces technologies introduisent de nouveaux risques pour les personnes et les écosystèmes, elles pourraient aggraver les déséquilibres de pouvoir entre les nations, déclencher des conflits et soulever une myriade de problèmes éthiques, juridiques, de gouvernance », s’alarme l’exécutif européen.

Face à l’essor inéluctable des projets de géoingénierie, Bruxelles réclame « un processus d’examen scientifique complet » et se dit prêt à soutenir des efforts de coopération internationale pour « évaluer de façon exhaustive les risques » et discuter d’un éventuel cadre à l’échelle du globe.

« C’est un sujet aux implications mondiales et aux risques considérables. Personne ne devrait mener des expériences seul avec notre planète commune. Cela doit être discuté formellement au plus haut niveau », a commenté le vice-président de la Commission, Frans Timmermans.

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Technologies de science-fiction

L’inquiétude est de voir les projets de modification de l’environnement échapper à tout contrôle. Il s’agit, entre autres, de projets de capture du carbone, souvent soutenus par les grandes sociétés pétrolières, mais beaucoup de ces technologies sont relativement nouvelles et ne sont pas toujours efficaces. Parmi ces propositions de géoingénierie, certaines sont plutôt alarmantes et semblent tout droit sortir d’un film de science-fiction. C’est singulièrement le cas des projets de modification du rayonnement solaire qui visent à empêcher les rayons du soleil d’atteindre la planète.

Cette technologie reprend un mécanisme naturel produit par les éruptions volcaniques. Celles-ci émettent des gaz en haute altitude. Ce gaz comprenant des particules — des « aérosols »— se déplace dans le monde entier et permet une réduction de la lumière solaire qui atteint la surface de la planète. La géoingénierie compte reproduire le même processus : augmenter artificiellement la quantité de particules dans l’atmosphère pour réduire les rayonnements solaires. Les experts craignent que cette technologie de déviation des rayonnements solaires rende invisibles les véritables problématiques du réchauffement climatique, qui doivent aussi se régler par des réductions drastiques des émissions de gaz à effet de serre.

Des questions éthiques se posent également : quels États contrôleraient ces méthodes ? Quelles seraient les conséquences sur d’autres régions du globe ? L’autre complication soulevée est le risque de modifier le cycle naturel des précipitations voire celui de « trop refroidir » la planète ainsi que les conséquences de cet excès de refroidissement. Les scientifiques nous invitent à nous rappeler l’ « Année sans été » en Europe, qui avait résulté d’éruptions volcaniques massives en 1815 et dont le conséquences sur les récoltes avaient été si désastreuses que des « gens mouraient de faim ».

Au début de l’année, un groupe de chercheurs de Harvard et de l’université de l’Utah a proposé une autre solution consistant à envoyer des millions de tonnes de poussière lunaire dans l’orbite terrestre afin de bloquer partiellement les rayons du soleil chaque année. L’année dernière, une équipe de chercheurs du Massachusetts Institute of Technology a annoncé une idée qui incluait la fabrication d’un énorme radeau de « bulles » qui serait envoyé dans l’espace. Le radeau se situerait entre la Terre et le Soleil et serait suffisamment grand pour détourner la lumière du soleil de la planète et ralentir le réchauffement climatique. Les promoteurs de cette idée oublient seulement que l’envoi de fusées dans l’espace crée également des émissions contribuant au problème global…

Certaines formes de géoingénierie ont déjà été utilisées aux États-Unis. Le « Weather Modification Program » du Colorado a eu recours à l’ensemencement des nuages pour augmenter les chutes de neige. Des particules d’iodure d’argent ont été libérées dans les nuages pour favoriser la formation de particules de glace, qui se transformaient ensuite en neige. Au début de l’année, la Southern Nevada Water Authority a accepté une subvention de plus de 2 millions de dollars pour soutenir l’ensemencement des nuages dans les États de l’Ouest soufrant de l’extrême sécheresse, a rapporté l’Associated Press.

Le leurre du captage du CO2

Parmi les solutions technologiques destinées à lutter contre le réchauffement climatique, celle de captation du CO2 est la préférée des industriels attachés aux énergies fossiles. Le captage du CO2 fait référence à deux types de techniques. D’une part, le captage direct du CO2 à partir de l’air ambiant (Direct air capture and storage, DACS), qui cherche à éliminer le dioxyde de carbone déjà émis et présent dans l’atmosphère. On utilise parfois, pour désigner ces techniques, l’expression d’« émissions négatives ». D’autre part, le captage et le stockage du carbone à sa source (Carbon capture and storage, CCS), c’est-à-dire à partir des émissions des infrastructures industrielles. Dans ce cas, le but est non plus d’éliminer le carbone déjà émis, mais de réduire les émissions présentes et futures dans une dynamique de « neutralité carbone ». 

Pour l’un comme l’autre type de techniques, il s’agit, pour Marine de Guglielmo Weber, chercheuse au sein du programme Climat, énergie et sécurité de l’IRIS, « de décorréler la question des émissions de celle des modes de production et de consommation. En effet, on considère que le levier d’action n’est pas, ou pas seulement la limitation en amont des émissions, mais leur réduction a posteriori par des technologies de captage ». Nombre d’industriels pensent que ces technologies de captage du carbone pourraient compenser le caractère extrêmement polluant de leurs activités. Pourtant, ces techniques sont très loin d’avoir fait leurs preuves. Elles peinent à atteindre leur objectif (90% d’émissions capturées), et présentent un certain nombre d’enjeux environnementaux et de santé publique (forte demande en eau, risques de pollution des sols et des eaux). La chercheuse de l’IRIS fait observer que l’ajout de ces technologies de captage à des infrastructures industrielles et énergétiques fortement émettrices est loin d’être aussi efficace que la fermeture des infrastructures ou leur remplacement (notamment le remplacement des infrastructures d’énergie fossile par des infrastructures d’énergies renouvelables).

Il n’en demeure pas moins que ces technologies, malgré leurs limites, seront les vedettes de la prochaine COP28 organisée en décembre prochain à Dubaï et présidée par le sultan Ahmed Al Jaber, ministre émirati de l’Industrie et des Technologies avancées et PDG de la compagnie pétrolière nationale d’Abu Dhabi, ADNOC. Les 2 et 3 mai dernier, à l’occasion du Dialogue de Petersberg sur le climat, le sultan appelait à l’accélération du développement des énergies renouvelables, sans toutefois prôner la réduction de la consommation des énergies fossiles. Celles-ci étant durablement appelées à jouer un rôle majeur dans la réponse aux besoins énergétiques mondiaux, il ne s’agira pas de s’en détourner, mais bien plutôt de réduire les émissions de gaz à effet de serre associées, par le biais des technologies de capture carbone.

Une telle prise de position montre bien la réticence du secteur pétrogazier et des États qui en sont très largement dépendants à amorcer une réelle transition énergétique. Il s’agit, au contraire, de conserver les modes de production énergétique actuels, tout en investissant dans les énergies renouvelables de manière additionnelle, pour une transition future et lointaine. Marine de Guglielmo Weber observe que « pour ces acteurs, le captage du carbone est tentant en ce qu’il permet, du moins théoriquement, de préserver les intérêts économiques des industries polluantes sans contrarier les objectifs de réduction des émissions carbone ».

Fuite en avant

En l’absence de politiques climatiques efficaces en matière d’atténuation, la mise à l’agenda de la prochaine COP de ces technosolutions témoigne d’un glissement progressif des ambitions : d’une volonté de limiter les changements climatiques à une volonté de s’y adapter, puis de réparer les dégâts causés. Dans cette perspective, la dernière étape de ce nivellement par le bas pourrait consister en une paralysie des négociations par l’invocation d’un miraculeux progrès technologique futur qui ferait disparaître les émissions de gaz à effet de serre sans en traiter les causes.

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Après avoir tout déréglé, nous nous efforçons maintenant d’échafauder des plans pour sauver la planète. Parmi ceux-ci, les projets de technologies du climat ressemblent pour beaucoup d’entre eux à un plan de dernière extrémité, auquel nous aurions recours quand tout sera perdu, c’est-à-dire quand nous aurons démontré que nous sommes incapables de réduire le réchauffement climatique en modifiant nos modes de vie et corriger notre empreinte carbone. Si nous nous montrons incapables de faire cela, pourquoi notre science et nos techniques seraient-elles suffisamment avancées et matures pour être en mesure de réparer les dégâts que, nous et elles, avons commis ? Cette simple idée ressemble singulièrement à une pathétique fuite en avant.

Pourtant, il y a une bonne nouvelle : nous disposons de presque toutes les solutions dont nous avons besoin, leurs coûts sont pour la plupart faibles et en baisse, et la mise en œuvre de la solution présente de multiples co-bénéfices. L’énergie éolienne, hydraulique et solaire est bon marché, efficace et écologique. Qui plus est, nous disposons de 95 % des technologies nécessaires pour résoudre le problème des émissions carbone. Celles qui nous manquent concernent les avions et les navires à longue distance et certaines technologies industrielles, mais nous savons comment assurer la transition de ces technologies. Nous devons également nous attaquer aux émissions non énergétiques, mais nous savons aussi comment le faire. Donc, si nous avons presque tout ce dont nous avons besoin, pourquoi chercher des solutions expérimentales ou risquées pour sauver notre planète ? À l’heure actuelle, ce dont nous avons besoin, c’est l’acceptation sociale et la volonté politique pour opérer le changement.

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